Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée
Comment les prisonniers que Geuffroy avoit delivrez mirent le gayant sur une charette et l’amenèrent avecques eulx.
Aprez mirent le gayant sur une charrette en son estant, et le lièrent tellement qu’il ne povoit cheoir, et puys boutèrent le feu partout en la tour. Et, ces choses faictes, ilz radressèrent Geuffroy au lieu où il avoit laissé son chevau, sur lequel il monta, et descendirent tous la vallée, atout l’avoir, dont chascun en avoit sa part, et firent mener la charette où le gayant estoit à .vi. beufz, et tant qu’ilz vindrent aux chevaliers, et trouvèrent les chevaliers de Geuffroy, et bien la plus grant partie de ceulx du pays, nobles et non nobles, qui tous festoièrent et firent grant honneur à Geuffroy, et luy voulurent faire grans presens, mais il n’en voulut riens prendre, ains prinst congié de tous, et se partist d’eulx. Et ceulx menèrent par toutes les bonnes villes le gayant, duquel veoir les gens en furent moult esmerveillez, et comme ung homme seul osast assaillir ung tel Sathanas ; et le tindrent à tresgrandement hardi. Et si se taist l’istoire d’en plus parler, et retourne à parler de Geuffroy.
En ceste partie dist l’istoire que tant erra Geuffroy qu’il vint à Monjouet en Guerende, où ceulx du pays luy firent grant feste ; et pour lors estoit venu Raimonnet, son frère, pour l’informer du couroux que leur père avoit et des parolles qu’il avoit dictes sur luy, et luy racompta et dist depuys le commencement jusques en la fin, et comment leur mère estoit partie, et toute la manière, et comment le premier commencement de sa departie estoit par leur oncle, le conte de Forestz, et comment elle avoit dit, à son departir, qu’elle estoit fille du roy Elinas d’Albanie. Et quant Geuffroy oyt ce mot, il luy souvint du tableau qu’il avoit trouvé sur la tombe du roy Elinas, et par ce sceut au cler que luy et ses frères estoient descendus de la lignée, dont il s’en tint plus chier. Mais ce non obstant, il fut moult doulent de la departie de sa mère et de la douleur de son père, et congneut adonc que ceste mauvaise adventure avoit esté engendrée par le conte de Forestz, son oncle, dont il jura la benoite Trinité qu’il le comparroit. Adonc il fist monter son frère et ses .x. chevaliers, et chevaucha vers Forestz, et eut nouvelles que le conte son oncle estoit en une fortresse qui estoit assise sur une roche moult haute ; et estoit celle fortresse pour celluy temps nommée Jalensi, et de present on l’appelle Marcelli le Chasteau.