Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée
Comment Geuffroy fist morir le conte de Forestz, son oncle.
Tant erra Geuffroy qu’il vint au chasteau, et tantost descendist et monta en la salle, et trouva le conte, qui estoit entre ses barons, et adonc il luy escria haultement : A mort, triste ! car par vous avons-nous perdue nostre mère. Adoncques traist l’espée et alla vers le conte, et le conte, qui congnoissoit bien sa fierté, advisa l’uys de la maistresse tour et s’en courut celle part, et Geuffroy aprez ; et tant le chassa d’estage en estage, qu’il vint tout au dernier, prez du toit, et voyant qu’il ne povoit ailleurs fouyr, monta sur une fenestre qui sailloit sur le toit, et par icelle cuida saillir en une petite guerite pour eschapper la fureur de Geuffroy et soy saulver. Mais le piet lui faillist, et tomba tout en bas, tout desrompu et tout mort, avant qu’il vint contreval. Adoncques Geuffroy le regarda d’amont et le vit moult hideusement arrée, mais il n’en eut oncques pitié, mais dist : Faulx triste, par ta faulce jenglerie ay ma mère perdue, or l’as-tu comparu. Adoncques il vint à bas, et n’y eut oncques celluy si hardi de tous les hommes du conte qui osast lever l’euil, et tantost leur commanda que le conte fut ensepvely, et si fut-il, et fut son obsèque fait. Aprez compta Geuffroy aux barons du pays pourquoy il avoit fait morir son oncle, et en furent les barons ung peu appaisez, pour la mesprizon que le conte avoit faicte. Et lors leur fist faire Geuffroy hommaige à Raimonnet son frère, qui fut aprez conte de Forestz. Et cy se taist l’istoire de luy, et retourne à parler de Raimondin son père.