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Perte et gain : $b histoire d'un converti

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CHAPITRE II.
Deux nouveaux mariés déjà connus sous un autre aspect.

Le lecteur demandera peut-être où allait Charles. Question embarrassante. Car notre jeune ami lui-même n’avait évidemment qu’une idée très-vague de ce qu’il deviendrait, du lieu même où il fixerait ses pas, et, semblable au patriarche, « il partit ne sachant où il allait ». Il n’avait jamais vu de prêtre catholique, qu’une seule fois dans son enfance, en entrant dans une église de la communion romaine ; dans le monde entier, il ne connaissait aussi qu’un seul catholique, et encore ignorait-il où il était en ce moment. Mais il savait que les Passionnistes avaient un couvent à Londres, et il était assez naturel que, tout en ignorant si le jeune père Louis se trouvait là ou ailleurs, il tournât ses pas vers San Michaele.

Cependant, par un sentiment de sollicitude pour Marie et le reste de sa famille, il ne voulut pas avoir l’air de se rendre directement à Londres. Il résolut donc d’aller à Oxford s’adresser à Carlton, et de lui demander son avis sur ce qu’il y avait à faire dans sa position présente. Il semblait également que cette démarche serait pour les siens comme une dernière chance d’éloigner ce qui leur était une calamité si cruelle.

C’est donc vers Oxford qu’il se dirigea. Comme il avait certaines affaires à régler à Bath, il s’y arrêta pour la nuit, se proposant de continuer son voyage le lendemain matin. Il avait, entre autres choses, à se procurer « le Jardin de l’Ame » et deux ou trois autres livres semblables qui pourraient lui l’être d’un grand secours dans l’acte solennel qu’il allait accomplir à son arrivée à Londres. Dans cette pensée, il entra dans une librairie religieuse de Danvers street. Pendant qu’il était occupé dans l’arrière-magasin à feuilleter quelques ouvrages catholiques, qui, pour le public religieux, avaient moins d’attrait que les brillants volumes évangéliques et anglo-catholiques mis en étalage, il entendit la porte d’entrée s’ouvrir, et, en jetant un coup d’œil, il aperçut un visage connu. C’était un jeune ministre ayant au bras une jolie femme dont la toilette annonçait une mariée de fraîche date. L’amour était dans leurs yeux, la joie dans leurs paroles ; leur démarche et leur mise annonçaient la richesse. Charles se sentit pris d’un grand malaise, à peu près comme un homme qui, atteint du mal de mer, entendrait un des passagers demander des côtelettes de porc. Il se cacha derrière une pile de gros registres et d’autres articles de papeterie. Cela ne put toutefois l’empêcher d’entendre de temps en temps les notes douces et harmonieuses de la conversation qui s’échangeait entre les deux nouveaux venus.

« Avez-vous reçu quelques-uns des bons ouvrages réimprimés dernièrement à Oxford ? dit au commis le jeune marié qui n’était autre que White. — Oui, monsieur ; mais quels sont ceux que vous désirez ? Le Recueil des anciens Théologiens, ou bien, « les Nouvelles Adaptations Catholiques ? » — Oh ! non ; pas les Adaptations ; c’est un ouvrage extrêmement dangereux. Je demande la vraie théologie de l’Église d’Angleterre : Bull, Patrick, Hooker et les autres. » Le commis alla chercher ces auteurs. — Je pense, mon chéri, que c’est contre ces Adaptations que l’évêque nous a prévenus, dit la jeune dame. — Non, pas l’évêque, Louisa, mais sa fille. — Oh ! miss Primrose, c’est vrai. Elle nous a aussi recommandé un livre ; vous rappelez-vous lequel ? — Vous vous trompez, mon amour, c’était un discours : celui de M. O’Ballaway à Exeter Hall ; mais je pense qu’il ne serait pas entièrement de notre goût. — Non, non, Henri, c’était bien un livre, mais je ne puis m’en rappeler le titre. — Vous voulez dire, peut-être, « la Nouvelle Réfutation du Papisme » du docteur Grow ; mais celui-là, c’est l’évêque qui nous l’a recommandé. »

Le commis revint. « Oh ! quelle délicieuse figure ! s’écria la jeune dame, en regardant le frontispice d’un petit volume qu’elle tenait ; voyez, mon cher Henri, qui cela vous rappelle-t-il ? — Eh bien, on a voulu représenter saint Jean-Baptiste. — Il ressemble à la petite Angelina Primrose ; ce sont ses cheveux. Je suis étonnée que cette ressemblance ne vous frappe pas. — Oui, oui, elle me frappe, mon bijou, dit White en souriant. Mais il se fait tard, vous ne pouvez rester plus longtemps exposée au grand air : vous n’avez rien pour couvrir votre cou. J’ai choisi mes livres, tandis que vous admiriez le petit saint Jean. — Je ne puis me rappeler qui lui ressemble si fort… oh ! je l’ai trouvé : c’est la tante d’Angélina, lady Constance. — Venez, Louisa, les chevaux pourraient également avoir à souffrir, retournons chez nos amis. — Ah ! mais je voulais avoir un livre ; j’ai oublié lequel. Nommez-le-moi, Henri, je serais si fâchée de ne l’avoir pas acheté ! — Est-ce le nouvel ouvrage sur le chant grégorien ? — Ah ! c’est vrai, j’en ai besoin pour les enfants de l’école ; mais ce n’est pas celui-là. — Est-ce « le Presbytère Catholique ? » « les Chants des Apôtres ? » « l’Église d’Angleterre plus ancienne que celle de Rome ? » « l’Anglicanisme des martyrs primitifs ? » « les Aveux d’un Perverti ? » « Eustache Beville ? » « le Célibat modifié ? » — Non, non, non ; mon Dieu ! quelle sotte mémoire ! — Eh bien, Louisa, vous reviendrez un autre jour ; ne restez pas plus longtemps, ma chère ; cela suffit. — Oh ! je m’en souviens ; ce sont « les Abbayes et les Abbés ». J’ai besoin de quelques idées pour la restauration des fenêtres du presbytère, lorsque nous reviendrons à la maison ; et puis, notre église, vous le savez, manque d’un porche pour les pauvres. Ce livre est rempli de dessins. » On trouva le livre, et il fut ajouté aux autres, qui avaient déjà été portés dans la voiture. « Maintenant, Louisa… — Eh bien, mon chéri, nous avons encore une course à faire. Dites à John de nous conduire chez Sharp. Nous pouvons nous y rendre par la Pépinière. Ce n’est qu’à deux pas de notre route. J’ai besoin de dire un mot à cet homme relativement à notre serre. Il n’y a pas de bon jardinier dans notre voisinage. — A quoi bon y aller maintenant ? Louisa, nous ne reviendrons pas chez nous avant un mois » ; et ce disant, White, avec une humble résignation, ordonna au cocher de les conduire chez le pépiniériste que Louisa désirait voir ; il fit en même temps entrer sa femme dans la voiture, et y monta après elle.

Dès qu’ils furent sortis, Charles respira librement. Un texte sévère de l’Écriture lui vint à l’esprit, mais il réprima tout sentiment de censure, toute pensée peu charitable, et il ne songea plus qu’aux devoirs difficiles qu’il avait à accomplir.

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