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Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée

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Comment Raimondin retourna devers sa dame et vit une chappelle que oncques mais n’avoit veue.

L’istoire nous dit que tant chevaucha Raimondin qu’il vint à Colombiers et trespassa la villette, et se mist sur la montaigne et alla tant qu’il apperceut la prarie qui est dessoubz la roche qui estoit audessus de la fontaine de soif, et apperceut ung hostel fait de pierre, en manière d’une chappelle ; et sachiés que Raimondin y avoit esté pluiseurs fois, mais oncques ne l’avoit veue ; et quant il approucha plus prez, il apperceut devant le lieu pluiseurs damoiselles, chevaliers et escuiers, qui luy firent grant feste et le loèrent grandement, dont il s’esmerveilla moult fort, car l’ung luy dist : Sire, descendez, et venez par devers ma dame, qui vous attent en son pavillon. Par ma foy, dist Raimondin, ce me plait. Tantost descendit et s’en alla avec eulx, qui le conduirent vers la dame moult honnourablement. Et adonc la dame le prinst par la main et l’amena dedens le pavillon, et se assirent ensemble, main à main, sur une riche couche, et tous les aultres demourèrent dehors. Adonc commença la dame à aresonner Raimondin, et lui dist en ceste maniere : Mon amy, je sçay bien que vous avez bien tenu tout ce que je vous avoie introduit ; si en auray desoresmais plus grant fiance en vous. Dame, dist Raimondin, j’ay trouvé si bon commencement en vos parolles, que vous ne me sçaurez chose commander que corps humain puisse ou doibve bonnement comprendre, que je ne vueille faire et entreprendre à vostre plaisir. Raimondin, dist-elle, pour moy ne entreprendrez-vous nulle chose de quoy vous ne venez à bon chief. Adoncques vint ung chevalier qui se agenoilla devant elle et le honnoura moult, et dist en adressant ses parolles à la dame : Ma dame, il est tout prest quant il vous plaira. Et la dame lui respond et dist : Couvrez-vous, sire. Et adoncques estoit tout prest et appareillé, si lavèrent et s’assirent, Raimondin et la dame, à une moult riche table ; et aval le pavillon avoit grant foison des aultres tables dressées, où avoit moult de honnourables gens assis. Et quant Raimondin vist cet appareil, il fut moult esmerveillé, et demanda à sa dame dont tant de peuple luy estoit venu ; et ad ce la dame luy respondist rien ; pour quoy Raimondin luy va demander de rechief : Ma dame, dont vous viennent tant de gens et de si belles damoiselles ? Par ma foy, dist la dame, Raimondin, mon amy, il n’est pas besoing que vous en donnez merveilles, car ilz sont tous en vostre commandement, et appareillez de vous servir, et moult d’aultres que maintenant vous ne voiés pas. A tant se taist Raimondin, et lors on apporta les metz à si grant habondance que c’estoit merveilles à regarder. Mais de ce ne vous vueil plus long plait faire : car quant ilz eurent disné et les napes furent ostées, ilz lavèrent les mains, et aprez les graces furent dictes et toutes choses faictes. La dame prinst Raimondin par la main et le mena rasseoir sur la couche, et à tant chascun se retraist là où il leur pleut à retraire, ou que faire le devoient selon leur estat.

Lors dist la dame à Raimondin : Mon amy, à demain est le jour que les barons de Poetiers doibvent faire hommaige au jeune conte Bertrand ; et sachiez, mon amy, que il vous y fault estre et faire ce que je vous diray, s’il vous plaist. Or, entendez et retenez mes parolles. Vous attendrez là tant que tous les barons auront fait leur hommaige ; et lors vous vous trairez avant, et demanderez au jeune conte ung don pour le salaire et remuneration que oncques vous fistes à son père ; et luy dictes bien que vous ne luy demandez ne ville, ne chasteau, ne fortresse, ne aultre chose que gaires luy couste. Et sçay bien que il le vous accordera, car les barons luy conseilleront ; et tantost qu’il vous aura accordé vostre requeste, si luy demandez en ceste roche et à l’environ autant de place que ung cuir de cerf peut comprendre et enclore. Et il vous le donra si franchement que nul ne pourra mettre aulcuns empeschemens pour raison et hommaige de fief, ne par charge de rente ou aultre redevance quelconque. Et quant vous aura ce accordé, si en prenez et faictes tant que vous en avez bonnes chartres et lettres seelées du scel de la dicte conté et des seaulx des pers du pays. Et quant vous aurez tout ce fait, le lendemain, en vous en venant, vous trouverez ung homme portant en ung sac ung cuir de cerf conroié en allant tout en une pièce moult gentement et sentivement. Et tantost l’achettez tout ce que le vous fera, et puys faictes ce cuir taillier en une couroie le plus deslié que on le pourra faire bonnement, et puys vous faites delivrer vostre place que vous trouverez toute taillée et ordonnée où il me plaira que vostre place se comporte ; et au rapporter les bous ensamble, se la couroie croist, faictes le remener contre val la vallée, et illec souldra une fontaine, où naistra et courra ung ruissel assez grant, que ung temps advenir aura bien besoing en cestuy pays. Allez et faictes hardiement, mon amy, et ne faictes doubte de riens, car toutes vos besongnes seront bonnes et bien faictes. Et vous retournerez à moy icy le lendemain quant on vous aura delivré vostre don, et en prenez les lettres et chartres. Et adoncques il respondist : Ma dame, je feray à mon povoir tout vostre plaisir. Lors se entrebaisèrent moult doulcement et prindrent congié l’un de l’aultre. Et à tant se taist l’istoire de plus en parler, et commence à parler de Raimondin, qui monta tantost à chevau, et s’en alla tirant à Poetiers le plus tost qu’il peut oncques chevaucher.

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