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Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée

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Comment Raimondin occist le comte de Poetiers, son oncle.

En ceste partie racompte l’istoire que quant Raimondin vint à l’encontre du sanglier pour le destourner qu’il ne venist sur son seigneur, si tost que le sanglier l’apperceut, il se destourna de sa voie, et s’en va venir vers le conte grant erre ; et quant il le vit venir, si regarda devers soy, et vit ung espieu, et bouta son espée au fourrel, et prinst l’espieu et le baisse. Et adoncques va venir le sanglier à luy, et le conte, qui sçavoit moult de la chasse, le va enferrer en lescu de la pointe de l’espieu qui tant fut aguë ; mais le cuir du sanglier vira le conte à terre à genoux ; et adoncques vint Raimondin courant, en empoignant l’espée, et cuida ferir le sanglier entre les quatre jambes, et le sanglier estoit cheu à revers, du coup que le conte luy avoit donné ; et adoncques ataint Raimondin le sanglier du tranchant de l’espieu sur les soyes du dos, car il venoit de grant radeur, et la lumelle de l’espieu eschappa par dessus le dos du porc, et adonc vint le coup et ataint le conte, qui estoit versé d’autre part à genoux, parmy le nombril, et le persa de part en part parmy le dos. Ce fait, Raimondin fiert le porc tellement qu’il le mist à terre tout mort, et puys vint au conte et le cuida soubslever ; ce fut pour neant, car il estoit jà tout mort. Adoncques quant Raimondin apperceut la plaie et le sang en saillir, il fut moult merveilleusement couroucé, et commença à crier en plourant et gemissant moult fort et le regarder et plaindre, en faisant les plus grans lamentations que oncques vit homme jour de vie, en disant ainsi : Ha, ha, faulce fortune, comment es-tu perverse que tu m’as fait occire celluy qui parfaictement m’aimoit et qui tant de bien m’avoit fait ? he, he, Dieu, père tout puissant, où sera ores le pays où ce faulx et dur pecheur se pourra tenir ; car certes tous ceulx qui orront parler de ceste mesprison me jugeront, et à bon droit, de mourir de honteuse mort ; car plus faulce ne plus mauvaise traïson ne fist pecheur. Ha, terre, ouvre toy et m’englouti, et me metz avec le plus obscur ange d’enfer qui jadis fut le plus bel des autres, car je l’ay bien desservi. En ceste douleur et tristesse fut Raimondin par longue espace de temps, et fut moult couroucé et pensif, et se advisa en luy mesmes et dist en ceste manière : Monseigneur qui là gist me disoit que, se une telle adventure me venoit, que je seroie le plus honnouré de mon lignage ; mais je voys bien tout le contraire, car veritablement je seray le plus maleureux et deshonnouré ; car, par ma foy, je l’ay moult bien gaigné, et est bien raison. Or non obstant, puys qu’il ne peut aultrement estre, je me destourneray de ce pays, et m’en iray querir mon adventure telle que Dieu la me vouldra donner en aulcun bon lieu là où je pourray amender mon pechié, se il plait à Dieu. Adoncques vint Raimondin à son seigneur, qui estoit tout mort, et le laissa en plourant de si triste cueur, qu’il ne povoit dire ung seul mot pour tout l’or du monde ; et tantost qu’il l’eut baisé, il alla mettre le piet en l’estrier, et monta sur son chevau, et se partist tenant son chemin au travers de la forest, moult desconforté, chevauchant moult fort, et non sachant quelle part, mais à l’adventure ; si grand dueil demenant, qu’il n’est personne au monde qui peut penser ne dire la cincquiesme partie de sa douleur.

Quant Raimondin se partist de son seigneur et l’eut laissé tout mort en la forest auprez du feu, et le sanglier aussi, il chevaucha tant parmy la haulte forest, menant tel dueil que c’estoit piteuse chose à ouyr et à racompter, que il se approucha, environ la minuyt, de une fontaine faée nommée la fontaine de soif ; et aulcuns aultres du pays la nomment la faée pour ce que pluiseurs merveilles y estoient pluiseurs fois advenues au temps passé, et estoit la fontaine en ung fier et merveilleux lieu, et y avoit grant roche audessus de celle fontaine, et au loing de celle fontaine avoit belle prarie prez de la haulte forest. Or est bien vray que la lune luysoit toute clère, et le chevau emportoit Raimondin à son plaisir où il vouloit aller, car advis n’avoit en luy de aulcune chose, pour la grand desplaisance qu’il avoit en luy mesmes ; et neantmoins qu’il dormoit, son chevau l’emporta tant en celluy estat, qu’il approucha la fontaine. Et pour lors sur la fontaine avoit trois dames qui là s’esbatoient, entre lesquelles en avoit une qui avoit la plus grant auctorité que les aultres, car elle estoit leur dame ; et de ceste vous vueil parler selon que l’istoire racompte.

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