← Retour

Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée

16px
100%

Comment Melusine fist son testament.

Mon doulx amy, dist la dame, sachiés que je ne puys plus demourer avec vous, car il ne plaist mie à Dieu, pour le meffait que vous avez fait ; et pour ce je vous vueil dire devant vos gens ce que vous orrez. Or sachiés, Raimondin, que aprez vous jamais homme ne tiendra le pays en si bonne paix que vous le tenez, et auront vos héritiers aprez vous moult d’affaires ; et sachiés que aulcuns decherront, par leur follie, de leur honneur et de leur heritaige ; mais quant à vous, ne vous en doubtez, car je vous aideray tout vostre vivant en toutes vos necessitez ; et ne chassez point Geuffroy hors de vous, qui est vostre filz ; car il sera moult vaillant homme ; et, d’aultre part, nous avons encore deux enfans, dont l’aisné, qui a nom Raimonnet, n’a pas encores trois ans, et Thierry n’a pas environ deux ans ; faictes les bien nourrir ; et aussi sachez que je m’en prendray bien garde, combien que je ne vueil pas que aiés esperance nulle quant d’icy seray departie, qui sera bien brief, me voiez jamais en forme de femme. Et vueil que vostre filz Thierry mains ne soit sire de Partenay, de Warnont, et de toutes les appendences de la terre, jusques au port de la Rochelle ; et Raimonnet sera conte de Forestz, et en laissez convenir à Geuffroy, et il en ordonnera moult bien. Et elle appella Raimondin à part et les plus haultz barons du pays, et leur dist en ceste manière : Beaulx seigneurs, gardez que si chier que vous amez vostre honneur et vostre chevance, que si tost que je seray departie de cy, que vous facez tant que Horrible, nostre filz, qui a trois yeulx, dont l’ung est au front, soit mort tout prestement ; car sachez en vérité, se vous ne le faictes, qu’il fera tant de maulx que ce ne seroit mie si grant dommaige de la mort de telz .xx. mille, que de la perte et dommaige que on auroit pour luy ; car certainement il destruiroit tout ce que j’ay ediffié, ne jamais guerres ne fauldroient au pays de Poetou ne Guienne ; et gardez que vous le facés ainsi, ou vous ne fistes oncques si grant follie. Ma doulce amour, dist Raimondin, il n’y aura point de faulte ; mais pour Dieu et pitié ne me vueillez pas tant deshonnourer, mais vueillez demourer, ou jamais je n’auray joye au cueur. Et elle luy dist : Mon doulx amy, se ce fut chose que je peusse faire, je le feroye tresvoulentiers ; mais il ne peut estre. Et sachiés que je sens au cueur plus de douleur de vostre departie cent mille foys que vous ne faictes, car ainsi pour le vray faut-il qu’il soit, puys qu’il plaist à celluy qui peut tout faire et deffaire. Et puys à ce mot le alla accoler et baiser moult doulcement en disant : Adieu, mon amy, mon bien, mon cueur et ma joye, encores tant que tu viveras auray-je recreation en toy ; mais aussi auray-je pitié de toy ; tu ne me verras jamais en forme de femme. Et adonc saillist sur une fenestre qui avoit le regart sur les champs et sur les jardins, au costé devers Lusignen, aussi legierement comme se elle eut vollé ou eu elles.

Chargement de la publicité...