← Retour

Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée

16px
100%

Comment Antoine et Regnault desconfirent le roy d’Anssay devant Lucembourg, et comment le roy fut pris.

Adonc le roy, qui fut fort vaillant homme et roide, cria à haulte voix : Anssay, Anssay ! avant, seigneurs barons, ne vous esbaissiez pas, car la journée est nostre ; et disoit : Faisons poindre leurs chevaux, en disant : entretenons-nous ensamble, et tantost les verrez tous desconfis. Adoncques se rassemblèrent entour leur roy, et firent une fière envaye aux Poetevins ; là eut maint homme mort et occis à grant douleur. La matinée fut belle et clère, et le soleil resplendissoit sur les bassines qui faisoit reluire l’or, l’argent et l’azur, et les couleurs des banières et des panons ; les destriers brandissoient, et les pluiseurs alloient par les champs sans point de maistre, leur raines trainans. Adonc la noise fut moult grande du charpentis des espées et des haches, du bruyt et du cry des abattus et navrez, et du son dez trompettes ; et pour ce entendirent ceulx de la ville l’effroy, et coururent aux armes et chascun à sa garde ; car moult fort se doubtoient de traïson. Adoncques l’escuier qui là estoit venu pour anuncer le secours et estoit en la maistre tour avecques la pucelle et la damoiselle, il oyt la noise, et bouta son chief dehors par une fenestre, et lors il aperceut la bataille moult fière et mortelle, et bien congneut, entre les aultres combatans, que c’estoient Anthoine et Regnauld qui estoient venus combatre le roy et ses gens ; si s’escria moult hault : Ma damoiselle, venez veoir fleur de chevalerie, proesse et hardiesse ; venez veoir honneur en son siége royal et en sa majesté ; venez veoir le dieu d’armes en sa propre figure. Amy, dist la damoiselle, qu’esse que vous me dictes ? Je vous dis, dist le chevalier, que vous venez veoir toute la fleur de chevalerie, noblesse et toute courtoisie, qui de long pays est cy venue pour combattre vos ennemis, pour vostre honneur garder, et vostre pays et vos gens. Ce sont les deux enfans de Lusignen qui vous sont venus deffendre et garder du roy d’Anssay et toute sa puissance, et de adventurer leur honneur et leur vie, et pour vostre honneur garder. Adoncques vint la damoiselle à la fenestre, et regarda la mortelle bataille et horrible meslée. Adoncques commença à dire en ceste manière : Vray Dieu, que fera ceste povre orpheline ? Mieulx vaulsist que je me fusse noyée ou fait mourir d’autre mort cruelle ou que je fusse mort née, que tant de nobles creatures fussent periez pour mon pechié. Moult fut la pucelle dolente en son cuer du grand meschief qu’elle voit qui vient par elle, et de la grosse bataille ; et pour vray l’occision fut moult grande d’une part et d’autre, car le roi reconforta ses gens et leur rendit moult grant cœur ; car à celluy poindre fist moult grant dommaige le roy au Poetevins. Et voyant Anthoine le grant dommaige que le roy d’Anssay luy faisoit, il luy en despleut moult. Par ma foy, dist-il, sire roy, vostre dureté sera moult courte ou la mienne. J’aime mieulx à morir que je veisse ainsi murtrir mes gens devant moy. Et adoncques Anthoine commença à poindre le chevau des esporons par grant fierté, comme couroussé contre le roy, l’espée au poing, et le ferit sur le bassinet par telle force que il le fist embrancher et encliner sur le col du chevau, si estourdi que il ne sceut se il estoit jour ou nuyt, ne il n’eut force ne pouvoir de soy aidier ne soustenir ; et ce voyant Anthoine, il rebouta son espée au fourel et le print par my le corps et le tira hors du chevau, et le jeta si roidement encontre la terre que peu faillist que il ne lui crevast son cœur ou son ventre ; et puys il le bailla à quatre chevaliers à garder, et leur commanda sur leur vie que ilz luy en sceussent respondre, et ilz luy disdrent que si feroient-ilz. Adoncques le lièrent et l’emportèrent hors et destournèrent dessoubz un arbre, et appelèrent de leurs gens vingt et cinq bassines pour le aider à garder. Et aprez ces choses faictes, Anthoine retourna à la bataille en criant à haulte voix : Lusignen, avant, barons, frappez tant fort que vous pourrez, sans espargnier ; la journée est à nous, la Dieu mercy, car j’ay pris le roy d’Anssay, qui tant a fait de vilonnie à la pucelle Cristienne. Lors y eubt rude meslée, et là firent les deux frères tant d’armes, que chascun qui les veoit disoit que oncques mais n’en virent deux chevaliers qui tant en fissent. Que vous vauldroit ores long compte ? Quand les Anssoys sceurent que leur roy estoit pris, il n’y eubt oncques deffence ; mais furent tous que mors que pris. Et là gaignèrent Poetevins noble conqueste, et se logèrent ès pavillons du roy d’Anssay et de ses gens. Et adoncques fut mené le roy à la tente de Anthoine, qui estoit logé en la propre tente qui avoit esté au roy d’Anssay ; et adoncques il ne se peut tenir qu’il ne leur dist : Par foy, damoiseaulx, bien dist vray celluy qui dist : En peu d’eure Dieu labeure ; car au jour d’huy matin on n’eut gaires fait de chose ceans pour vous. Sire roy, dist Anthoine, c’est pour vostre musardie et pour vostre pechié, qui faictes guerre aux pucelles sans cause, et les volez avoir par force. Et sachiés que vous en serez bien paié selon vostre droit ; car je vous renderay en la subjection de celle que vous voulez avoir par force subjecte. Adonc quand le roy l’entendit, il fut moult honteux, et luy respondist moult tristement : Or puys qu’il m’est ainsi infortueusement advenu, j’aimes mieulx ma mort que ma vie. Nenny, dist Anthoine, je vous renderay en la merci et en la subjection sans doubte de la pucelle.

Chargement de la publicité...