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Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée

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Comment le conte alla chasser, et Raimondin avecques luy.

Et quand le jour fut venu, le conte Aimery se partist de Poetiers, et avec luy grand foison de barons et de chevaliers ; et estoit Raimondin au plus prez de luy, monté sur ung grant courcier, l’espée çaincte et l’espieu sur le col. Et eulx venus en la forest, tantost encommencèrent à chasser, et fut trouvé le porc, qui estoit fier et orgueilleux, et devoura pluiseurs allans et levriers, et prinst son cours parmy la forest, car il estoit fort eschauffé ; et on commença à le sievre grant erre ; mais le porc ne doubtoit riens, mais se mouvoit en tel estat qu’il n’y avoit si hardi chien ne levrier qui l’osast attendre, ne se hardi veneur qui l’osast enferrer. Adoncques vindrent chevaliers et escuiers, mais il n’y avoit nul si hardi qui osast mettre piet en terre pour l’enferrer. Adonc vint le conte, qui cria à haulte voix en disant : Et comment, ce filz de truye nous esbahira-il tant que nous sommes ? Lors quant Raimondin ouyt ainsi parler son oncle, si eut grant vergongne, et descent de dessus le courcier à terre, l’espée au poing, et s’en alla vistement vers le porc, et le ferit ung coup par grand hayne, et le porc se tire à luy et le fist cheoir à genoulx ; mais tantost il ressaulte comme preus et hardi et vite, et le cuida enferrer ; mais le porc s’enfuyt et commença à courir par telle manière qu’il n’y eut oncques chevalier ne chien qui n’y perdit la veue et la trasse, fors seullement le conte et Raimondin son neveu, qui estoit remonté et le suivoit si asprement devant le conte et les aultres que le conte en avoit tresgrant paour que le porc ne l’afolast, et lui cria à haulte voix : Beau nepveu, laisse ceste chasse ; que mauldit soit celluy qui le nous annonça ; car se ce filz de truye vous affolle jamais je n’auray joye en mon cuer. Mais Raimondin, qui estoit eschauffé, ne reputoit pas sa vie, ne fortune bonne ne mauvaise qui lui advint, le suyvoit toujours moult asprement, car il estoit bien monté ; et tousjours le suyvoit le conte à traces qu’il avoit veues. Que vous vauldroit de ce tenir long parler ? Tous les chevaux commencèrent à eschauffer et à demourer derrière, fors seullement le conte et Raimondin ; et tant chassèrent qu’il fut obscure nuyt. Adoncques s’arrestèrent le conte et Raimondin soubz ung grant arbre ; lors va dire le conte à Raimondin : Beau nepveu, nous demourerons icy jusques la lune soit levée. Et Raimondin lui va dire : Sire, ce qu’il vous plaira. Adoncques il descendit et prist son fusil et fist du feu. Et tantost aprez, leva la lune belle et clère, et aussi les estoilles luysans et clères. Adoncques le conte, qui sçavoit moult de l’art d’astronomie, regarda au ciel, et vit les estoilles clères et l’air, puys la lune qui estoit moult belle, sans tache, ne nulle obscureté quelconques. Et adoncques commença à souspirer moult parfondement, et aprez les grans et aigres souspirs qu’il avoit faictz et jettez il disoit en ceste manière : Ha, ha, vray Dieu sire, comment sont grandes les merveilles que tu as laissé cha jus de congnoistre parfaictement les vertus et les natures merveilleuses de pluiseurs et diverses conditions de choses et de leur expédition ; ce ne pourroit estre parfaictement se tu n’espandoies aulcunement ton sçavoir de ta plainière et divine grace, et especialement de ceste merveilleuse adventure que je voy cy presentement ès estoilles que tu as là sus assises pour ta haulte science d’astronomie, dont, vray sire, tu m’as presté une des branches de congnoissance, de quoy je te doibs loer, mercier et gracier du cuer parfait en ta haulte majesté où nul ne se peut comparer. O vray et hault sire, comment pourroit-ce estre raisonnablement se ce n’estoit en ton horrible jugement, quant à congnoissance humaine, car nul homme ne pourroit avoir bien pour mal faire, et non obstant je vois bien par la haulte science et aussi de ta saincte grace qui m’as presté la congnoissance de sçavoir que c’est, et aussi dont je suys moult esmerveillé ; commença à souspirer plus parfondement que devant. Adoncques Raimondin, qui avoit alumé le feu et qui avoit ouy en partie ce que le conte Aimery avoit dit, luy dist en ceste manière : Monseigneur, le feu est bien alumé ; venez vous eschauffer, et je croy que en peu de temps viendront aulcunes nouvelles, car je croy que la venason soit prise ; j’ay ouy, ce me semble, bruit de chiens. Par ma foy, dit le conte, il ne m’en est de gaires plus, mais que de ce que je voy ; et lors regarda au ciel et souspira plus fort que devant ; et Raimondin qui tant l’amoit lui dist : Ha, ha, monseigneur, pour Dieu, laissez la chose ester, car il n’appartient pas à si haut prince comme vous estes à mettre cuer de enquerre de tels ars ne de telles choses ; car il convient, et sera bien fait, de regracier Dieu qui vous a porveu de si hault et si noble seignourie et possessions terriennes dont vous vous en povez bien passer se il vous plaist, mais de vous y donner couroux ne ennuy pour telles choses qui ne vous peuvent aidier ne nuyre, c’est simplesse à vous. Ha, ha, fol, dist le conte, si tu sçavoies les grans richesses et merveilleuses adventures que je vois, tu en seroies tout esbahi. Adoncques Raimondin, qui ne pensoit à nul mal, respondit en ceste manière : Mon treschier et doubté seigneur, plaise vous de le me dire, se c’est chose qui se puisse faire, et aussi se c’est chose que je puisse ou doibve sçavoir. Par Dieu, dist le conte, tu le sçauras, et je vouldrois que Dieu, le monde, ne aultre, ne t’en demandast riens et l’adventure te deut advenir de moy mesmes ; car je suys desormais vieul et ay des amis assez pour tenir mes seigneuries ; et je t’aime tant que je vouldrois que si grant honneur fut eschu pour toy ; et l’adventure si est telle que se à ceste heure ung subject occisoit son seigneur, que il deviendroit le plus puissant et le plus honnouré que oncques saillist de son lignage ; et de luy procederoit si noble lignée qu’il en seroit mention et ramembrance jusques en la fin du monde ; et sachies de certain qu’il est vray. Lors respondist Raimondin qu’il ne pourroit jamais croire que ce fut chose veritable, et contre raison seroit que homme eut bien pour mal faire, ne pour impétrer telle mortelle traïson. Or le croy fermement, dist le conte à Raimondin, que il est ainsi vray comme je te le dis. Par ma foy, dist Raimondin, si ne le croiray-je ja, car ce n’est chose que vous me faciez croire ; et lors commencèrent à penser moult fort, et adonc oirent au long du bois ung grant effray et derompre les menus ramonceaulx. Adoncques prist Raimondin son espée qui estoit à terre, et aussi le conte tret son espée, et attendirent ainsi en pensant longtemps pour sçavoir que c’estoit ; et se mirent au devant du feu du costé où ilz ouyrent les rames rompre ; et en tel estat demourèrent tant qu’ilz virent ung porc sanglier merveilleux et horrible, moult eschauffé, tout droit à eulx menant les dens. Adoncques va dire Raimondin : Monseigneur, montez sus quelque arbre, que ce sanglier ne vous face mal, et m’en laissez convenir. Par ma foy, dist le conte, jà ne plaise à Nostre Seigneur que je te laisse à telle adventure ; et quand Raimondin ouy ce, il s’en va mettre au devant du sanglier, l’espée au poing, par bonne voulenté de le destruire, et le sanglier se destourna de luy et alla vers le conte. Adonc commence la douleur de Raimondin et le grant heur qui depuys luy advint de ceste tristesse, si comme la vraie histoire le nous racompte.

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