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Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée

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Comment le messagier de Raimondin vint devers Geuffroy en Guerende.

Lors vindrent les deux chevaliers qu’il avoit envoié devers son père, et le saluèrent moult honnourablement de par son père et de par sa mère, et luy comptèrent la bonne et joyeuse recueille et les beaulx dons qu’ilz avoient eu. Par foy, dist Geuffroy, beaulx seigneurs, ce me plaist. Et puys luy baillèrent les lettres de par son père. Et Geuffroy les prinst et rompist la cire, et vist la teneur des lettres faisant mention comment Froimond, son frère, estoit rendu moyne à Maillières. Adoncques Geuffroy se courouça et monstra si cruel samblant qu’il n’y eut oncques si hardi qui autour de luy osast demourer, mais vuidèrent tous la place, excepté les deux chevaliers et les ambassadeurs de Northobelande.

En ceste partie nous dist l’istoire que, quant Geuffroy congneut les nouvelles de Froimond, son frère, qui estoit vestu moyne à Maillières, qu’il fut si doulent que à peu qu’il ne saillist de son sens. Et sachiés de vray que mieulx sambloit estre en fourcenerie que aultre chose. Adonc il parla en hault et dist : Comment ! monseigneur mon père et madame ma mère n’avoient-ilz pas assez pour Froimond mon frère faire riche, et luy donner de bon pays et de bonnes fortresses, et de le richement marier, sans le faire moyne ? Par le dent Dieu, ces moynes flatteurs le comparront, car ilz l’ont enchanté et surtrait leans pour en mieulx valoir, et, comment qu’il soit, il ne s’en partira jamais. Par Dieu, il ne me despleut oncques mais tant. Par la foy que je doibz à Dieu et à tous ceulx à qui je doibs foy, par toy, je les paieray tellement que jamais ne leur tiendra de faire faire moyne. Adonc dist aux embassadeurs de Northobelande : Seigneurs, il fault que vous m’atendez cy jusques que je retourne, car il me faut aller à ung mien affaire qui moult fort me touche. Et ceulx qui l’ouyrent garmenter luy disdrent : Monseigneur, il soit à vostre voulenté. Lors fist Geuffroy monter à chevau ses dix chevaliers, et aussi il s’arma et monta à chevau, et se partist de Monjouet esprins de moult grant couroux et de grant hayne contre l’abbé et les moynes de Maillières. Et pour lors estoient l’abbé et ses moynes en chappitre. Et Geuffroy, venu au lieu, entra, l’espée çainte à son costé, audit chappitre, et, quant il vit l’abbé et ses moynes, si leur dist tout hault : Comment ! ribaulx moynes, qui vous a donné la hardiesse d’avoir enchanté mon frère tant que par vostre faulce cautelle vous l’avez fait devenir moyne ? Par le dent Dieu, mal le pensates, car vous en beuvrez ung mauvais hanap. Ha, ha, sire, dist l’abbé, pour Dieu mercy, vueillez vous informer de raison ; par mon createur, ne moy ne moyne qui soit ceans ne luy conseillasmes oncques. Adonc saillist Froimond avant, qui bien cuidoit appaisier l’ire de Geuffroy, et luy dist : Mon chier frère, par l’arme que j’ay à Dieu rendue, il n’y a personne ceans qui oncques me le conseillast, que je le ay fait de mon propre mouvement, sans conseil d’aultruy et par droite devotion. Par mon chief, dist Geuffroy, si en seras paié avec les aultres ; il ne me sera jà reprouché que j’aye moyne frère ; et adoncques il saillist hors, et tira bon huys à luy, et le ferma bien et fort, et fist à toute la maisnie de leans apporter feurre et buche, et aprez fist bouter le feu, et jura Dieu que il les arderoit tous là dedens. Adoncques vindrent les dix chevaliers avant, qui moult le blasmèrent, et disdrent que Froimond estoit en bon propos, et que encore par son bien fait et sa prière il pourroit bien faire moult grant allegement aux ames de ses amis. Par la dent Dieu, dist Geuffroy, ne luy ne moyne de leans ne chanteront jamais messe ne matine que tous ne les arde. Adoncques s’en partirent les dix chevaliers de luy, et luy disdrent qu’ilz ne vouloient pas estre coulpables de ceste mesprison comme de ardoir la maison de Dieu et tous ses serviteurs sans nulle cause.

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