Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée
Comment Raimondin trouva ung homme qui portoit ung cuir de cerf, et l’achetta.
Or dist l’istoire que quant Raimondin eut ouy la messe et fait sa devotion, que il saillist hors du moustier neuf, et à l’issue de l’abbaie, au delà du chasteau, il trouva ung homme qui portoit ung cuir de cerf sur son col, qui luy vint à l’encontre et luy dist en ceste maniere : Sire, acheterez-vous ce cuir de cerf que j’ay en mon sac, pour faire bonnes cordes chasseresses pour vos veneurs ? Par ma foy, dist Raimondin, ouy, se te veulx ; et que coustera-il, en ung mot, ainsi qu’il est ? Par ma foy, sire, vous en paierez cent soulbz se vous l’avez. Amy, dist Raimondin, apportez le en mon hostel, et je vous paieray. Et il luy respondist : Voulentiers. Adoncques il suyt Raimondin jusques à son hostel et luy bailla le cuir, et il le paia. Et après manda Raymondin ung sellier, et luy dist ainsi : Mon amy, il fault, se il vous plait, que vous me taillez tout ce cuir le plus delié que vous pourrez, en forme d’une courroie qui se entretiengne tant que vous le pourrez faire courrir. Et ainsi le fist le sellier ; et puys le mirent arrière au sac ainsi taillé. Que feroye ores plus long prolongation ? Il est vray que ceulx qui commis estoient à luy faire la delivrance de son don se departirent de Poetiers, et Raimondin avecques eulx ; et tant chevauchèrent ensamble qu’ilz vindrent sur la montaigne qui estoit au dessus de Colombiers. Et lors ilz apperceurent sur la roche de la fontaine de Soif que on y avoit fait grant trenchée et abbatis d’arbres d’une part et d’aultres, dont ilz se prindrent moult fort à esmerveiller : car oncques mais ilz n’avoient veu illec d’arbres trenchez, ne nul temps aulcuns tronches. Adoncques Raimondin, qui bien apperceut que la dame y avoit ouvré, se teut. Et quant ilz furent en la prarie, ilz descendirent et jettèrent le cuir hors du sac.