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Perte et gain : $b histoire d'un converti

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CHAPITRE XIII.
Perplexités d’une bonne sœur.

L’entretien que nous venons de rapporter n’avait donné aucune satisfaction ni aucun soulagement aux anxiétés du frère et de la sœur. « Je ne puis trouver nulle part de sympathie, se disait Charles. Marie ne me comprend pas plus que les autres. Je ne puis manifester mes pensées et mes sentiments ; et si j’essaie de le faire, mes propositions et mes arguments me paraissent absurdes à moi-même. Ç’a été un grand effort de me confier à elle ; et, en un sens, c’est autant de gagné, car c’est une épreuve surmontée ; mais autrement je n’ai rien obtenu par mon initiative, et j’aurais aussi bien fait de me taire. Je n’ai réussi qu’à la chagriner sans soulager mon cœur. Par parenthèse, elle est partie croyant le cas deux fois plus grave qu’il ne l’est. J’allais la remettre dans le vrai, lorsque Caroline est entrée. Ma seule difficulté regarde les ordres, et elle croit que je vais me faire Catholique Romain. Quelle absurdité ! Mais les femmes vont vite en besogne ; donnez-leur un pouce, et elles prennent une aune. Je ne connais pas les Catholiques Romains. Toute la question est de savoir si je m’attacherai au barreau ou à l’Église. J’avoue que je me suis exagéré beaucoup les choses à moi-même ; j’aurais dû commencer par ceci avec elle : « Savez-vous, aurais-je dû lui dire, que j’ai sérieusement envie d’étudier le droit ? » J’ai tout embrouillé.

La pauvre Marie, de son côté, était dans un trouble d’esprit et de cœur aussi pénible que nouveau pour elle ; cependant les affaires du ménage et ses devoirs obligés envers ses plus jeunes sœurs détournèrent un moment ses pensées. A dire vrai, elle avait été prise au mot ; elle s’attendait peu à ce qui allait lui arriver, quand elle s’était engagée à accepter le chagrin, tandis qu’elle laissait les livres à Charles. La douleur, elle l’avait connue naguère ; mais jusqu’alors, elle ne connaissait pas l’anxiété. L’état de l’esprit de son frère avait été pour elle jusque là un simple sujet d’étonnement ; mais dès que cet état lui eut été manifesté clairement, elle en fut effrayée et révoltée. C’était comme si Charles avait perdu son identité et se fût changé en un autre homme ; c’était comme si jusque là il avait trompé sa confiance. Elle avait vu dans les journaux qu’il s’agissait beaucoup du « parti d’Oxford » et de ses actes. Dans différents lieux où elle avait été en visite, elle avait entendu parler d’églises qui suivaient la nouvelle mode, et d’ecclésiastiques accusés, en conséquence, de Papisme, reproche dont elle s’était moquée. Mais maintenant on lui apprenait dans sa maison même qu’il y avait quelque chose de vrai dans ces bruits. La chose toutefois restait incompréhensible à son esprit, et elle savait à peine où elle en était. Et que, de toutes les personnes du monde, son frère, son propre Charles, avec qui de tout temps elle n’avait fait qu’un cœur et qu’une âme, que ce frère, jadis si aimable, si religieux, si bon, si sensé, si prudent, pût être le premier qui jetât sur sa voie les nouvelles opinions ; cela la mettait hors d’elle-même.

Et où Charles avait-il puisé ses idées ? Des idées ! elle ne pouvait les appeler de ce nom ; il n’avait rien à donner pour excuse ; c’était un enivrement. Lui, si intelligent, d’un esprit si perçant, comment ! il n’avait rien de mieux pour sa justification que de dire que la femme de l’évêque de Monmouth était trop jolie, et que le vieux docteur Stock s’asseyait sur un coussin ! Oh ! tout cela était bien triste, en vérité ! Et comment se faisait-il qu’il fût insensible aux bienfaits de son Église, bienfaits dont il avait joui toute sa vie ! Que lui manquait-il ? Pour elle, tout était selon ses désirs : aller à l’église faisait son bonheur. Elle aimait à entendre les leçons et les collectes revenant chaque année et marquant les différentes saisons. Les livres historiques et les prophètes, en été ; la collecte : « Levez-vous » pour annoncer l’Avent ; les belles collectes de l’Avent lui-même avec les leçons d’Isaïe, qui se prolongent jusque dans le temps de l’Épiphanie : tout cet ensemble était une vraie musique à son oreille. Les psaumes, à leur tour, variant tous les dimanches, étaient pour son cœur une consolation perpétuelle, toujours ancienne, et cependant toujours nouvelle. Les additions de circonstance aussi : le Symbole d’Athanase, le Benedictus, le Deus misereatur et l’Omnia opera, que son père avait coutume de lire aux grandes fêtes ; et la belle litanie ; toutes ces choses n’étaient-elles pas ravissantes ? Que pouvait-il désirer de plus ? où pourrait-il en trouver autant ? C’était un mystère pour sa raison, et elle ne pouvait que se sentir pénétrée de reconnaissance de n’être pas exposée aux tentations, quelles qu’elles pussent être, qui avaient agi sur l’esprit si solide de ce frère bien-aimé !

Puis, elle s’était bercée de la douce pensée de voir Charles ministre et de l’entendre prêcher ; d’avoir quelqu’un à qui elle aurait le droit d’adresser des questions, de demander des conseils quand elle le désirerait. Ce rêve était fini ; elle ne pouvait plus compter sur son frère ; il avait fait à sa confiance une blessure que le temps ne pourrait cicatriser : cette confiance avait disparu pour toujours. Charles était le seul homme de la famille ; il était son seul soutien, maintenant que le père était mort. Qu’allaient-elles devenir, elles pauvres femmes ? Être délaissée par son propre frère, oh ! que c’était dur !

Et comment allait-elle préparer sa mère à ce coup terrible ? Car il fallait bien que, tôt ou tard, cette triste affaire fût connue. Elle ne pouvait se faire illusion ; elle connaissait assez son frère pour être sûre que lorsqu’il s’était mis réellement une chose en tête, il ne l’abandonnait point sans des raisons convaincantes, et elle ne voyait pas celles qui pourraient le détourner de ces idées s’il avait des motifs pour les garder. Le moyen de résoudre le problème confondait toute raison, tout calcul. Mais enfin, comment devait-elle apprendre ce malheur à sa mère ? Valait-il mieux le lui laisser soupçonner et le lui faire arriver ainsi, ou fallait-il attendre jusqu’à l’accomplissement du fait ? La question était trop difficile à résoudre pour le présent, et elle préféra l’abandonner.

Telle fut la situation de Marie pendant plusieurs jours jusqu’à ce que l’excitation de son esprit se changeât en un état dont une anxiété triste était l’élément latent et habituel. Cette anxiété la quittait d’ordinaire à l’heure de ses occupations, mais elle se trahissait de temps à autre par des soupirs subits et profonds, ou par l’égarement de ses pensées. Ni le frère ni la sœur, tout en s’aimant autant que jamais, n’avaient cette douceur et cette égalité de caractère qui leur étaient naturelles ; il fallait maintenant veiller sur soi, et, sans qu’on pût en dire la cause, le cercle du soir était plus triste qu’autrefois, Charles était plus attentif envers sa mère ; pour être davantage avec elle, il n’apportait plus ses livres dans le salon. Il faisait la lecture à haute voix, mais il causait peu ; aussi Élisa et Caroline désiraient que son examen fût passé, afin qu’il pût reprendre sa gaîté naturelle.

Quant à Mme Reding, ses observations allaient simplement à constater que son fils était un étudiant intrépide, et qu’il se refusait une promenade ou une course à cheval, quelque beau temps qu’il fît. C’était une personne douce et tranquille, aux sentiments vifs et aux habitudes réglées, mais d’un esprit peu observateur. Elle avait vécu toute sa vie à la campagne, et jusqu’à sa récente infortune ayant à peine connu le chagrin, elle était entièrement incapable de comprendre comment les choses peuvent marcher, sinon d’une seule manière. Charles ne lui avait pas dit le motif réel de son séjour à la maison pendant l’hiver, jugeant que c’eût été l’affliger en pure perte ; encore moins avait-il songé à la fatiguer par l’exposé de ses difficultés religieuses, qu’elle n’aurait pu apprécier ; c’eût été, également, sans résultat positif. Quant à sa sœur, il essaya de lui donner une explication de sa conversation antérieure, dans la pensée d’adoucir les craintes extrêmes qu’il avait fait naître dans son esprit. Marie reçut l’explication avec reconnaissance, et déclara qu’elle était consolée. Mais le coup était porté, le soupçon était profondément entré dans son âme ; c’était toujours Charles, son bien-aimé Charles comme auparavant, mais elle ne pouvait bannir de son esprit le cruel pressentiment qu’elle avait exprimé dans son entretien.

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