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Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée

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Comment Geuffroy au grant dent vint contre le gayant Grimault, et comment de la lance il l’abbatist.

En ceste partie nous dist l’istoire que Geuffroy se partist et prinst congié, et monta la montaigne tant qu’il approcha fort de l’arbre, et perceut le gayant qui se seoit dessoubz ; mais sitost qu’il apperceut Geuffroy, il s’esmerveilla moult fort comment ung seul chevalier avoit la hardiesse d’aller vers luy. Adoncques il pensa en luy mesmes qu’il venoit pour traicter à luy d’aulcuns patis ou d’aulcune paix. Adoncques jura sa loy que moult peu luy vauldroit. Adonc se leva le gayant moult atalenti de mal faire, et prinst ung levier en son poing, que ung fort villain auroit assez affaire à le lever. Adoncques il devalla ung peu de la montaigne pour venir à l’encontre de Geuffroy, et cria à haulte voix à Geuffroy : Qui es-tu, di, va, chevalier, qui as tant de hardiesse de venir vers moy ? Par ma loy, bien t’en paieray, car qui t’envoya icy n’amoit pas grandement ta vie. Et Geuffroy luy escria : Deffens-toy, je te deffie. Et puis brocha le chevau des esporons, et abaissa la lance, et ferist le gayant emmy le pis si roidement qu’il le fist voller par terre les jambes contre mont, et puys passa oultre et tourna tout court et descendist de paour que le gayant ne lui occist son chevau, et l’atacha par la resne à une racine d’arbre ; puis traist l’espée et jetta la targe, car il apperceut bien que à attendre le coup du levier il feroit grant follie. Adoncques le gayant luy vint à l’encontre, mais il ne l’apercevoit point à cause que il estoit si petit envers luy qu’il ne le povoit bonnement choisir ; et pour ce baissa la teste, et le vit adoncques le gayant, et luy dist ainsi : Dy, va, petite stature, qui es-tu, qui si vaillamment m’a abatu ? Par Mahon, je n’auray jamais honneur. Et adonc Geuffroy luy respondist : Je suis Geuffroy au grant dent, fils de Raimondin, seigneur de Lusignen. Adonc quant le gayant l’entendist, il fut moult doulent, car bien sçavoit qu’il ne povoit morir fors que par ses mains ; mais non obstant il luy respondist : Je te congnois assez ; tu occis l’aultr’ier mon cousin Guedon en Guerende ; les cent mille diables t’ont bien apporté en ce pays. Et Geuffroy luy respondist : Voire pour toy, car jamais ne me partiray jusques à tant que je t’auray osté la vie hors du corps. Adonc quant le gayant l’entendist, il haulça le levier et cuida ferir Geuffroy parmy la teste ; mais il y failly ; et adonc Geuffroy le ferist de l’espée sur l’espaulle, car il ne peut attaindre sa teste, et luy tranche les mailles du jasseran, et luy entra l’espée bien palme dedens la cher. Adoncq le sang luy roya jusques aux tallons ; et quant il sentist le coup, il luy escria : Mauldit soit le bras qui de telle vertu scet ferir, et le fevre qui forga l’allumelle soit pendu parmy le col ; car oncquesmais je n’eus sang trait par taillant, tant fut bon. Adoncques il entoisa le levier, et cuida ferir Geuffroy sur la teste, et tantost Geuffroy moult appertement gauchist au coup, dont il fist que saige ; car sachiés de vray que, s’il l’eut attaint, à ce que le levier estoit pesant, il eut ensmé jusques aux dens ; mais Dieu, en qui estoit sa fiance, ne le volut pas. Et devez sçavoir de certain que le levier, au cheier, entra bien un grant piet dedens terre ; mais avant que le gayant peut ravoir son coup, Geuffroy le ferist de l’espée sur le costé, tellement qu’il luy fist le levier saillir des poingz, et en couppa une grant pièce.

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