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Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée

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Comment Raimondin prinst congié du conte et retourna vers sa dame.

En ceste partie nous dist l’istoire que Raimondin, qui moult estoit enamouré de sa dame, se partit sur heure de Poetiers, tout seul, moult hastivement, et chevaucha tant qu’il vint en la haute forest de Colombiers, et descendit de dessus la montaigne au val, et vint à la fontaigne où il trouva sa dame qui moult liement le receupt, et luy dist en ceste manière : Mon amy, vous commencez moult bien à celler nos secrez, et se vous perseverez à faire ainsi, il vous en viendra grant bien, et tantost vous vous en apperceverez et le verrez. Adoncques va Raimondin respondre en ceste manière : Ma dame, je suis tout prest de acomplir à mon povoir tout vostre plaisir ; par ma foy, Raimondin, dist la dame, tant que vous m’aiez espousée, ne povez-vous plus sçavoir ne veoir de nos secrez. Dame, dist Raimondin, je suis tout prest ; non mie encore, dist la dame, il fault que il soit aultrement, car il convient que vous allez prier le conte, sa mère, et tous vos aultres amis, que ilz vous viennent faire honneur à vos nopces, en ceste place, au jour de lundi prouchainement venant, affin qu’ilz voient les noblesses que je pense à faire pour vostre honneur acroistre ; pourquoy ilz ne soient pas plus en suspition que vous soiez petitement marié selon vous, et tout leur povez bien dire seurement que vous prenez une fille de roy ; mais plus avant ne vous en descouvrez, mais bien vous en gardez si chier que vous avez l’amour de moy. Dame, dist Raimondin, ne vous en doubtez. Amy, dist la dame, n’aiez jà soing que pour grans gens que vous sachés amener, que ilz ne soient trestous bien receups et bien logez, et qu’ilz n’aient bien à vivre à grant foison pour eulx et pour leurs chevaux ; et allez tout seurement, mon amy, et ne vous doubtez de riens. Et à tant se entre-accolèrent et baisèrent, et se partit Raimondin d’elle, et monta à chevau. Et à tant se taist l’istoire d’en plus parler, et commence à parler de Raimondin, qui va grant erre vers Poetiers.

Or nous dist l’istoire que tant erra Raimondin aprez qu’il fut parti de sa dame, que il vint à Poetiers, où il trouva le conte et sa mère, et grant foison des barons de Poetiers et du pays, qui moult fort le bienveignèrent, et luy demandèrent dont il venoit ; et il leur respondit qu’il venoit de soy esbatre. Et quant ilz eurent grant pièce parlé d’une chose et d’aultre, Raimondin vint devant le conte, et se agenoilla et luy dist ainsi : Treschier seigneur, je vous supplie humblement, sur tous les services que je vous pourray faire jamais, que il vous plaise à moy faire tant d’onneur de venir le lundi prochain à mes espousailles à la fontaine de Soif, et que il vous plaise de y amener vostre mère et toute vostre baronnie pour nous honnourer et nous faire compaignie. Et quant le conte l’entendit, il fut moult esbahi. Dieu, dist le conte, beau cousin Raimondin, estes-vous jà si estrange de nous que vous vous mariez sans ce que nous en aions riens sceu jusques à l’espouser ? Pour certain nous nous en donnons grant merveilles, car nous cuidons que se vous eussiés voulenté de femme prendre, que nous fussions le premiers à qui vous en deussiez avoir pris conseil. Adoncques Raimondin respondit : Mon treschier seigneur, ne vous en vueille desplaire, car amours ont tant de puissance qu’ilz font faire les choses ainsi que il leur plaist, et je suys si avant allé en ce meschief que je ne puis reculer ; et se je pourroie ores endroit défaire, je ne le defferoie pas. Or, beau sire, dist le conte, au mains dictes qui elle est et de quelle lignée. Par ma foy, dist Raimondin, vous me demandez chose que je ne vous pourroie respondre, car oncques en ma vie de ce je n’enquis riens. Par ma foy, dist le conte, vecy grans merveilles ; Raimondin se marie et ne scet quelle femme il prent, ne de quel lignage. Monseigneur, dist Raimondin, puys qu’il me souffist, il vous doit bien souffire, car je ne prens pas femme pour vous ennoisier, mais pour moy ; si en porteray le dueil ou la joye, lequel Dieu plaira. Par ma foy, dist le conte, vous dictes bien. Quant est de moy, je ne vueil mie avoir la noise, se elle y est ; combien puys qu’il est ainsi, je prie Dieu devotement qu’il vous envoie paix et bonne adventure ensamble ; et tresvoulentiers nous irons aux nopces, et y menerons madame et pluiseurs aultres dames et damoiselles, et nostre baronnie. Raimondin respondist : Monseigneur, tresgrans mercis, car je croy que quant vous viendrez là et vous verrez la dame, qu’elle vous plaira bien. Et à tant laissèrent le parler de ceste chose, et parlèrent d’une chose et d’aultre tant qu’il fut temps de sopper. Et nonobstant ce, tousjours le conte pensoit à Raimondin et à sa dame, et disoit que c’estoit quelque fortune qu’il avoit trouvé à la fontaine de Soif.

En ceste manière pensa le conte longuement, et tant que le maistre d’ostel luy venist dire : Monseigneur, il est tout prest quant il vous plaira. Par foy, dist le conte, ce me plaist. Adonc ilz lavèrent et furent assis, et furent bien servis ; et aprez souper parlèrent de pluiseurs matières, et puis s’en allèrent couchier. Lendemain au matin le conte se leva et ouyt sa messe, et fist mander ses barons pour aler avec luy aux nopces de Raimondin, et ilz vindrent delivrement. Et manda ledit conte le conte de Forestz, qui estoit frère de Raimondin, car son père estoit mort. Et demantiers la dame fist son appareil en la prarie de dessoubz la fontaigne de Soif, qui fut si grant et si noble, que à dire voir riens n’y failloit de quelque chose qui appartenist à honneur pour celle besongne, et fut ores pour ung roy recepvoir à tout son estat, et vous en parleray plus à plain. Le dimence vint, chascun se appareilla pour venir aux nopces ; la nuyt passa et le jour vint. Adonc le conte se mist en chemin et avecq luy sa mère, sa seur et sa baronnie à noble compaignie. Et adonc le conte enquiert Raimondin de l’estat de sa femme ; mais il ne luy en voulsist riens dire, dont le conte estoit moult doulent, et tant vont ensamble parlant qu’ilz montèrent la montaigne et qu’ilz virent les grans tranchées qui faictes avoient esté soudainement, et virent la fontaigne qui y sourdit habondamment. Adonc chascun s’esmerveilla comment celle chose povoit estre ainsi faicte si soudainement. Et aprez vont regarder contre val la prarie, et voient tant de pavillons si treshaultz, si grans et si chiers, et de si nobles et merveilleuses fasson, que chascun s’esmerveilloit ; et par especial quant ilz voient si grant foison de nobles gens allans et venans pour les affaires de la feste, les ungs les aultres conseillans, aval la prarie ; car là veissiés dames, damoiselles, chevaliers et escuiers de nobles atours ; là veissiez courir chevaux et palefrois à grant multitude, et contre val les estres à grant foison de cuisines fumans, où on faisoit grans et merveilleux apparelz. Et si voyoient au dessus de la fontaine la chappelle de Nostre-Dame, qui estoit belle, gracieuse et bien ordonnée que oncques mès n’avoient veu si belle chappelle, ne si noblement aournée. Si s’en vont esmerveillant en disant entre eulx : Je ne sçay qu’il adviendra en aprez du surplus, mais vecy tresbeau commencement, grant et apparant de grans noblesses et honneurs.

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