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Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée

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Comment le roy d’Armenie vint veillier au chasteau l’Esprevier.

Celluy preudomme s’en partist du roy quant il luy eut dit les parolles recitées dessus ; et demoura le roy à par luy ; et commença à regarder les grandes richesses qu’il veoit de tous costés, et puis regarda de l’aultre part, et vit la table mise et la nappe belle et blanche dessus, et y veoit moult de nobles metz ; et adoncques il se traist celle part et en prinst de celluy qui mieulx lui pleut, et menga un petit, et beut une fois ; et se garda bien de faire nul excès, car il sçavoit assez que trop mengier et trop boire attraist fain de dormir. Et cecy considerant, alloit parmy la salle esbatant. Adonc il commença à regarder maintes belles histoires paintes, et y estoient les escrips dessoubz qui donnoient la congnoissance que c’estoit ; et entre les aultres histoires y estoit painte l’istoire du roy Elinas d’Albanie, et de Pressine, sa femme, et de leurs trois filles, et de tout, depuis le commencement jusques en la fin ; et comment ses trois filles l’encloirent en une montaigne appellée de Brumbelyo, en Northobelande, et comment Pressine leur mère les en pugnist quant elle sceut le meffait qu’elles avoient fait à leur père ; et là estoient escripz tous les faitz et circonstances depuis le commencement jusques en la fin.

Moult prinst le roy grant plaisir de lire en celles histoires et en pluiseurs aultres qui là estoient paintes et devisées, et ainsi musa le roy en regardant et en lisant en ces histoires, jusques au tiers jour qu’il alloit par leans. Adoncques il perceut une tresnoble chambre, et estoit l’uys tout ouvert arrière. Lors le roy entra et regarda parmy la chambre, et y vit grant foison de chevaliers pains armez, et estoient dessoubz leurs noms en escript, de quel lignage et de quelle region ilz estoient ; et par dessus y avoit escript en ceste manière : En tel temps veilla ceans ce chevalier nostre esprevier, mais il dormist, et pourtant il luy fault tenir compaignie à la dame de ceans, tant comme il pourra vivre ; mais il ne luy fault riens qu’il n’ait à son plaisir, fors seullement le departir qu’il ne peut faire de ceans. Mais entre ce chevalier avoit trois places vuides où il y avoit trois escus armoiez des armes de trois chevaliers, des quieulx les noms estoient escrips dessoubz, la region, et de quel lignage ilz estoient : et par dessus les escus estoit escript ce qui s’ensuyt : En tel an veilla nostre esprevier ceans cestuy noble homme chevalier bien et deuement ; et emporta sa don. Et ainsi avoit escript par dessus les deux aultres escus. Et tant musa le roy en la chambre que par peu qu’il ne sommeilla, mais il s’en perceut et vint hors de là, et vit que le soleil estoit jà tout bas, et ainsi passa le roy celle nuyt jusques au matin.

L’aulbe apparut, et vint le jour ; et ainsi que le soleil se leva, vint la dame du chasteau en si noble et riche habit que le roy en fut tout esbahy, tant de la richesse de l’abbit comme de la beaulté de la dame. Et adoncques la dame salua le roy, et lui dist en ceste manière : Sire roy, vous soiez le tresbien venu, car certes vous avez faict bien et vaillamment votre debvoir. Or demandez tel don qu’il vous plaira des choses terriennes, honnourable et raisonnable, et vous l’aurez sans arrester.

Adoncq respondit le roy, qui fut moult empris de l’amour d’elle : Par ma foy, dame, je ne demande or ne argent, terre ne heritage, bonne ville, chasteau, ne cité ; car, Dieu mercis, je suys riche homme, et ay assez et tant qu’il me souffist ; mais je vueil, s’il vous plaist, ma chière dame, avoir le corps de vous à femme. Et quant la dame l’entendist, elle fut moult couroucée, et luy respondist tout hault : Par foy, sire fol musart, à ce don avez-vous failly ; demandez aultre chose, car ceste ne povez-vous avoir. Et adonc le roy luy respondist : Tenez la promesse, ma dame, de l’adventure de cestuy chasteau, car, à mon advis, j’ay bien fait mon debvoir. Par ma foy, sire roy, dist la dame, je ne debas de ce ; mais ores demandez chose qui soit raisonnable, comment vous a esté dit, et vous l’aurez ; car moy ne povez-vous avoir. Par ma foy, dist le roy, ma treschière dame, ne vueil-je aultre don que vous, car point d’argent ne vous demanderay. Par Dieu, dist la dame, se me demandez plus, il te mesaviendra, et aussi fera-il à tes hoirs, jà soit ce qu’ilz n’y aient nul coulpe. Et le roy luy respondist : Et toutesfois ne vueil-je aultre don que le corps de vous, car pour aultre chose ne suys-je pas cy venu.

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