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Perte et gain : $b histoire d'un converti

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CHAPITRE XI.
Une rencontre.

L’occasion ne s’est pas offerte d’informer le lecteur que, pendant la dernière ou l’avant-dernière semaine, Charles avait, par hasard, rencontré plusieurs fois Willis, l’ombre de White au déjeuner de Bateman. Le jour où il l’avait vu chez celui-ci, il avait aimé son air quand il gardait le silence. Il avait été moins content de sa personne quand il l’avait entendu parler ; il ne pouvait, toutefois, s’empêcher de lui porter de l’intérêt, vu surtout que Willis paraissait l’avoir pris en affection. Évidemment, ce dernier aimait Charles et semblait désireux d’entretenir avec lui de bons rapports. Charles, pourtant, goûtait aussi peu sa manière de parler que celle de White ; et lorsqu’il visita pour la première fois son logement, il y trouva bien des choses qui choquèrent son bon sens et ses principes religieux. Un grand crucifix d’ivoire, enfermé sous verre, se faisait remarquer entre les fenêtres ; une gravure représentant la Sainte-Trinité, selon l’usage des pays catholiques, était suspendue au-dessus de la cheminée ; vis-à-vis était un tableau de la Madone et de saint Dominique ; sur la cheminée elle-même, se voyaient un rosaire, un encensoir et d’autres signes de catholicisme dont Charles ne connaissait pas l’usage ; un missel, un rituel et quelques traités catholiques étaient sur la table ; et, comme il arriva chez Willis d’une manière inattendue, il le trouva dans son fauteuil, revêtu d’un habit qui ressemblait plutôt à une soutane qu’à une robe de chambre, et occupé à lire le bréviaire. Virgile et Sophocle, Hérodote et Cicéron paraissaient s’être cachés dans les coins, comme d’impurs païens ; ou avoir fui devant la terrible présence de l’ancienne Église. Charles avait pris sur lui de protester contre quelques-unes de ces singularités, mais tous ses efforts étaient restés inutiles.

La veille de son départ pour rentrer dans sa famille, il dut aller à Folly Bridge payer une note. A son retour, il passait près d’une chapelle qu’il avait toujours regardée comme appartenant à des dissidents ; quelle ne fut pas sa surprise d’en voir sortir Willis ! A peine s’il put en croire ses yeux ; il savait bien que ce jeune étudiant avait été retenu à Oxford comme lui, mais quel motif l’avait poussé à une visite aussi extraordinaire que celle qu’il venait de faire ? c’est ce que Charles ne pouvait décider. « Willis ! » cria-t-il, comme il s’arrêtait. A cet appel, Willis rougit tout en s’efforçant de paraître à l’aise. « Faites quelques pas avec moi, ajouta Charles. Qu’avez-vous donc à faire dans cette chapelle ? N’est-ce pas une assemblée de dissidents ? — Une assemblée de dissidents ! s’écria Willis, surpris et offensé à son tour ; et quel motif a pu vous faire croire que je fréquentais une assemblée de dissidents ? — Pardon, reprit Charles, je m’en souviens, maintenant ; c’est une salle d’exposition. Cependant c’était autrefois une chapelle ; c’est ce qui m’a trompé. N’est-ce pas ce qu’on appelait l’ancienne Chapelle Méthodiste ? Jamais je n’y ai mis les pieds ; on y montrait le Dio-astro-doxon ; c’est le nom, je crois, qu’on donnait à cette exposition. » Charles tirait en long son discours, afin de faire oublier sa méprise, car il était honteux du reproche qu’il avait fait. Willis ne savait s’il voulait plaisanter, ou s’il parlait sérieusement. « Reding, lui dit-il, ne continuez pas ; vous m’offensez. — Qu’est-ce donc ? repartit Charles. — Vous en savez bien assez ; vous vous plaisez cependant à me tourmenter. — Pas du tout. — Eh bien, c’est l’église catholique. » Un instant Charles ne répliqua pas : « Mon ami, dit-il ensuite, à mes yeux votre explication ne vous justifie guère ; appelez-la comme vous voudrez, cette assemblée est une assemblée dissidente ; pourtant elle n’est pas de l’espèce que je m’imaginais. — Laquelle voulez-vous dire ? — Plutôt, dites-moi vous-même quelle était votre intention en allant dans un tel lieu ? car sachez-le, vous avez agi contre votre serment. — Mon serment ! Quel serment ? — Il n’y a pas de serment à cette heure, mais vous en avez fait un, il y a peu de temps encore ; c’est, du reste, un engagement solennel que tout étudiant est obligé de prendre. Ne vous rappelez-vous pas votre inscription chez le Vice-Chancelier, ni quelles déclarations et quels serments vous avez faits ? — J’ignore ce que j’ai fait ; mon tuteur ne m’a rien dit sur cela. J’ai apposé ma signature sur un ou deux livres. — Vous avez fait plus, j’en ai été informé très-exactement, vous vous êtes solennellement engagé à garder les Statuts. Or, un des Statuts défend d’aller dans toute espèce de chapelle ou d’assemblée de dissidents. — Les catholiques ne sont pas dissidents. — Oh ! ne parlez pas ainsi ; vous savez que la pensée du Statut est de les regarder comme tels. Il veut nous tenir éloignés de toute espèce de culte, le nôtre excepté. — Mais c’est une déclaration ou un vœu illégal ; donc il ne lie pas. — Où avez-vous trouvé ce faux-fuyant ? C’est sans doute le prêtre de cette chapelle qui vous l’a mis dans la tête. — Ce prêtre, je ne le connais pas ; je ne lui ai jamais adressé la parole. — En tout cas, cette réponse n’est pas de vous, et elle ne vous sert de rien. Je ne suis pas casuiste, mais si notre engagement est illégal, vous ne devriez pas continuer à jouir des avantages auxquels il donne droit. — Quels avantages ? — Votre toque et votre toge ; l’éducation de l’Université ; la chance d’un scholarship[48] ou d’un fellowship. Renoncez à toutes ces choses, et puis déclarez, si vous voulez, et selon les règles, que vous êtes libéré de votre engagement ; mais ne voguez pas sous un faux pavillon. N’acceptez pas le bienfait, et brisez la stipulation. — Vous le prenez trop au sérieux ; il y a une cinquantaine de statuts que vous ne gardez pas vous-même plus que moi. Vous êtes très-inconséquent. — Si nous ne les suivons pas, c’est sur des points, je suppose, dont les autorités ne pressent pas l’exécution : par exemple, on ne nous oblige pas à nous vêtir d’habits bruns, quoique les Statuts l’ordonnent. — Mais on a bien l’intention de vous défendre de vous promener en castor dans High Street, répliqua Willis, cela est si vrai que les Censeurs montent et descendent constamment la rue, et vous renvoient au collége, s’ils vous prennent en flagrant délit. — Mais ceci est une autre affaire, répartit Charles changeant de terrain ; votre cas à vous est matière de religion. Il ne peut être permis de se rendre à des assemblées ou à des endroits de culte étranger. — Mais, répliqua Willis, si nous ne faisons qu’une même Église avec les Catholiques Romains, je ne puis comprendre, sur mon honneur, comment c’est mal pour nous d’aller à eux, ou pour eux de venir à nous. — je ne suis pas théologien, je ne comprends pas ce qu’on entend par l’Église une, dit Charles ; mais je sais bien qu’il n’y a pas dans le pays d’évêque, d’ecclésiastique, ni d’homme d’Église sensé qui ne tournât cet argument contre vous. C’est une pure absurdité. — Ne parlez pas de la sorte, je vous prie, je me sens entraîné de tout mon cœur vers le culte catholique : notre service est si froid ! — C’est précisément la raison de tout opiniâtre dissident, répondit Charles. Chaque pauvre paysanne, qui, n’en sachant pas plus long, court après les Méthodistes, ou après le cher M. Spoutaway, ou après le prédicateur savetier, vous dit (je l’ai entendu de mes oreilles) : « Oh ! monsieur, je suppose que nous devons aller là où nous trouvons le plus de bien. M. tel et tel va à mon cœur, il m’attendrit. » Willis se mit à rire. « Eh bien, par le temps où nous sommes, dit-il, la raison n’est pas mauvaise, je crois. Pauvres âmes ! quels meilleurs moyens ont-elles pour juger de leur religion ? Comment pouvez-vous espérer qu’elles goûteront ces paroles : « L’Écriture nous touche ? » Quant à ma démarche, vous y donnez réellement trop d’importance. C’est seulement la seconde fois que j’ai visité la chapelle catholique, et, je vous le dis sérieusement ; je m’y trouve l’âme pleine de respect et de piété ; comme vous voudriez être aussi, je pense. J’en sors vraiment meilleur : je ne puis prier dans notre église ; il y a là une mauvaise odeur qui m’indispose ; et puis, les bancs masquent tout : comment voir à travers une planche de sapin ? Mais ici, quand je suis entré, je trouve tout silencieux et calme ; l’espace est ouvert, et, dans un demi-jour, se montre le tabernacle, indiqué par la lampe. » Charles paraissait mal à l’aise. « Willis, dit-il, vous m’embarrassez. Que le ciel me garde de rien dire contre les Catholiques Romains : je ne sais rien sur leur compte. Mais ce que je sais, c’est que vous n’êtes pas membre de leur communion, et que vous n’avez rien à faire chez eux. S’ils ont dans leur église les choses sacrées dont vous parlez, il est certain, cependant, que ces choses ne sont pas les vôtres ; vous êtes un intrus. Je suis très-ignorant sur cette matière ; je n’aime pas à porter un jugement. Mais, laissez-moi vous le dire, c’est se faire un jeu des choses saintes que de courir ici et là, de toucher aux objets et de les goûter, de les accueillir et de les rejeter ensuite. Je n’aime pas ces manières, ajouta-t-il avec véhémence ; c’est prendre des libertés avec Dieu. — Oh ! mon cher Reding, ne parlez pas si sévèrement, repartit le pauvre Willis ; qu’ai-je fait de plus que vous ne fussiez prêt à faire, si vous étiez en France ou en Italie ? Est-ce donc que vous n’entreriez pas dans les églises sur le continent ? — Je veux seulement décider un cas qui est devant mes yeux, répondit Charles ; quand j’irai à l’étranger, alors ce sera le moment de résoudre votre question. C’est bien assez de connaître ce qu’on doit faire présentement ; or, il est clair pour moi que vous avez mal fait. Comment êtes-vous arrivé à cette chapelle ? — White m’y a conduit. — Alors, il y a dans le monde un homme plus irréfléchi que vous. Y a-t-il beaucoup d’étudiants qui la fréquentent ? — Je l’ignore ; un ou deux y sont venus par curiosité ; ils n’ont pas l’habitude d’y venir, au moins d’après ce qu’on m’a dit. — Eh bien, reprit Charles, il faut que vous me promettiez de ne pas y retourner. Allons, je ne vous lâche pas que vous ne m’ayez fait cette promesse. — C’est trop demander », dit Willis avec douceur. Dégageant alors son bras des mains de son ami, il s’éloigna subitement, en criant : « Au revoir, au revoir ; à notre prochaine partie de plaisir, au revoir ! »

[48] A son origine, c’est-à-dire au moyen âge, le scholarship était une bourse fondée au profit des étudiants pauvres ; aujourd’hui il consiste simplement dans le prix d’un concours auquel tous les étudiants peuvent prendre part, pourvu qu’ils aient dix-neuf ans.

Il n’y avait rien à faire. Charles revint lentement au collége, se disant à lui-même : « Mais, après tout, si l’Église catholique de Rome est la véritable Église ? Je voudrais savoir ce qu’il faut croire, nul ne sait me satisfaire sur ce point, et me voilà ainsi abandonné à moi seul. » Il lui vint ensuite à l’esprit : « Je suppose que j’en sais assez pour ma direction personnelle, plus même que je ne pratique, et je devrais certainement être content et plein de reconnaissance. »

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