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Mélusine: Nouvelle édition, conforme à celle de 1478, revue et corrigée

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Comment Melusine se revint et parla à Raimondin.

Ha, ha, Raimondin, la journée que je te vis premierement fut pour moy trop douloureuse. A la mal heure vis oncques ton gent corps, ta fasson, ne ta belle figure ; mal convoité ta beaulté, quant tu m’as si faulcement traye ; combien que tu soiez parjure envers moy quant tu mis paine de moi veoir, mais pour ce que tu ne l’avois mie encores descouvert à personne, je le t’auroye pardonné en cueur, et ne t’en eusse point fait de mention, et Dieu le te eut pardonné ; car tu eusses fait ta penitance en cestuy monde. Las, mon amy, or sont nos amours tournez en hayne, en douleurs, en dureté, nos solas et joye en larmes et en pleurs, nostre bonheur en tresdure infortuneuse pestilence. Las, mon amy, se tu ne m’eusses faulcé ton serment, j’estoie jettée et exemptée de paine et de tourment, et eusse eu tous mes sacremens, et eusse vescu tout le cours naturel comme femme naturelle, et fusse morte naturellement, et eusse eu tous mes sacremens, et mon corps eut esté ensepveli en l’eglize de Nostre-Dame de Lusignen, et eusse fait mon anniversaire bien et deuement. Or suys-je par ton fait rabatue en la penitence obscure où j’avoie long temps esté par mon adventure, et ainsi le me fauldra porter et souffrir jusques au jour du jugement, et par ta faulceté ; je prie à Dieu qu’il te le vueille pardonner. Adonc elle commença à mener telle douleur qu’il n’y a si dur cueur au monde qui n’en eut eu pitié se il l’eut veue en ce point ; et quant Raimondin la vit, il eut tant de douleur qu’il ne veoit, n’entendoit, ne ne sçavoit contenance.

L’istoire dist que Raimondin fut moult doulent ; et pour vray, l’istoire et la vraye cronique le tesmoingne, que nul homme ne souffrist oncques telle douleur sans passer les articles de la mort ; mais quant il fut ung peu revenu en sa memoire, et vit Melusine devant luy, il s’agenoilla et joingnist les mains en disant ainsi : Ma chière dame, m’amie, mon bien, mon esperance, mon honneur, je vous supplie en l’onneur de la glorieuse souffrance de Nostre Seigneur Jhesucrist, en l’onneur du saint glorieux pardon que le vray Filz de Dieu fist à Marie Magdalaine, que vous me vueillez ce meffait pardonner, et que vous vueillez avec moy demourer. Mon doulx amy, dist Melusine, qui regarda que les larmes luy chayoient des yeux à si grant habondance que sa poetrine estoit arousée, le meffait vous vueille pardonner celluy qui est le vray juge et le vray pardonneur, qui est tout puissant, et la droite fontaine de pitié et misericorde ; car, quant à moy, je vous pardonne de bon cueur ; mais quant est de ma demourance, c’est tout neant, car il ne plaist mie au vray juge.

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