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Perte et gain : $b histoire d'un converti

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CHAPITRE XIV.
Rentrée au collége peu agréable.

Le premier jour du trimestre de la Saint-Michel est le plus brillant de l’année, pour un étudiant, en ce qui touche à l’ameublement de sa chambre. Quoique Charles regrettât la maison paternelle, il se réjouissait de revoir le vieil Oxford. A son entrée au collége, le portier l’avait reconnu, et son domestique lui avait souri, en le saluant comme il montait l’escalier aux marches usées. Pour lui souhaiter la bienvenue, un feu magnifique brûlait dans le foyer ; le charbon pétillait, se divisait et lançait une flamme blanche qui contrastait avec les barres et les plaques de la grille, nouvellement noircies. Une bouilloire de cuivre toute luisante sifflait et gémissait sous l’action intérieure de l’eau en ébullition. La glace de la cheminée avait été nettoyée, le tapis battu, les rideaux fraîchement lustrés. Un plateau à thé et ses accessoires étaient sur la table ; on y voyait en outre la note du trimestre, deux ou trois cartes de marchands qui désiraient sa pratique et une lettre d’un ami qui l’avait précédé à Oxford. Le portefaix arriva avec ses malles, et il venait de recevoir une large rétribution, lorsque, au moment que la porte se fermait, Sheffield s’élança dans la chambre en habit de voyage.

« Eh bien, mon vieux, comment va la santé ? » s’écria-t-il, en secouant de toutes ses forces les deux mains de Charles, ou plutôt ses bras. « Nous voici donc de retour ; j’arrive à l’instant, comme vous. Où avez-vous passé vos vacances ? Allons, racontez-nous toute votre histoire. Mais donnez-moi d’abord du thé, et devisons ensuite de bonne et joyeuse humeur. » Charles aimait Sheffield, il aimait Oxford, il était content d’être revenu ; toutefois, il lui restait un peu de mal du pays, et il n’était pas en train de s’harmoniser à la turbulence de la bonne nature de Sheffield ; d’ailleurs, la conversation avec Willis pesait encore sur son esprit. « Avez-vous appris les nouvelles ? continua Sheffield : j’ai déjà passé assez de temps dans le collége pour les recueillir. Jack, mon ami, Jack le marmiton, en était tout occupé au moment que j’entrais, et Jack est un brave et honnête garçon qui sait tous les cancans de la ville. J’ignore ce que cela signifie, mais Oxford, à cette heure, a un très-vilain intérieur. Le bruit court que quelques personnes se sont converties à l’Église de Rome, et l’on dit qu’il y a dans ces murs des étrangers sur le compte desquels plane le mystère. Jack, qui est lui-même un peu théologien, rapporte qu’il a entendu le Principal donner pour certain qu’au fond de tout ceci il y avait des Jésuites ; et je ne sais ce qu’il veut dire, mais il déclare qu’il a vu de ses propres yeux le Pape se promener dans High Street avec un prêtre. Je lui ai demandé comment il l’avait reconnu. Il m’a répondu qu’il avait connu le Pape à son chapeau rabattu et à sa longue barbe ; et d’ailleurs, le portier lui avait assuré que c’était le Pape. A ce qu’il paraît, les dons se sont réunis plusieurs fois ; on raconte que certains tuteurs seront privés de leur droit à la ration, et que leurs noms seront affichés à la porte du magasin à beurre. On assure encore que le Maréchal[50] monte la garde devant la chapelle catholique avec deux bouledogues[51]. Enfin, pour compléter les nouvelles, on rapporte malicieusement, que ce vieil ivrogne de Topham, ayant été appelé pour couper les cheveux au gardien de Sainte-Marie, lui a fait sur le sommet de la tête une belle et blanche tonsure.

[50] Espèce d’huissier.

[51] Dans l’argot des étudiants d’Oxford, deux domestiques des Censeurs.

— Mon cher Sheffield, comme vous y allez ! repartit Charles. Eh bien, moi, je puis vous donner quelques vraies nouvelles qui se rapportent à ces bruits, et elles ne sont pas des plus agréables. Avez-vous connu Willis de Saint-George ? — Je pense l’avoir vu une fois chez vous ; c’est un jeune homme modeste, au regard doux, et qui ne lâchait jamais une parole. — Oh ! je vous assure qu’il a assez de langue quand ça lui convient, reprit Charles ; je crois, cependant, ajouta-t-il d’un ton réfléchi, qu’il est fort changé, mais ce n’est pas en mieux. — Eh bien, quel est le fin mot ? — Il s’est fait catholique. — Quel fou ! » Il y eut un moment de silence. Charles se sentit embarrassé. « Je ne puis pas dire, reprit-il ensuite, que j’aie été surpris ; cependant, je l’aurais été moins, si c’eût été White. — Oh ! White ne deviendra pas catholique ; ce n’est pas dans son sang. C’est un poltron. — Des fous et des poltrons ! c’est donc ainsi que vous divisez le monde, Sheffield ? Pauvre Willis ! on doit cependant respecter un homme qui agit selon sa conscience. — Sa conscience ! mais qu’en sait-il de sa conscience ? repartit Sheffield. Quoi ! l’idée d’absorber librement le tas de vieilleries que tout catholique doit croire ! De sang-froid se mettre un collier autour du cou, et déposer poliment sa chaîne entre les mains d’un prêtre… Et puis le confessionnal ! C’est merveilleux ! » Et il se mit à briser le charbon avec le tisonnier. « Tout cela est très-bien, continua-t-il, si l’on est né catholique ; quoique je ne suppose pas que les Papistes croient réellement tout ce qu’ils sont obligés de professer ; mais qu’un Anglais, un gentleman, un homme d’Oxford, jouissant de tant de prérogatives, puisse se nourrir ainsi d’immondices, remuer et ramasser les mensonges morts des siècles de ténèbres : c’est un prodige ! »

«  — Eh bien, s’il y avait une chose qui pût me faire estimer la Religion Romaine, reprit Charles, c’est précisément ce que vous détestez si fort : je donnerais deux pence[52], si un homme en qui je puisse avoir confiance voulait me dire : Ceci est la vérité. Nous serions délivrés de ces éternelles disputes. Ne seriez-vous pas heureux si saint Paul pouvait revivre ? Je me suis souvent dit à moi-même : Oh ! si je pouvais demander ceci ou cela à ce grand Apôtre ! — Mais l’Église Catholique n’est pas tout à fait saint Paul, j’imagine, reprit Sheffield. — Certainement non ; mais en supposant que vous crussiez qu’elle a l’inspiration d’un Apôtre, comme tout Catholique Romain le pense, quelle consolation ne serait-ce pas pour vous de savoir, hors de tout doute, ce que vous devez croire sur Dieu et de quelle manière vous devez l’honorer et lui plaire ! Je vous comprends, vous dites : Je ne puis croire ceci ou cela ; or, vous auriez dû dire plutôt : Je ne puis croire que le Pape a réellement le pouvoir de décider ceci ou cela ; car, s’il a ce pouvoir, il ne vous reste qu’à accepter sa décision, et ne pas dire : Je ne saurais la croire. » Sheffield regarda fixement son ami : « Nous vous verrons papiste un de ces beaux jours, reprit-il. — Sottise, repartit Charles ; vous ne devriez pas dire de pareilles choses, même en plaisantant. — Je ne plaisante pas ; je parle sérieusement : vous allez en plein sur cette route. — Eh bien, si j’y suis, c’est que vous m’y avez amené, répliqua Reding, désirant écarter au plus tôt ce sujet de controverse ; car c’est vous qui m’avez toujours parlé contre le charlatanisme, et qui vous moquiez du roi Charles et de Laud, de Bateman et de White, des jubés et des piscines. »

[52] Vingt centimes.

« Maintenant vous voilà Puséiste, repartit Sheffield un peu déconcerté. — Vous me donnez là, mon cher ami, le nom d’un excellent homme que je connais à peine de vue ; mais ce que je veux dire, c’est que personne ne sait ce qu’il faut croire, personne n’a une foi définie, excepté les Catholiques et les Puséistes ; personne ne dit : Ceci est vrai, cela est faux ; ceci vient des Apôtres, cela n’en vient pas. — Alors, vous croiriez des Turcs qui viendraient à vous avec leur « seul Allah et Mahomet son prophète ? » — Je n’ai pas dit qu’un symbole fût tout, ni qu’une religion ne pût être fausse avec un symbole ; mais une religion qui n’a pas de symbole ne peut être vraie. — Eh bien, cela ne me frappe aucunement », repartit Sheffield. Charles reprit : « Après votre départ, à la fin du trimestre, nous avons été sous la direction de Vincent ; vous savez que j’étais resté pour mon examen ; le tuteur, je dois l’avouer, s’est montré fort honnête ; oui, très-honnête. Or, j’eus un jour un entretien avec lui sur les différents partis d’Oxford, et dans le moment même il me plut beaucoup ; mais ensuite, plus je réfléchis à ses paroles, moins je fus satisfait ; en d’autres termes, je n’avais reçu de lui rien de défini. Il ne disait pas : Ceci est vrai, cela est faux, mais : « Soyez franc, soyez franc ; soyez bon, soyez bon ; n’allez pas trop loin, tenez-vous dans un juste milieu, soyez sur vos gardes, évitez les partis, suivez nos théologiens, suivez-les tous. » Ce qui se réduisait à dire : Mettez un grain de sel sur la queue de l’oiseau. J’avais besoin d’une direction pratique, et non de vérités abstraites. — Vincent est un farceur, s’écria Sheffield. — Le docteur Pusey, au contraire, continua Charles, est, assure-t-on, toujours affirmatif. Il dit : « Ceci est apostolique, cela est dans les Pères ; saint Cyprien affirme ceci, saint Augustin nie cela ; ceci est bien, cela est mal ; je vous ordonne, je vous défends. » Ce langage je le saisis ; mais je ne comprends pas qu’on m’impose des devoirs qui sont trop lourds pour mes épaules. Je ne comprends pas, je n’aime pas, qu’ayant une volonté propre, je n’aie pas les moyens de m’en servir légitimement. Dans un tel cas, me dire d’agir par moi-même, c’est imiter Pharaon qui commandait aux Israélites de faire des briques sans paille. M’ordonner de chercher, de juger, de décider, vraiment c’est absurde : qui me l’a appris ?

— Mais les Puséistes ne sont pas toujours si affirmatifs, répliqua Sheffield ; Smith, par exemple, ne parle jamais d’une manière décisive sur les questions épineuses. J’ai connu une personne qui allait passer quelques années en Italie et devait forcément se trouver à une grande distance de toute chapelle anglaise. Avant de partir, elle vint demander à Smith si elle pourrait se rendre aux églises catholiques, mais ce fut en vain ; elle ne put jamais obtenir de réponse ; notre Puséiste ne voulut pas lui donner un oui ou un non. — Dès lors, Smith n’aura pas eu beaucoup de partisans, et voilà tout. — Mais il en a plus que le docteur Pusey. — Eh bien, je ne puis le comprendre ; il ne devrait pas en avoir. Peut-être ne lui resteront-ils pas fidèles. — La vérité est, reprit Sheffield, que je le soupçonne d’être au fond un peu sceptique. — J’honore l’homme qui édifie, repartit Reding, et je méprise l’homme qui détruit. — Je suis porté, mon cher ami, à croire que vous avez une notion fausse de ces deux mots, édifier, détruire. Coventry, dans ses Dissertations, prouve d’une manière claire que le Christianisme n’est pas une religion de doctrines. — Qu’est-ce que Coventry ? — Vous ne connaissez pas Coventry ? C’est un des écrivains les plus remarquables de cette époque : il est Américain, et, je crois, congrégationaliste. Oh ! je vous l’assure, Coventry est un auteur à lire, malgré ses erreurs sur le gouvernement de l’Église. Vous ne serez bien au courant de la littérature du jour, que lorsque vous aurez fait connaissance avec lui. Ce n’est pas un homme de parti ; il correspond avec les premiers personnages de l’époque. Lorsqu’il était en Angleterre, il a logé chez le doyen d’Oxford, qui a publié une édition anglaise de ses Dissertations, avec préface. Lui et lord Newlights étaient regardés comme les deux hommes les plus spirituels au meeting de l’Association Britannique, il y a deux ans. — Je n’aime pas lord Newlights, dit Charles ; il me semble qu’il n’a pas de principes, de principes religieux fixes et définis. On ne sait où le saisir. Telle est l’opinion de mon père ; je l’ai entendu souvent parler de Newlights. — Il est étrange que vous vous serviez du mot principes, reprit Sheffield ; car c’est précisément le point sur lequel Coventry insiste avec force. Il dit que le Christianisme n’a pas de symbole ; que c’est là le caractère principal par où il se distingue des autres religions ; que vous chercheriez en vain un symbole dans le Nouveau Testament ; mais que l’Écriture est pleine de principes. L’idée est très-ingénieuse, et m’a paru vraie, quand j’ai lu son livre. D’après lui, donc, le Christianisme n’est pas une religion de doctrines ni de mystères ; et si vous cherchez du dogmatisme dans l’Écriture, vous êtes dans l’erreur. » Charles était troublé. « Certainement, dit-il, à première vue, il n’y a pas de symbole dans l’Écriture… Pas de symbole dans l’Écriture ? répéta-t-il lentement, comme s’il eût pensé tout haut. Pas de symbole dans l’Écriture, donc il n’y a pas de symbole. Mais le Symbole d’Athanase, ajouta-t-il avec empressement, est-il dans l’Écriture ? Il est dans l’Écriture ou il n’y est pas ; voyons. Que soutenait Freeborn le trimestre dernier ?… Dites-moi, Sheffield, le doyen d’Oxford affirme-t-il que le symbole se trouve dans l’Écriture ou qu’il n’y est pas ? Peut-être n’exposez-vous pas bien l’idée de Coventry ; quel est votre sentiment ? — Eh bien, je vous avouerai avec franchise que mon opinion, à en juger par sa préface, est que le doyen ne se ferait pas scrupule de dire que le symbole n’est pas dans l’Écriture, mais que c’est une addition scolastique. — Mais quoi ! mon cher ami, voudriez-vous donner à entendre que lui, dignitaire de l’Église, tiendrait le Symbole d’Athanase pour une erreur, parce qu’il représente le Christianisme comme une révélation de doctrines ou de mystères qu’on doit accepter par la foi ? — Je puis me tromper, répondit Sheffield ; mais c’est ainsi que je l’ai compris. — Après tout, reprit Charles tristement, ce n’est pas beaucoup plus étrange que ce qu’un autre doyen, dont j’ai oublié le nom, prêchait à Sainte-Marie avant les vacances ; cela fait partie du même système. Le fait eut lieu après votre départ, ou vers la fin du trimestre. Vous n’allez pas aux sermons ; j’ai envie de ne pas y aller, non plus. Je ne puis entrer dans l’argumentation du doyen ; cela n’en vaut pas la peine. Eh bien, ajouta-t-il en se levant et en étirant ses bras, je suis fatigué ; en soi, pourtant, la journée n’a pas été très-dure ; mais Londres est une ville si bruyante ! — Vous désirez que je vous souhaite le bonsoir », dit Sheffield. Charles ne rejeta pas le compliment, et les deux amis se séparèrent.

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