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Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée

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Comment les messagiers apportèrent les lettres à Raimondin et à Melusine de ses deux enfans qui estoient roix.

Or nous dist l’istoire que les barons qui c’estoient partis aprez le relever de la royne Hermine senglèrent tant par la mer qu’en brief temps ilz perceurent le port de la Rochelle et y arrivèrent, au plaisir de Dieu, à grant joye, et retrairent tout le leur en la ville, et se refreschirent par l’espace de trois jours, et puys s’en partirent et errèrent tant qu’ilz arrivèrent à Lusignen, où ilz trouvèrent Raimondin et Melusine et leurs aultres enfans, qui les receuprent à moult grant joye. Et adonc ilz leur baillèrent les lettres du roy Urian et de Guion leurs deux filz ; et quant ilz eurent oy et veu la teneur des lettres, ilz furent grandement joyeulx, et loèrent moult devotement nostre seigneur de la bonne adventure qu’il avoit donné de sa grace à ses enfans, et donnèrent moult de riches dons aux barons qui avoient apportez les nouvelles. Et en ce temps fonda Melusine l’eglize de Nostre-Dame de Lusignen et pluiseurs aultres abbayes en celluy pays en Poetou, et les renta moult richement. Et fut adonc traité le mariage de son filz Odon à la fille du comte de la Marche, et en fut fait la feste moult grande et moult noble dessoubz Lusignen en la prarie. Et la feste durant, arrivèrent à la Rochelle les barons du Poetou qui c’estoient dernièrement partis de Chippre ; mais quant ilz sceurent les nouvelles de la feste, ilz montèrent moult joyeusement à chevau, et tant chevauchèrent qu’ilz vindrent à Lusignen trois jours au devant de la departie de la feste, et là firent reverence au père et à la mère moult honnourablement, et presentèrent leurs lettres. Et quant Raimondin et Melusine sceurent certainement de leur filz Guion les nouvelles qu’il estoit roy d’Armanie, et aussi des aultres victoires qu’il avoit eu sur les paiens, ilz en louèrent nostre seigneur Jhesucrist moult devotement, et furent les messagiers receups à moult grant joye de tous costez, et eubrent de beaulx dons et riches ; et se refforcha la feste, et dura plus de huict jours entiers pour l’amour de ces nouvelles et nobles.

L’istoire nous dist que Anthoine et Regnauld furent moult joyeux quant ils oyrent les haultes et nobles nouvelles des conquestes et victoires que leurs frères avoient eues sur les mauvais Sarrazins, et de l’onneur que Dieu leur avoit faict en cy peu de temps que d’avoir conquesté deux nobles royaulmes. Et disdrent l’ung à l’aultre : Mon treschier frère, je vous diray que doresmais seroit temps que nous allissions charcher les adventures par le monde, car pour cy demourer ne pourrons-nous conquester ne los ne pris. Adoncques vindrent à leur père et à leur mère en disant moult humblement : Monseigneur et vous madame, se il vous plaisoit, il seroit bien temps que nous alissions par le monde à nous adventures pour acquerir l’ordre de chevalerie, car ce n’est pas de l’intention de nul de nous de la prendre fors que au plus prez que nous pourrons l’avoir, comme Guion et nos frères l’ont eue ; combien que nous ne sommes pas dignes de l’avoir si tresnoblement ne en si noble place ; mais, se Dieu plaist, c’est notre intention d’en faire bonne diligence. Et lors elle respondist : Beaulx enfans, s’il plaist à monseigneur vostre père, il me plait bien. Par foy, dist Raimondin, dame, faictes-en vostre voulenté ; car ce qu’il vous plait me plait. Sire, dist Melusine, il me semble qu’il est bon que desoresmais ilz commencent à voiager pour congnoistre le monde et les estranges marches, et aussi pour estre congneus et congnoistre le bien et le mal ; et à l’aide de Dieu je y pourvoieray si bien qu’ilz auront bien de quoy paier leur despence. Adonc les deux enfans se agenoulèrent devant leurs père et mère en les remerciant moult humblement de la haulte bonté et de l’onneur qu’ilz leur promettoient faire. Et cy se taist ung peu l’istoire à plus parler d’eulx, et parle d’aultre matère ; mais assez tost je y retourneray.

En ceste partie nous dist l’istoire que ès parties d’Alemaigne, entre Loraine et Ardanne, avoit en ce temps moult noble terre qui estoit appelée la conté de Lucembourg, qui ores est appellé duché ; et pourtant l’appelleray-je en ceste histoire duché ; pour lors, que je dis, y estoit mort ung vaillant prince qui fut moult renommé, et eut nom Asselin, qui fut nommé sire du pays ; et n’avoit demouré de luy nul héritier que une fille, laquelle estoit nommé Cristienne, et fut moult belle et bonne. Et avoit en la terre de Lucembourg moult noble et grant foison de chevalerie et escurie, qui tous firent hommaige à la pucelle comme à la droitte héritière. Pour celluy temps en Anssay eut ung puissant roy auquel n’estoit demouré de sa femme que une fille, de laquelle elle trepassa en gessine ; et fist le roy nourir celle fille, qui eut nom Melidée, honnourablement. Or advint que il oyt nouvelles que le seigneur de Lucembourg estoit trespassé, et ne lui estoit demouré que une fille qui estoit moult belle. Adoncques le roy d’Anssay la fist demander pour estre sa femme. Mais la pucelle ne se voulsist oncques accorder, dont le roy d’Anssay fut moult doulent, et va jurer Dieu, comment qu’il fut, que se il povoit qu’il l’auroit. Adoncques fist son mandement et deffia la pucelle et tous ses aidans ; adoncques quant les barons, les nobles et les communes du pays le sceurent, ilz jurèrent, puisque leur dame ne le vouloit prendre à mary, qu’ilz luy monstreroient qu’il avoit tort vers la pucelle et eulx. Et tantost ilz firent garnir leurs fors et leurs pays, et se trairent la plus grant partie des barons au bourc et au chasteau de Lucembourg avec Cristienne, qui estoit leur propre dame. Que vous feroie-je ores long parlement ? ilz n’estoient pas pour lors assez fors pour combatre le roy, car il venoit à moult grant effort, et dommageoit moult le pays, et s’en vint tout ardant planter le siége devant Lucembourg. Et de fait il y eut pluiseurs escarmouches, et y eut moult grant perte d’ung costé et d’aultre. Or advint qu’il luy eut ung homme qui estoit moult terrien et ung des plus grans gentilz hommes du pays, qui avoit esté avec le roy Urian, et à la conqueste de Chippre et aux victoires qu’il avoit eu sur les Sarrazins, lequel s’en estoit revenu avec les premiers Poetevins, qui estoit piecha venu à Lusignen comme vous avez oy dessus ; et lui avoient Melusine et Raimondin donné de moult beaulx dons et beaulx joyaulx ; et avoit veu Regnault et Anthoine, qui jà estoient moult fors et grans, et de moult forte contenance et fière ; et luy sambloit bien que ilz deveroient assez ensievyr la condition et meurs et la manière de leurs frères et leur haulte proesse et entreprise ; lequel gentil homme estoit moult vaillant homme d’armes, et estoit dedens Lucembourg, que le roy avoit jà assiegé. Adonc celluy, qui estoit saige du mestier d’armes et de la guerre, trait les nobles du pays à part, et leur dist en ceste manière : Beaulx seigneurs, vous povez bien appercevoir que, au loing aller, nous ne povons resister à la puissance de cestuy roy ; pour laquelle chose, se il vous samble bon, mon oppinion seroit de y pourveoir remède plus tost que plus tart ; car il fait bon fermer l’estable devant que le chevau soit perdu. Et adoncques ceulx respondirent : C’est vérité ; mais nous ne povons, ne ne voions pas qui y peut remedier sans la puissance de Dieu. Non par foy, dist celluy, sans la puissance de Dieu ne peut-on gaires faire de choses ; mais avec ce fait-il bon aide qu’il le peut faire. Par Dieu, dient-ilz, c’est une bonne raison et pure verité ; se vous sçavez nul bon chief pour nostre pucelle garder et aussi pour nostre prouffit, si le dictes, et vous le ferez bien ; car vous y estes tenu pour ce qu’elle est vostre souveraine dame comme à nous. Adoncques prend le gentil homme la parolle et leur va tout compter de chief en chief comment Urian et Guion, son frère, c’estoient partis de Lusignen, et toute l’adventure de leur voiage et de leur noble conqueste, l’estat de leur père et mère, le maintieng de Anthoine et Regnauld, et qu’il sçavoit de certain que qui iroit requerre le secours aux deux frères, qu’ilz luy viendroit à grant puissance, qui leur compteroit le fait. Par foy, disdrent les nobles, vous dictes moult bien. Adoncques mandèrent Cristienne et luy comptèrent mot à mot cest affaire. Et elle leur dist : Leaulx seigneurs, je vous recommande ma terre et la vostre, et en faictes comme il vous samble pour le mieulx en l’onneur de moy et de vous ; car sachiés de certain, pour mourir ne estre desheritée, je n’auray jà le roy d’Anssay à mary ; non mie qu’il ne vaille mieulx que pour moy, mais pourtant qu’il me veut avoir par force. Et ilz luy respondirent : Ne vous en doubtez jà, madame, car, se Dieu plait, il n’aura jà tant de puissance tant que nous nous aiderons du corps. Seigneurs, dist la pucelle, moult grans mercis. Et lors se departist de là. Adoncques ung des barons reprint la parolle en disant au gentil homme en ceste manière : Vous qui nous avez mis en ceste querelle, dictes-en tout ce qu’il est bon de faire. Par foy, dist-il, je le feray voulentiers ; et se il vous samble bon vous me baillerez deux de vous aultres, et irons veoir à Lusignen sçavoir se nous pourrons trouver chose qui nous soit prouffitable. Par foy, dient-ilz, nous le ferons voulentiers. Adoncques choisirent entre eulx, c’est assavoir deux des plus notables pour aler avecques luy, et s’en partirent environ le premier somme, montez sus chevaux d’avantaige, et saillirent par une poterne, et passèrent à l’ung des costez de l’ost, que oncques ne furent veus ; et se exploitèrent tant qu’ils vindrent environ soleil levant à huit grosses lieues de là, et se pennèrent moult fort de chevaucher tant comme ilz peurent. Et cy se tait l’istoire ung peu de parler d’eulx, et parle de Melusine et de ses enfants, assavoir de Regnault et Anthoine.

L’istoire nous dist que la feste fut moult grande dessoubz Lusignen en la prarie, et y jousta-on moult bien vaillamment ; mais sur tous les jeunes damoiseaulx qui là estoient, Anthoine et Regnauld joustèrent le mieulx, au dit des dames qui là furent, et aussi des chevaliers ; et y eut donné moult beau pris et riches dons et joyaulx. Mais endementiers Melusine pensoit à l’estat de ses deux filz, et leur fist faire de moult et de riches et grans habis, et se pourveoit de nobles hommes et saiges pour eulx gouverner honnourablement par tout là où ilz iroient. Et pendant ce temps vindrent les embassadeurs de Lucembourg, qui firent moult honnourablement la reverence à Raimondin et à Melusine, et aussi à toute la compaignie, et ilz furent moult liement receups, et fut tantost congneu le chevalier qui avoit esté à la conqueste de Chippre en la presence de pluiseurs qui là estoient, et fut moult grandement festoyé. Et luy demanda Anthoine, pour le bien qu’il avoit oy dire de luy, se il luy plairoit de aller avec luy et avecques Regnauld son frère en voiage où il avoit intention d’aller, à l’aide de Dieu, qu’il seroit moult bien guerdonné. Et il lui demanda : Monseigneur, où avez-vous intention de aller ? Et Anthoine luy respondist : A l’adventure que nostre Seigneur nous vouldroit donner pour trouver et avoir honneur de chevalerie. Par ma foy, dist le chevalier, et je vous enseigneray la plus belle adventure et la plus honnourable que jamais gentilz hommes eussent en eulx adventurant, et la plus honnourable entreprise. Et quant les damoiseaulx l’entendirent, ilz le vindrent acoler en lui disant en ceste manière : Noble homme, vueillez nous dire que c’est. Par foy, messeigneurs, voulentiers, tant pour ce que je seroie bien joyeulx de vostre advancement et de raison soustenir, et de manifier le bien faire, et de admonester tous ceulx qui vueillent avoir honneur de ensievyr le chemin et la voye de bien et honneur avoir.

Mes chiers seigneurs, il est verité que tous ceulx qui veullent et aiment verité et honneur et chevalerie, ilz doibvent aidier à soustenir en leurs drois les vefves, dames et orphelins, et orphelines. Et pourtant, mes treschiers seigneurs, il est ainsi que en la marche de Lorraine et d’Ardanne a une moult riche contrée et noble, que on appelle la duché de Lucembourg, laquelle duché a par long temps gouverné comme son propre heritaige et demaine ung tresnoble et vaillant homme. Or advint que depuys ung peu de temps en cha, celluy noble homme est allé de vie à trespassement, et n’est demouré nul heritier fors que une tresnoble et belle pucelle, à laquelle tout le pays et bonnes villes ont fait hommaige. Et, mes treschiers seigneurs, plaise vous sçavoir que le roy d’Anssay la demande à femme ; mais elle pour riens qu’il soit ne s’i est voulu consentir, pour ce qu’il a esté autresfois marié ; lequel roy d’Anssay en a tel despit qu’il a deffié la pucelle et tout son pays, et y est entré à banière desploiée, faisant guerre de feu et de sang, et tout ce fait par son oultrage, sans cause et sans raison, et a assiegé la pucelle et ses gens en sa ville de Lucembourg, et a juré qu’il n’en partira jamais jusques à ce qu’il l’aura prise, et dict que comment qu’il soit, il l’aura par force ou par amour. Donc, messeigneurs, il me samble qu’il n’y a au monde plus honnourable voiage, ne plus raisonnable que cestuy ; car tous ceulx qui aiment honneur et gentilesse doibvent celle part tirer. En bonne foy, dit Anthoine, vous dictes verité, et sachiés que je parleray à madame, assavoir moult l’aide que monseigneur mon père et elle nous vouldront faire ; et comment qu’il soit, à l’aide de Dieu, nous irons secourir la pucelle que le roy d’Anssay veult avoir par force, dont il me samble qu’il est mal conseillé ; car quant on les a euz par leur bon gré accordez à la loy de mariage, si y a il aulcune fois entr’eulx grant riote et grant discorde. Par foy, monseigneur, dit lors l’escuier, c’est pure verité ; mais s’il vous plaist aprendre le voiage, moy et mes compaignons, deux gentilz chevaliers qui cy sont venus avec moy, vous y conduirons et vous aiderons de tout nostre povoir. Et adonc les frères luy respondirent : Grans mercis, et sachiés que là nous irons au plaisir de Dieu. Et atant ilz s’en vont vers leur mère, et l’escuier s’en retourna vers ses compaignons, et leur dist comment il avoit exploité en ses parolles, et que sans leur requeste auroit le secours des deux frères, et seront encores prié de les y conduire, et leur disoit toute la manière comment il avoit compté le fait aux deux frères en demonstrant que c’estoit aulmosne bien grande de aidier à la noble et bonne pucelle, sans ce que les frères sceussent qu’ilz feussent de riens tenus à elle. Or vraiement, dirent les deux barons, c’est tressaigement besoingné ; or en soit Dieu loué.

Or nous dist l’istoire que Anthoine et Regnauld vindrent à leur père et mère, et leur denoncèrent ces nouvelles, en leur requerant que ilz leur voulsissent aidier à faire ceste entreprise. Par foy, dame, dist Raimondin, en ceste raison cy a moult bel commencement d’armes faire. Et pourtant je vous prie treschièrement que vous leur faictes leur arroy tel et si honnourable que y ayons honneur et prouffit. Par foy, dit Melusine, et pour vostre voulenté acomplir je m’en efforceray aprez la departie de ceste feste, et acompliray vostre commandement tellement, se Dieu plaist, que vous en serez content. Adoncques fist crier à la trompette que tous gentilz hommes du pays et aultres quelconques, que ilz sceussent, qui vouldroient aller aux gaiges de Anthoine et de Regnauld de Lusignen, que ilz se trouvassent dedens ung jour, à Lusignen, qui seroit nommé ; et que là seroient paiez de leurs gaiges tout entierement pour ung an. Et aussi le fist crier par tout le pays de Poetou, et par toutes marches d’environ ; et ne demoura que la feste se departist tantost dont je vous avoie parlé, et se departit moult honnorablement et amiablement, et se retrahit chascun en son pays. Et si me tairay de la feste, et vous diray comment Melusine fist l’appareil de ses deux enfans pour eulx en aller au secours de la pucelle.

En ceste partie nous dist l’istoire que dedens le jour que Melusine eut fait annoncier et crier les gaiges, se assemblèrent en la prarie de Lusignen moult grant foison de gentilz hommes, tant de Poetou comme des marches voisines d’entour, lesquelz furent nombrez à quatre mille bassines et cincq cens que archiers, que arbalestriers. Et sachiés qu’il n’y avoit nulz paiges, fors gros varlés d’armes armez de gros jaques et capellines ; et furent logez en tentes et pavillons, et si bien ordonnez que chascun s’en louat. Et leur fist Melusine delivrer et paier leurs gaiges tout entierement pour ung an. Et tandis qu’elle faisoit leur appareil, les deux frères tenoient l’escuier en parolles, et les deux barons aussi, en leur demandant de l’estat de la pucelle et de son pays ; et ceulx leur en dirent la pure verité, et estoient moult joyeulx en cuer de l’apparence du noble secours que ilz veoient si prestement appareiller ; car ilz eussent bien pris en gré à demy an tel appareil. Adoncques commencèrent moult devotement à louer nostre Seigneur Jhesucrist et la vierge Marie, sa benoiste et doulce mère. Et quant ilz congneurent toutes ces choses, ilz envoièrent puntement ung message aux barons de Lucembourg, et pour leur anoncier et faire assavoir le noble secours que Dieu leur envoioit, dont ilz furent moult esjouys. Et aprez, les barons vont dire les nouvelles à la damoiselle, qui moult s’en reconforta, et commença moult devotement à loer Dieu son createur. Et adoncques quant la damoiselle oy la nouvelle et fut espandue par la ville, ilz eurent chascun si grant joye que ilz ne povoient plus, et firent adoncques sonner les trompettes et les menestriers ; et firent moult grant feuz par les carefours de la ville, disant à haulte voix ces parolles : Joye et victoire à nostre pucelle. Et quant ceulx de dehors les oyrent, ils s’en donnèrent si grant merveille, et le allèrent noncer au roy, qui adoncques fut trespensif. Et lors lui vint certaine personne qui lui dist : Sire roy, soiez sur vostre garde, car ceux de la ville si se actendent d’avoir secours bien brief. Par mon chief, dist le roy, je ne sçay, ne ne puis sçavoir en nulle manière adviser dont secours leur peut advenir ; je ne me doubte pas que je ne les ayes ou par force ou par famine. Et ainsi se asseura le roy d’Anssay ; mais depuys il s’en trouva bien deceup. Or vous lairay au present de plus parler de luy et commenceray à parler de Melusine, et comment elle eut tout accomply ce qu’il failloit à ses deux enfants ; elle les fist faire chevaliers à leur père et y eut bel behordis en la prarie de Lusignen ; et en y eut trois aultres chevaliers en celle journée pour l’amour des deux frères ; et eurent chascun robes, chevaux et harnois, de la finance largement, et fut tout prest comme pour mouvoir.

Adoncques appella Melusine ses deux enfans, en leur disant en ceste manière : Enfans, vous vous departez de la compaignie monseigneur vostre père et de moy, et est tresgrande adventure se je vous revoy par decha. Et pourtant je vous vueille enseignier et introduire pour vostre bien et avancement ; ce que je vous diray et l’entendez et retenez bien, car il vous sera bien besoing au temps advenir. Et tout premierement, aimez, doubtez et servez Dieu, nostre createur, tous les jours continuellement ; et tenez bien fermement, justement et sainctement le commandement de nostre mère saincte Eglise et tous ses degrez et commandemens de nostre foy catholique. Soiez humbles, doulx aux bons, et bien aspres aux mauvais. Et soiez tous temps de belle responce aux grans et aux petitz, et tenez parolle à chascun quant temps sera ; ne promettez chose que vous ne peussiez briefvement acomplir selon vostre pouvoir ; ne actraiez jà rapporteurs de parolles devers vous ; ne croiez jà envieux, ne ne croiez mie legierement, car ce fait aulcunefois maint ennemy ; ne ne mettez en office nulz avaricieulx, ne aussi nulz felons ; ne ne vous acointez de femmes d’aultruy ; departez à vos compaignons loyaulment de ce que Dieu vous donra. Soiez doulz et debonnaire à vos subjectz, et à vos ennemis fiers et cruelz, tant qu’ilz soient soubmis en vostre obeissance, se par force le fault faire ; et ce c’est pour traictiez, si les traictiez amiablement à vous, et prenez raison d’eulx et l’offrez aussi selon le cas, mais convient qu’il soit ; ne tenez jà long traictié, car pour ce ont esté plusieurs princes deceupz. Gardez-vous bien de trop menasser, de vanter ; mais faictes vostre fait à peu de parolles ce que faire se pourra. N’aiez jà nulz de vos ennemis en despit, tant soit petit, mais soiez tousjours sur vostre garde ; ne soiez pas entre vos compaignons comme sire, mais soiez commun, et honnourez chascun selon son degré, et leur donnez du vostre selon vostre aisement et que la personne le vauldra. Donnez aux bons hommes d’armes chevalx, cottes d’acier, bassines, des premiers, et argent selon raison, et vous, se vous voiez ung bon homme de la main qui vienne devers vous mal vestu ou mal monté, si l’appellez moult humblement et luy donnez robes, chevaux et harnois, selon la valeur de sa personne et selon le povoir que vous arez alors. Or, mes enfans, je ne vous sçay plus au present que dire, fors que tenez verité tousjours à tous vos affaires. Tenez, je vous donne à chascun ung agnel d’or, dont les pierres ont une mesme vertu ; car sachiez que tant que vous arez bonne cause que vous ne serez ja desconfis en bataille. Et lors les commença à baisier tous deux amoureusement comme leur mère, et ilz la mercièrent et prindrent congié de leur père, qui fut moult doulant de leur departie. Et lors firent sonner leurs trompettes, et se mirent tout devant, et se desloga l’avant-garde, et puys aprez tout le sommage, et la grosse bataille aprez, et puys l’arrière-garde, en si tresbonne ordonnance que c’estoit grant beaulté à veoir l’estact de l’avant-garde ; et l’avoit à gouverner ung tresgrant et vaillant chevalier de Poetou ; et les gentilzhommes et les deux ambassadeurs de Lucembourg et les deux frères menèrent la grosse bataille ; et en l’arrière-garde furent les deux chevaliers poetevins, qui menèrent Urian et Guion de Chippre, et qui premierement leur comptèrent comment le souldan avoit assiegé le roy de Chippre ; et à ces deux chevaliers avoit jà recommandé Raimondin et Melusine l’estat de ses deux enfans. Et est vray que la première nuyt ilz se logèrent dessoubz une moult forte ville, sur une petite ripvière, et estoit icelle ville nommée Mirabel, et la fonda Melusine. Et en celle nuyt commencèrent les deux frères à faire bon guet, ainsi comme se ilz fussent ores en la terre de leurs anemis, dont pluiseurs se donnoient grans merveilles ; mais ilz ne l’osoient refuser, car Anthoine estoit si cruel que chascun le doubtoit. Le lendemain au matin, aprez messe oye, firent les deux frères crier sur paine de perdre harnois et chevaux et estre banny de leur compaignie, que chascun chevauchast armé soubz sa banière en belle bataille. Nul ne l’osa refuser, ains fut ainsi fait, dont chascun se donna grant merveille ; et en ceste manière chevauchèrent bien par l’espace de dix journées, et tant qu’ilz vindrent en Champaigne ; et estoient pluiseurs anuyés de porter leurs harnois, tant pour ce qu’il n’estoit nul besoing, comme pour ce qu’ilz ne l’avoient pas acoustumé et en parloient les aulcuns. Adoncques vint le chevalier de l’avant-garde aux deux frères en disant ainsi : Messeigneurs, le plus de vos gens se tiennent à malcontens de ce que vous les contraindés à porter leurs harnois ; car il leur semble qu’il n’en est nulle necessité tant qu’ilz viendront à approchier la terre de vos ennemis. Et comment, sire chevalier, dist Anthoine, ne vous samble-il point que la chose qui est acoustumée de longue main ne soit mieulx congneue de ceulx qui la excercent que telle qui est nouvellement aprise, et si en est mains grevable. Par foy, dist le chevalier, c’est bien dict. Il vault mieulx, dist Anthoine, qu’ilz apprengnent la paine de soustenir leurs harnois en temps qu’ilz le peuvent faire à leur aise et eulx refreschier seurement, pour en sçavoir la manière comment ilz le pourroient aisement soustenir et souffrir quant mestier en sera ; car se il leur convenoit aprendre entre leurs ennemis, il leur doubleroit la paine plus grande ; et vous sçavez qui n’aprent son mestier en sa jeunesse, à grant paine pourra-il estre bon ouvrier en sa viellesse. Par foy, monseigneur, vous en parlez vaillamment, et est votre raison moult bonne. Et adoncques se departist de luy et nunça à pluiseurs ceste raison, tant que ceste nouvelle fut sceue parmy l’ost, dont chascun s’en tint à bien content, et disrent tous que les enfans ne pourroient faillir à avoir grant bien, se Dieu leur donnoit vie, et qu’ilz viendroient à grant perfection de bien et à treshault honneur.

L’istoire nous dist, en ceste partie, que celle nuyt se loga l’ost sur une ripvière qui estoit lors appellée Aisne. Et quant vint au premier sompne, les deux frères firent crier à l’arme moult effroiement parmy l’ost. Adoncques eubt grant trouble, et chascun se arma de toutes pars, et se misrent en bataille, chascun soubz sa banière devant leurs tentes, en bon arroy. Et estoient tresbien acompagniez de nobles gens à grant foison de torces et de fallos tresbien alumez. Et y avoit sy grant clarté comme se il fut jour, et toutes les banières se approcèrent de l’aler en belles batailles. Et sachiés bien que c’estoit grant beaulté à veoir la bonne contenance et la noble ordonnance des gens d’armes et des deux frères, quy alloient de bataille en bataille, et là où il avoit faulte de ordonnance, ilz luy mettoient. Et les trois embassadeurs de Lucembourg regardoient moult bien leur contenance, et disoient l’ung à l’aultre : Par foi, ces enfans sont moult bien taillez de conquerre encores une grande partie du monde. Ores peut bien dire le roy d’Anssay qu’il comperra sa folie et sa folle entreprise et le dommage qu’il a fait à nostre pucelle et à son pays. En ces parties furent moult longue espasse de temps que les coureus eurent par tout descouvert, et qu’ilz furent retournez en l’ost, et disdrent qu’ilz n’avoient riens oy ne veu ; dont tous se donnèrent moult grant merveille qui avoit fait tel effroy. Mais en la fin il fut bien sceu que les deux frères l’avoient fait faire ; et vindrent les deux chevaliers de l’arrière-garde, et aussi ceulx de l’avant-garde, aux enfans, en disant en ceste manière : Mes seigneurs, c’est bien simplesse à vous de faire ainsi travailler vos gens d’armes pour neant. Comment ! dist Anthoine, quant vous faictes faire ung habit nouvel, ne le faictes-vous pas assaier pour sçavoir moult se il y a que amender ? Et tous respondirent : Par ma foy, sire, oy, et c’est à bon droit. Dont dist Anthoine : Se j’ay voulu assaier mes compaignons, ainçoys qu’il en soit temps, pour sçavoir comment je les auroie prest à mon besoing, consideré et veu que nous approuchons prez de nos ennemis, affin, se aulcune chose y eubt de faulte, que nous y eussions pourveu de remède convenable, à mains de dommaige que se besoin en fut. Adoncques, quant ilz entendirent ceste parolle, ilz respondirent : Monseigneur, il est bien vray que icy n’a que raison. Et se donnèrent moult grant merveille de leur gouvernement et de leur sens ; et disoient à eulx mesmes qu’ilz viendroient encores à grant perfection. Il ne demoura gaires que le jour vint ; la messe fut chantée, les trompettes sonnèrent ; l’avant-garde, le sommaige et le charroy se deslogèrent, et puys aprez l’ost, et allèrent tant par leurs journeez, que ung soir se logèrent sur une ripvière nommée Meuse, audessoubz d’une fortresse nommée Dam Chastel, et de là n’avoit pas plus deux logis jusques au siége de Lucembourg. Adonc vindrent les ambassadeurs aux deux frères, en disant : Mes seigneurs, il n’y a plus que douze lieues jusques au siége, et seroit bon que vous feissiés refreschier vos gens sur ceste ripvière, car cy a assez bon sejour a bonne prarie ; et aussi de vous adviser comment vous vouldrez et devrez faire.

Lors respondist Anthoine moult baudement : Par foy, beaulx seigneurs, l’advis est tout fait dès que nous partiesmes de Lusignen ; car si tost que mon frère et moy aurons envoié par devers le roy d’Anssay, se il ne veult faire ce que nous luy manderons, il se peut bien tenir tout seur de la bataille, et en donnera Dieu la victoire à qui qu’il luy plaira ; mais quoy ! il nous samble que nous avons bonne querelle, et pourtant nous avons bonne esperance que Dieu nous aidera ; et aussi nous luy pensons à requerir raison devant que luy combatons ; mais il faut adviser qui portera nostre message. Par foy, Sire, dist le chevalier de l’avant-garde, moy, se il vous plaist, et ce gentilhomme, qui scet le chemin et le pays, irons. Au nom de Dieu, dist Anthoine, et il me plait bien ; mais ce ne sera mie encores jusques à tant que j’auray approuché de deux ou de trois lieues près, affin que se la bataille venoit vers nous, que nous ne tardissions pas trop largement, car se il la veult, nous vouldrions jà estre arrivez là. Et ainsi les laissèrent jusques au matin. Adonc le lendemain après la messe se desloga l’ost, et passa la ripvière dessoubz Dan en belle ordonnance, et chevauchèrent tant qu’ilz vindrent loger à ung soir entre Verton et Lucembourg. Et le lendemain bien matin, Anthoine envoya le chevalier de l’avant-garde et le gentilhomme devers le roy d’Anssay en disant les parolles qui cy aprez ensievent. Adonc tant exploitèrent qu’ilz vindrent à l’ost du roy d’Anssay, qui furent bien congneus que c’estoient messagiers, et furent tantost menez au roy, lequel ilz saluèrent, et firent la reverence comme ilz deurent. Et adoncques le chevalier lui dist : Sire roy, nous sommes cy envoiez de par Anthoine et Regnauld de Lusignen, frères, pour vous monstrer la faulte et l’outraige que vous faictes à madamoiselle de Lucembourg, lesquelz vous mandent que se vous voulez restablir ses dommaiges et luy amender raisonnablement l’injure et vilonnie que vous avez faicte à elle et à ses gens et à son pais, vous ferez bien, et de vous departir de ce pays ; se non leur intention est de vous le faire reparer ou comparer à force d’armes ; et m’en respondez ce qu’il vous plaira à faire, et puys à vous en diray plus avant ; selon ce que je suys chergé je vous le diray. Comment ! sire chevalier, dist le roy, estes-vous venu cy pour preschier ? Par ma foy, petit y povez conquester, car pour vous ne pour vos lettres ne laisseray-je mie mon intention ; mais tant povez preschier qu’il vous plaira, car je prens mon esbatement en vos preschemens. Et aussi je crois que vous ne faictes ne dictes ces choses sinon pour truffe. Par mon chief, sire roy, dist le chevalier, qui fut moult couroucé, se vous ne faictes promptement ce que mes seigneurs vous mandent, bien brief la truffe vous sera monstrée à certes, au plus tart dedans trois jours prochainement venans. Sire chevalier, dist le roy, menasser povez assez, car autre chose n’emporterez-vous de moy ; car vostre maistre ne vostre menasser ne prisé-je pas ung festu. Dont, roy, dist le chevalier, je vous deffie de par les deux damoiseaulx de Lusignen et de par tous leurs aidans. Or bien, dist le roy, je me garderay de mesprendre et de perte. Par mon chief, dist le chevalier, il vous en sera bien besoing. Et atant s’en partist sans plus dire, et quant il vint au dehors du logis, le gentilhomme print congié de luy et alla à Lucembourg pour compter les nouvelles des deux frères, et quant il vint à la porte, il fut moult bien congneu, et luy fut la planche avallée et la porte ouverte, et tantost on luy demanda des nouvelles. Par foy, dist l’escuier, faictes bonne chière, car vous aurez tantost le plus noble secours qui fut oncques veu, et sachiés bien que le roy d’Anssay attent qu’il sera certainement ou pris ou mort, et toutes ses gens seront ou mors ou desconfis. Adoncques commença telle joye parmy la ville que ceulx de l’ost en oyrent le bruit, et adoncques s’en donnèrent grant merveilles que ce povoit estre, ne quelle chose leur povoit estre advenue de nouvel ; et adonc le nuncèrent au roy. Par ma foy, dist le roy, ilz se reconfortent au secours de ces deux damoiseaulx de par qui ce chevalier nous a deffié ; je croy bien qu’ilz en ont oy nouvelles, et pour ce font-ilz telle joye. En nom de Dieu, dist ung ancien chevalier, tout ce peut bien estre, et seroit bon de s’en prendre garde, car il n’est nul petit anemy. N’ayez doubte, dist le roy ; je les cognois assez bien par semblant, car devant qu’ilz soient venus de Poetou, nous devrons avoir achevé une partie de nostre voulenté. Or vous laisseray atant de parler du roy, et parleray de l’escuyer qui estoit venu à Lucembourg pour apporter nouvelles à la pucelle. Et adoncques luy va compter la pure verité du fait, et elle lui enquist moult des choses des deux frères, de leur contenance et de leur estre ; et luy dist comment Anthoine portoit la griffe du lyon en la joe, et de la grant fierté et grant puissance de luy ; et luy dist et compta de Regnauld, qui n’avoit que ung œil, et de la beaulté de leurs corpz et de leurs membres, dont elle se esmerveilla moult, et dist que c’estoit grant dommaige quant il y avoit deffaultz ès membres de telz nobles hommes. Et à tant se taist l’istoire d’en plus parler, et parle du chevalier poetevin qui retourna grant erre vers l’ost.

L’istoire nous dist que tant erra le chevalier qu’il vint en l’ost des deux frères, et leur recorda comment il avoit fourni tout son messaige, et leur compta de mot à mot l’orguilleuze responce du roy, et comment il l’avoit deffié de par eulx, et aussi comment l’escuier estoit parti de luy et s’en estoit allé à Lucembourg compter les nouvelles de leur venue. Et quant les deux frères l’oyrent, ilz furent moult joyeux, et firent tantost crier parmy l’ost que tous ceulx qui n’avoient bonne voulenté de venir à la bataille se missent d’une part, et qu’ilz leur donneroient congié de retourner en leur pays, mais ilz s’escrièrent tous à haultes voix : Ha, ha, francs damoiseaulx, faictes sonner vos trompettes et mettez-vous en chemin, car nous ne sommes point venus en votre compaignie fors que pour prendre l’adventure telle que Dieu nous la vouldra donner. Ha, ha, seigneurs, allons courir sus à nos ennemis, car, à l’aide de Dieu et à la bonne voulenté que nous avons, ilz seront tantost desconfis. Adoncques quant les deux frères oyrent la responce de leurs gens, ilz furent moult joyeulx, et tantost firent leur host desloger, et vindrent loger sur une petite ripvière ; et furent l’avant-garde et la grosse bataille logez ensamble, et aussi l’arrière-garde, pour ce que on ne povoit plus aller avant ; et souppèrent tous ensamble, et puis s’en alla chascun reposer ; et fut ordonné que chascun fut tout prest au point du jour ; et laissèrent pour garder les logis deux cens hommes d’armes et cent arbalestriers ; et adonc se mist l’ost en chemin. Là veissiés banières et panons au vent ; là povoit-on veoir fleur de chevalerie ; là veissiés bassines reluire et harnois cliquer ensamble que c’estoit grant beaulté à veoir ; ilz se serroient ensamble si que l’ung ne passoit l’aultre d’ung doit. Anthoine et Regnauld furent au premier front, montez sur deux beaux destriers, armez de toutes pièces, et en tel estat allèrent tant, que environ le soleil levant ilz vindrent sur une petite montaigne, et veoient en la vallée la ville et le chasteau de Lucembourg et le grant siége à l’environ. Et sachiés que ceulx du siége n’avoient point encores apperceu l’ost des deux frères de Lusignen ; mais ilz estoient tous asseurs que ilz devoient avoir la bataille. Adoncques envoya Anthoine jusques à quatre cens bassines pour estourmir l’ost ; et venoit aprez le petit pas en belle bataille ; et sur les elles avoit chevaliers et arbalestriers en tresbonne ordonnance. Or disons des quatre cens arbalestriers qui allèrent estourmir l’ost du roy.

L’istoire nous dist que les quatre cens combatans vindrent en l’ost, et se ferirent dedens à cours de chevau en criant Lusignen ; et alloient parmy l’ost, occisans et abatans tout ce qu’ilz encontrèrent, et quant ilz furent approuchez de la tente du roy, et qu’ilz tendoient venir à celle tente, les gens du guet de la nuyt, qui n’estoient pas encores desarmez, leur furent au devant, par le cry et tumulte qu’ilz faisoient en exploitant leur entreprise ; et à l’encontre des ungs et des aultres, y eubt grant foison de lances brisées, et tourna à moult grant dommaige sur ceulx du siége. Mais soudainement le roy se arma et se mist soubz sa banière devant sa tente, et ce pendant qu’ilz tenoient piet, tout l’ost fut armé et se tirèrent à la banière du roy, qui leur demanda : « Beaulx seigneurs, quelle noise est-ce ? » Par foy, dist ung chevalier, se sont gens d’armes qui s’en sont venus en vostre ost fierement et crient Lusignen, et vous ont jà fait grant dommaige, et se le guet de la nuyt n’eut esté, ilz vous eussent fait assez greigneur, car ilz leur sont venus au devant et les ont combatus fort et ferme au dehors des logis, où ilz les ont reboutez par force. Par foy, dist le roy, ces damoiseaulx qui m’ont deffié ne musent gaires à moy porter dommaige, mais je m’en pense bien vengier. A tant est venu Anthoine et sa bataille, qui fist sonner ses trompettes moult clerement ; et quant le roy l’aperceut, il s’en vint au dehors des logis en belle bataille rangée, et adoncques les batailles s’entrerencontrèrent, et s’approuchèrent archiers et arbalestriers, et commencèrent à traire ; et là eubt de mors et de navrez grant foison des Anssoys, et neantmoins ilz se assamblèrent à grandes batailles, et là eubt grant occision et fière meslée. Et adonc Anthoine poingnit le chevau des esporons, la lance baissée, et ferit ung chevalier par telle roideur, que la targe ne le jacerain ne le peurent oncques garentier que il ne le ruast tout mort par terre. Adoncques traist l’espée et frappoit à destre et à senestre bien grans coups et pesans, tant que en peu d’eure il fut si congneu par toute la bataille, que le plus hardi d’eulx trestous ne le osoit point attendre. Lors vint Regnauld sur ung grant courcier, criant Lusignen, qui faisoit tant d’armes que tous ses ennemis le doubtoient ; adonc moult se requèrent d’une part et d’aultre bien vaillamment, et fust la bataille et l’occision moult fière et horrible, mais toutesfois la greigneur parte tourna sur le roy d’Anssay et ses gens, lequel en fut moult doulent, et se envertuoit fort et faisoit de moult beaulx vaisselages ; mais tout ce ne luy vallut riens, car les Poetevins estoient moult fors et durs, aspres et fiers comme lyons, et estoient leurs deux seigneurs si puissans que nul, tant fut hardi, ne les osoit attendre. Lors veoit bien le roy aux effors qu’il ne pouvoit souffrir leur force.

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