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Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée

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Comment Geuffroy trouva la sépulture du roy d’Albanie, son grand-père Elinas, dedens la montaigne.

Et quant il vint à large, il trouva une moult riche chambre où il y avoit moult de richesses ; et y eut moult grans candelabres d’or et moult grant luminaire ; et y veoit-on aussi cler comme se il eut esté aux champs ; et au millieu de celle chambre trouva la plus riche tombe d’or et de pierres precieuses qui cuidoit jamais avoir veu ; et par dessus avoit la figure d’ung grant chevalier à merveilles, qui avoit une riche couronne d’or au chief, et y avoit grant foison de riches pierres. Et assez prez de là avoit une figure d’une royne d’albastre, couronnée moult richement, qui tenoit ung tablier qui disoit en ceste manière : Cy gist mon mari, le noble roy Elinas d’Albanie ; et devisoit toute la manière comment il avoit esté là mis, et par quelle cause ; et parloit aussi de leurs trois filles, c’est assavoir Melusine, Palestine et Melior, et comment elles avoient esté pugnies pour ce qu’elles avoient enfermé leur père. Et parloit comment le gayant avoit là esté commis pour garder le lieu jusques à tant qu’il seroit de là dejecté par l’oir d’une des filles, et comment nul ne povoit jamais entrer leans se il n’estoit de leur lignage ; et le devisoit tout au long ainsi comme il est escript icy dessus au chapitre du roy Elinas. Et à ce veoir et regarder advisa Geuffroy par grant temps, tant sur le tableau comme sur la beaulté du lieu ; mais encore ne sceut-il pas qu’il disoit qu’il fut de la lignée du roy Elinas et de Pressine, sa femme. Et quant il eut bien regardé tout longuement, il se partist, et erra tant parmy ung lieu obscur, qu’il se trouva aux champs. Adoncques regarda devant luy et vit une grosse tour quarrée bien garlendée et bien carnellée, et chemina celle part, et tournoya tant qu’il trouva la porte, qui estoit ouverte arrière et le pont abbatu ; il entra dedens, et vint en la salle, où il trouva ung grant traillis de garde de fer, dedens laquelle avoit bien cent hommes du pays que le gayant tenoit tous prisonniers. Et quant ilz visrent Geuffroy, ilz s’esmerveillèrent moult et luy disdrent : Sire, pour Dieu, fuyez-vous-en, ou vous estes mort ; car le gayant viendra tantost qui vous destruira, se vous estiez ores telz cent comme vous estes. Et Geuffroy leur respondist ainsi : Beaulx seigneurs, je ne suys pas cy venu se n’est pour le trouver ; j’auroye fait tresgrant follie d’estre venu de si loingz jusques cy pour m’en tourner si tost. A ces parolles vint le gayant qui venoit de dormir ; mais quant il vit Geuffroy, il le congneut et vit bien que sa mort approuchoit, et en eut grant paour. Adonc il saillist en une chambre qu’il vit ouverte, et tira l’uys aprez luy. Et quant Geuffroy l’apperceut, il fut moult doulent de ce qu’il ne l’avoit peu rencontrer à coup à l’uys de la chambre.

L’istoire nous dist que Geuffroy fut moult doulent quant il vit que le gayant fut entré en la chambre et que il eut fermé l’uys sur luy. Adonc il vint contre l’uys, courant de moult grant radeur, et y ferist du piet si roidement qu’il le fist voller emmy la chambre. Adoncques le gayant saillist hors, qui par ailleurs ne povoit saillir, et tenoit ung grant maillet dont il donna à Geuffroy tel coup sur le bassinet, qu’il le fist tout chanceller. Et quant Geuffroy sentist le coup, qui fut dur et pesant, il le ferist d’estoc de l’espée emmy le pis, tellement qu’il la lui bouta tout dedens jusques à la croix. Adonc le gayant jetta ung moult horrible cry, et cryoit illecq tout mort. Et quant ceulx qui estoient enferrez en la gayole de fer le virent, s’escrièrent à une voix : Ha, a, noble homme, benoite soit l’eure que tu naquis de mère. Nous te prions pour Dieu que tu nous ostez d’icy, car tu as aujourd’uy delivré ce pays de la plus grant misère où oncques gens feussent.

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