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Perte et gain : $b histoire d'un converti

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CHAPITRE IV.
Une conversation d’actualité.

Tandis que Charles apprenait, dans le salon de son ami, jusqu’à quel point le monde s’intéressait à sa position et à ses actes, il servait au même moment de sujet de conversation à la société réunie dans le réfectoire voisin. Le thé et le café avaient déjà été servis, et les convives, s’étant levés de table, formaient un cercle autour du feu. « Quel est ce M. Reding dont il est parlé dans la Gazette de la semaine dernière ? » demandait un petit monsieur, tiré à quatre épingles, qui buvait son thé à petites gorgées et se levait sur la pointe des pieds, tout en parlant. « Vous n’irez pas chercher loin la réponse », répondit son voisin, qui, se tournant vers leur hôte, ajouta : « Carlton, qui est ce M. Reding ? — Un très-aimable et fort honnête garçon. Plût à Dieu que nous fussions tous aussi bons ! Il a travaillé avec moi durant une de ses grandes vacances ; c’est un excellent étudiant, et il doit avoir réussi dans son examen. Je n’ai plus entendu parler de lui depuis quelque temps. — Il a d’autres amis ici », dit un nouvel interlocuteur : « Je pense », se tournant vers un jeune Fellow de Leicester, « que vous, Sheffield, avez été intimement lié avec lui. — Oui, répondit Sheffield ; Vincent le connaît aussi. C’est un jeune homme de premier mérite. Je le connais parfaitement. L’assertion de la Gazette sur son compte est fausse. Je n’ai jamais vu un étudiant qui se préoccupât moins de ses succès. C’était là son plus grand défaut. — Pourtant il y a du vrai dans cette nouvelle, ajouta un autre convive. Hier, j’ai rencontré à un dîner M. Malcolm, qui paraît avoir des relations avec la famille de M. Reding ; il m’a dit que les idées religieuses de ce jeune homme l’ont jeté hors de la voie et ont gâté ses études. »

La conversation n’était pas générale ; elle se morcela en plusieurs groupes, selon que les convives se trouvaient réunis. Le sujet, non plus, n’était pas du goût de tous ; il était même plutôt pénible et désagréable à toute la société, à l’exception de deux ou trois individus curieux et difficiles, qui vivaient d’opposition au Catholicisme. En outre, à cette époque, il arrivait souvent dans de semblables réunions qu’on ne connaissait pas exactement les idées de son voisin sur cette question majeure, et qu’il s’y trouvait aussi, comme dans le cas actuel, des amis de la personne accusée ou calomniée. Puis, d’ailleurs, on avait le noble sentiment et la conviction profonde du sacrifice accompli par ces hommes qui se séparaient de l’Église d’Angleterre, ce qui empêchait d’en parler avec malveillance.

« Croyez-vous avoir beaucoup à faire pour les examens de ce trimestre ? dit un convive à un autre. — Je l’ignore. Nous avons deux étudiants qui s’en vont, deux bons élèves. — Qui vient à la place de Stretton ? — Jackson de King. — Jackson ? vraiment ? il est, je crois, très-fort en philosophie. — Oui, très-fort. — Nos étudiants connaissent bien leurs livres, mais je ne dirais pas que la philosophie soit leur vocation. — Leicester en présente quatre. — Ce sera une belle liste de classe, d’après ce que j’entends. — Ah ! oui ; à la Saint-Michel, la liste est toujours bien fournie. »

Cependant dans un autre groupe la conversation roulait sur le pauvre Charles. « Non, croyez-moi, l’article de la Gazette est plus fondé que vous ne pensez. En général, il y a beaucoup de mécomptes au fond de tous ces changements. — Pauvres diables ! ils n’en peuvent mais, dit un autre à son voisin, à voix basse. — Heureuse délivrance, après tout, repartit celui-ci ; nous aurons un peu de paix, enfin. — Eh bien, dit le premier des deux, en s’étirant et parlant en l’air, comment un homme bien élevé peut-il…? » Sa voix fut couverte par la parole grave d’un petit homme qui jusque là avait gardé le silence, et qui, passant sa tête entre les deux interlocuteurs, s’adressa d’un ton décisif à un groupe qui était plus loin : « Tout cela, dit-il, est l’effet du rationalisme ; le mouvement tout entier est rationaliste. D’ici à trois ans, tous ces hommes qui viennent d’apostasier seront infidèles. » Personne ne répondit. A la fin, un autre membre de la réunion s’avança vers l’ami de M. Malcolm et lui dit d’un ton mesuré : « Peut-être ne savez-vous pas qu’il y a quelque chose de dérangé dans M. Reding (et il toucha son front d’une manière significative) ; on m’a assuré que c’était un mal de famille. » Une voix profonde, puissante, et résonnante comme « la grande cloche de Bow », s’éleva d’un coin de la salle, comme pour mettre fin à la conversation : « Je respecte infiniment Reding, dit-elle brusquement ; j’ai une grande estime pour lui. C’est un honnête homme ; je voudrais que d’autres lui ressemblassent. S’il en était ainsi, de même que les Puséistes se font Catholiques, peut-être verrions-nous le vieux Brownside et sa clique devenir Unitaires. Mais ces messieurs préfèrent ne pas bouger. »

La plupart des personnes présentes sentirent la vérité de cette remarque, et il y eut un moment de silence. Il fut interrompu par un individu à la voix claire et glapissante. « Avez-vous jamais ouï dire, demanda-t-il en balançant sa tête ou plutôt tout son corps, vous est-il jamais arrivé, Sheffield, d’entendre dire que ce gentleman, votre ami M. Reding, lorsqu’il était étudiant de première année, avait eu une conversation avec quelque attaché de la chapelle papiste dans cette ville, à la porte même de cette chapelle, après le départ des étudiants pour les vacances ? — Impossible, Fusby, dit Carlton en riant. — C’est très-vrai, reprit Fusby ; je le tiens du sous-maréchal, qui passait en ce moment. Depuis plusieurs années j’ai les yeux sur M. Reding. — Ce rapport paraît exact, répliqua Sheffield, car cela aurait eu lieu, au moins, voyons, il y a cinq ou six ans. — Oh ! continua Fusby, vous en verrez encore deux ou trois suivre Reding. — Eh bien, Fusby, dit Vincent, qui avait entendu par hasard et qui s’avança vers eux, vous ressemblez aux trois vieilles femmes de la Fiancée de Lammermoor qui voulaient soigner le cadavre du seigneur de Ravenswood. » Fusby s’inclina, mais ne répondit point. « Pas tous les trois à la fois, j’espère, reprit Sheffield. — Oh ! c’est tout à fait une concentration, une quintessence du sentiment protestant, répondit Vincent ; je me considère comme un bon Protestant ; mais le plaisir que vous avez à pourchasser ces messieurs est complétement sensuel, Fusby. » Le domestique du réfectoire entra en ce moment et annonça tout bas à Carlton qu’un étranger l’attendait chez lui.

« Quand pensez-vous que vos jeunes gens vous arrivent ? demanda Sheffield à Vincent. — Samedi prochain. — Ils viennent toujours tard, reprit le premier. — Oui, le collége de Christ-Church s’est ouvert la semaine dernière. — Celui de Saint-Michel s’est également ouvert, dit Sheffield : nous aussi, nous avons commencé nos cours. — Nous avons un motif pour commencer un peu plus tard ; plusieurs de nos étudiants viennent du Nord et de l’Irlande. — Ce n’est pas une raison, avec les chemins de fer. — J’apprends qu’on a commencé le nôtre, dit Vincent, je croyais que l’Université s’y opposait. — Le Pape a cédé, reprit Sheffield ; nous pouvons bien faire de même. — Ne me parlez pas du Pape, repartit Vincent ; j’en suis dégoûté, du Pape. — Le Pape ? demanda Fusby, qui venait de saisir ce mot, avez-vous entendu dire que sa sainteté vient en Angleterre ? — Oh ! oh ! s’écria Vincent, le Pape venir en Angleterre ! Je ne puis résister à cela, il faut que je parte. Bonsoir, Carlton : où est ma toge ? — Je crois que le domestique du réfectoire l’a appendue à la muraille dans le couloir ; mais vous devriez rester et me protéger contre Fusby. » Vincent ne l’écouta pas. Fusby, non plus, ne profita pas de l’avertissement ; de sorte que le pauvre Carlton, avec la certitude qu’on l’attendait chez lui, eut à soutenir une bonne demi-heure de tête-à-tête avec ce dernier, qui lui parlait in extenso du pape Grégoire XVI, des jésuites, des hommes suspects de l’Université, de Mède sur l’Apostasie, du relief Bill des Catholiques, du traité du docteur Pusey sur le Baptême, de la Justification, et de la nomination des professeurs de l’établissement Taylor.

A la fin, cependant, Carlton fut libre. Il traversa la cour à pas précipités, monta rapidement son escalier, ouvrit la porte avec empressement et se dirigea vers son salon. En ce moment, une personne se levait pour venir à sa rencontre : Impossible ! et pourtant c’était vrai. « Quoi ! Reding ! s’écria-t-il. Qui l’aurait cru ? Quel bonheur ! nous étions précisément… Quel vent vous amène ici ? » ajouta-t-il d’une voix émue ; puis, d’un ton grave : « Reding, où en êtes-vous ? — Pas encore Catholique », répondit Charles. Il y eut un moment de silence. Cette réponse disait beaucoup : c’était un soulagement, mais aussi un avis indirect. « Asseyez-vous, mon cher Reding ; désirez-vous prendre quelque chose ? Avez-vous dîné ? Quel plaisir de vous revoir, mon vieil ami ! Est-il donc vrai que nous allons vous perdre ? » Ils furent bientôt en conversation sur le grand sujet.

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