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Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée

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Comment aprez disner les chevaliers et escuiers joustèrent.

Aprez ce qu’ilz eurent disné et que les tables furent ostées et graces dictes, que on eut servi d’espices, pluiseurs s’en allèrent armer et montèrent à chevau ; et lors l’espousée et pluiseurs aultres dames furent montées sur eschafaulz moult richement parez de draps d’or, et estoient les aultres dames sur pluiseurs aultres eschafaulz. A tant commencèrent moult fort les joustes, et jousta moult bien le conte de Poetiers et le conte de Forestz ; si firent les Poetevins. Mais le chevalier de l’espousée faisoit merveilles de bouter chevaux et chevaliers par terre. A tant est venu Raimondin sur un destrier liart qui moult noblement fut aourné, de blanc tout couvert, et lui avoit envoié la dame ; et du premier poindre qu’il fist à son chevau, il abbatist le conte de Forestz son frère, et fist tant qu’il n’y eut chevalier d’ung costé ne d’aultre qui ne le redoubtast. Adonc le conte de Poetiers s’esmerveilla moult qui le chevalier estoit, et joingt le sal au pis et s’en vient vers luy lance baissée ; mais Raimondin qui bien le congneut s’en tourna d’aultre part, et assiet sur ung chevalier de Poetou et le fiert si roidement en la partie de l’escu qu’il le porta par terre luy et son chevau ; et à brief parler tant fist Raimondin en celle journée que chascun disoit que le chevalier aux blanches armes avoit tresfort jousté. La nuyt approucha et la jouste se departist, dont retournèrent les dames et s’empartirent avecques l’espousée, et s’en allèrent en leurs pavillons, et se reposèrent ung peu ; et ne demoura gaires qu’il fut temps de soupper. Adonc se assamblèrent en la grant tente, et lavèrent et s’assirent à table, et furent moult richement servis, et aprez soupper furent les tables levées et graces dictes. Ce fait, les dames allèrent à leurs retrais et ostèrent leurs grandes robes, et vestirent plus cours habis, et firent feste moult belle ; et furent les honneurs moult grans, et tant que tous ceulx qui là estoient venus avecq le conte s’esmerveilloient du grant luminaire, des grans honneurs et des grans richesses que ils visdrent là. Et quant il fut temps, ilz menèrent l’espousée coucher moult honnourablement en ung tresmerveilleusement riche pavillon qui fut pour ce nouvellement tendu, et la livrèrent le conte de Poetiers et le conte de Forestz aux dames. Et lors la comtesse de Poetiers et les aultres grandes dames vindrent, qui menèrent l’espousée dedens, et l’administrèrent et instruirent en tout ce qu’elle devoit faire, combien qu’elle estoit assez pourveue de ce ; mais non obstant ce, elle les mercioit moult humblement de ce qu’elles luy montroient pour son bien et garder son honneur ; et quant elle fut couchée, elles attendirent autour du lict en devisant pluiseurs choses tant que Raimondin venist, qui estoit encores demouré avec le conte et son frère, et le mercioit de ce qu’il avoit le premier combatu. Par ma foy, dist le conte de Poetiers, beau cousin de Forestz, vous avez piecha ouy dire que aulcunes foys l’amour des dames donne paine et travail aux amoureux et la mort aux chevaux. Monseigneur, dist le conte de Forestz, Raimondin mon frère le m’a huy monstré que c’est vérité. Et Raimondin, qui fut ung peu honteux, va respondre en ceste manière : Beaulx seigneurs, frappez du plat, et ne me donnez jà tant de los, car je ne suys mie celluy que vous pensez, puys que vous me congnoissez pour celluy aux blanches armes ; se ne suys-je pas ; je vouldroie bien que Dieu m’eut donné la grace de faire si bien. Et à ces parolles vint ung chevalier que les dames envoièrent, qui leur dist : Beaulx seigneurs, ne rigolez pas trop fort, car sachiés bien qu’il a aultre chose à penser. Par ma foy, dist le conte de Poetiers, je croy que vous dictes vray. Et de rechief va dire le chevalier : Mes seigneurs, amenez Raimondin, car les dames le demandent pour ce que sa partie est toute preste, et de ce commencèrent tous à rire, et disdrent que il ne luy en failloit jà de tesmoing, car c’estoit chose bien croiable.

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