Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée
Comment Geuffroy occist le gayant en Guerende.
Ainsi, comme vous avez ouy, fut Geuffroy à piet devant le gayant qui tenoit la faulx au poing, et cuida ferir Geuffroy ; mais il tressaillist, et, au retourner, il ferist de l’espée sur la manche de la faulx, si que il la tronsonna en deux ; et le gayant prinst adonc son flayel et en donna à Geuffroy moult grant coup sur le bassinet, tant que il fut prezque estourdi. Et adoncques il bouta l’espée au fourrel et vint au destrier qui gisoit par terre, et prinst la masse d’acier et s’en vint au gayant, qui voulut enteser son flayal ; mais Geuffroy le hasta tellement que il luy escout le flayal de la main ; et, ce voyant, le gayant mist la main en son sain, où il avoit mis et apporté trois marteaulx de fer, et en prinst l’ung et le jetta à Geuffroy par grant ire ; et le coup chait sur la manche de la masse auprez du poing, si que il la fist voler par terre, et saillist, et la leva. Et adonc Geuffroy traist l’espée et vint au gayant, qui le cuida ferir de la masse d’acier sur la teste ; mais Geuffroy, qui fut fort et legier, tressaillist, et le gayant saillist, et le coup volla à terre par telle vertu que la teste de la masse entra plus d’ung piet dedens la terre. Et Geuffroy ferist adoncques le gayant, sur le bras destre, de l’espée et de toute sa force ; l’espée fut moult bone et bien trenchant, et luy trencha le bras, si que il vola par terre. Adoncques fut le gayant moult esbahi quant il eut ainsi le bras perdu ; et pourtant il haulça l’espée de l’aultre main, et cuida ferir Geuffroy au pis ; mais il s’en garda bien et le ferist de l’espée sur la jambe, au dessoubz du genoul, par telle puissance, qu’il la trencha en deux. Et adonc le gayant chait et jetta ung si treshorrible et hault cry que toute la vallée en retentist ; et bien l’ouyrent ceulx qui attendoient Geuffroy ; mais ilz ne sceurent pas certainement que ce fut ; mais ilz eurent grant merveille de si horrible son. Et adoncques couppa Geuffroy au gayant les las du heaulme et puys luy trencha la teste. Et adoncques il prinst son cornet et sonna par si tresgrant vertu que bien l’ouyrent ses gens qui l’attendoient en la vallée, et aussi firent aulcuns du pays qui estoient demourez en ladicte vallée ; et adoncques sceurent que le gayant estoit mort, et en louèrent Nostre Seigneur Jhesucrist devotement. Ilz montèrent sur la montaingne et vindrent sur le fort, où ilz trouvèrent Geuffroy qui crioit à ceulx du pays : Jamais ce triste ne vous tiendra en ses patis ; il n’a à present talent de le vous demander. Et quant ilz apperceurent le corps du gayant et la teste qui estoit d’aultre part, ilz furent tous esbahis de sa grandeur, car il avoit bien .xv. piez de long, et disdrent adonc à Geuffroy qu’il avoit oultrage de soy avoir mis en si grant peril d’avoir osé assaillir ung si grant deable. Par ma foy, dist-il, le peril en est passé : car, beaulx seigneurs, je vueil bien que vous sachiés que jamais ne commenceroit, ne seroit nulle chose assommée, et faut avoir en chascune chose commencement et moyen que la fin viengne et qu’elle prengne fin.