Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée
Comment le roy Zelodus et les aultres Sarrazins furent ars et brulés.
Aiglentine la pucelle adonc fut moult lie de la desconfiture des Sarrazins, et aussi de la victoire et de la venue de son oncle ; mais non obstant elle avoit si grant douleur au cœur de la mort de son père, qu’elle ne le povoit oublier ; et neantmoins, quant elle approucha de son oncle, si s’enclina et le bien viengna moult doulcement en disant : Mon treschier oncle, vous soiez le tresbien venu ; pleut à Dieu que vous fussiés arrivé deux jours plus tost ; vous eussiés trouvé mon père en vie, que Zelodus a fait occir, et puys l’a fait bruler, pour plus vituperer la foy catholique. Et quant le roy l’entendit, il fut moult doulent, et jura Dieu et ses saintz que autant en feroit faire du roy Zelodus et de tous ses Sarrazins qu’il pourroit trouver, mors ne en vie. Et adoncques fist-on crier par la cité que de chascun hostel allast ung homme sur les champs pour assembler les mors sarrazins sur une montaigne, et que on y portast grant foison de bois pour ardoir les corps. Et ainsi fut fait, et fut le corps du roi Zelodus mis au dessus, et furent tous couvers de bois, et fut mis le feu dedens, et furent tous les paiens ars ; et les corps des cristiens qui furent trouvez mors, ensevelis et mis en terre saincte. Et ces choses faictes, le roy d’Anssay fist appareiller pour faire l’obsèque du roy Phedrich son frère, et moult honnourablement, comme vous pourrez cy aprez veoir.
En ceste partie nous dist l’istoire que moult fut le roy d’Anssay dolent de la mort de son frère ; mais le doeul lui convenoit passer quant il estoit venu de la volenté de Dieu ; l’appareil fut fait pour l’obsèque, lequel fut en la grande eglize de la cité ; il monta à chevau, avec luy le duc Ode de Bavière et pluiseurs aultres barons de Behaigne, et s’en allèrent tous vestus de noir aux tentes qui avoient esté aux Sarrazins, où les deux frères estoient logez, et eubrent fait venir le sommaige et ceulx qui gardoient les logis, et fait tendre à ung des costez de l’ost. Et adoncques departirent les deux frères l’avoir à chascun, tant grans que petis ; et n’y eut celluy qui ne se tenist bien paié. Adoncques vindrent le roy, le duc Ode, et toute la baronnie, qui moult humblement saluèrent les deux frères, et les frères les receuprent moult joieusement. Adoncques compta le roy d’Anssay aux deux frères comment le roy Phedrich avoit esté occis en la bataille, et comment le roy Zelodus avoit fait ardoir le corps, en despit de toute cristienneté ; et pour ce avoit-il fait ardoir le roy Zelodus et tous les aultres Sarrazins. Or dist Anthoine : Par mon chief, vous avez tresbien fait. Et vraiement le roy Zelodus feist moult grant mesprison et grant cruaulté ; car puys que ung homme est mort, c’est grant honte à son ennemi de le plus touchier. Par foy, syre, dist le duc Ode, vous dictes verité ; mais le roy d’Anssay est cy venu pour vous et Regnauld vostre frère prier de venir à l’obsèque du roy Phedrich son frère, qui jà est tout prest de commencer ; les pseaulmes et vigilles furent dès le soir dictes ; et lors respondirent les deux frères : Nous irons voulentiers. Adoncques montèrent à chevau à moult belle compaignie, et vindrent en la cité. Dames et damoiselles, chevaliers, escuiers, bourgoys et gens d’estat et communes les regardoient voulentiers à merveilles, et estoient moult esbahis de la griffe du lyon que Anthoine avoit sur la joe, et louoient moult le beau corps et membres qu’il avoit, et aussi de Regnauld son frère, et disoient entre eulx : Ces deux princes sont moult bien taillez de conquerir et tenir moult de terres et de seigneuries en moult de divers pays et maintes diverses contrées ; et en ce parti vindrent à l’eglize, et descendirent illec.