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Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée

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Comment le roy d’Anssay appella les barons de Lucembourg à conseil.

Lors appella le roy d’Anssay tous les barons du pays à conseil, et leur dist : Beaulx seigneurs, entretant que le fer est chault, on le doibt batre ; combien que j’aye esté mal vueillant de vous et de vostre damoiselle, la chose est venue certainement que je vouldroie son honneur et son pourfit et le vostre. Oyés, beaulx seigneurs : Dieu vous a envoyé belle adventure se vous la sçavez prendre en gré. Or, sire roy, puysque si avant avez parlé, conseillez-nous et vous plaise à dire que c’est. Par foy, dist le roy, voluntiers, il fault que nous façons tant que Anthoine de Lusignen prengne vostre damoiselle à femme, et sera vostre seigneur ; et lors vous pourrez dire seurement que vous n’avez besoing ne marchissant nul si hardi qui osast prendre sus vous une poullaille sans congié. Et ceulx respondirent ainsi : Sire roy, se Anthoine la vouloit prendre, certainement nous en serons tous joyeux. Ores donc, beaulx seigneurs, laisse-moy convenir, dist le roy : car ce, dist le roy, j’en viendray à bout de ce faire. Or me attendez ung pou icy, et je m’en vois devers luy. Adonc vint le roy à Anthoine et luy dist : Sire damoiseau, les barons de ce pays vous prient moult chièrement que vous admenez vostre frère et vostre conseil en ceste chambre, car ilz ont grant desir de parler à vous pour vostre pourfit. Par ma foy, dist Anthoine, tresvolentiers ; et lors appelle son frère et les dessus dis de son conseil, et entra en la chambre ; et les barons du pays, qui là estoient, s’enclinèrent vers les deux frères et leur firent grant honneur. Adoncques dist le roy d’Anssay : Beaulx seigneurs, ces deux nobles damoiseaux sont venus à vostre mandement ; dictes-leur pourquoy vous les avez mandé. Et ceulx luy respondirent : Sire roy, nous vous prions chièrement qu’il vous plaise à luy declarer nostre intention, car vous le sçavez mieulx et plus honnourablement faire que nous. Par mon chief, dist-il, volentiers. Et adoncques dist le roy ces parolles qui cy sont escriptes :

Anthoine, franc et noble chevalier, les barons de ceste contrée ont regardé et consideré le grant honneur que vous avez fait à leur dame, à son pais et à eulx, et aussi ilz ont consideré que vous ne voulez rien avoir du leur, ne de leur dame ; si ont en leur meismes consideré et advisé que, se ainsi demouroit vostre raison, elle seroit petitement gardée, et pour tant ilz vous prient qu’il vous plaise à leur accorder ung don, et ce sera sans vostre coust. Par mon chief, dist Anthoine, beau seigneur, se c’est chose que je puisse faire pour mon honneur, je le vous accorde. Par mon chief, dist le roy, dont est leur requeste passée, car ilz ne requièrent que vostre pourfit et honneur. Or dictes donc, dist Anthoine. Damoiseau, dist le roy, ilz vous vueillent donner la duchesse de Lucembourg, leur dame, qui est l’une des plus belles dames de toute sa contrée. Or, Anthoine, ne refusés pas ce noble don. Adoncques quant Anthoine l’entendit, il pensa en soy-meismes moult longuement, et aprez grant pièce il respondist : Par ma foy, beaulx seigneurs, je ne cuidoie pas estre venu en ceste contrée pour ceste querelle ; mais, puysque je le vous ay ottroyé, je ne m’en desdiray jà. Or soit la damoiselle mandée, car, se il luy plait, il me plait. Adoncques fut la damoiselle mandée par quatre des plus haultz barons, et, en venant, ilz luy comptèrent ceste nouvelle, dont elle fut bien joyeuse, combien qu’elle n’en fist aulcun semblant. Et, quant elle vint en la chambre, elle s’enclina devant Anthoine et tous les barons aussi, et en le regardant elle se mua en une couleur plus vermeille que rose. Adont les barons la benirent moult et luy comptèrent cest affaire, et, quant la pucelle les eut ouys, elle leur respondist par ceste manière : Beaulx seigneurs, je rendz premierement grace à Dieu et à sa benoite mère, et à vous aprez, de l’onneur qui à present me survient : car si povre orpheline que je suys n’est pas digne d’estre assignée en si hault lieu que d’avoir la fleur de chevalerie et de noblesse de cristienneté ; et d’aultre part je sçay et congnois que vous, qui estes mes hommes, qui voiés plus cler en mes besoingnes que je ne faitz, ne me conseilleriez mie voulentiers chose qui ne fut à mon pourfit et honneur ; je ne vous doibs ne vueil desdire, mais suys preste de obeir à tout vostre plaisir.

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