Islam saharien : $b chez ceux qui guettent (journal d'un témoin)
XIV
2 octobre.
D’ailleurs, ils ont choisi pour eux la plus intense, la meilleure part — celle du lion.
Dans ces jouissances, dont frissonne tantôt le corps et tantôt l’âme, ils ont su puiser les plaisirs qui font la trame de leurs jours béats. Ils savourent, ces chériffs, la volupté de rester toujours là (sauf de rarissimes voyages) quand les autres passent. — Ils ont des délices de la puissance… Et l’orgueil de la domination…
Autant que le pauvre pèlerin, mieux que lui, ils s’élèvent, s’ils le veulent, à l’Extase secouant les moelles. — Et, puisqu’ils sont guerriers (toujours s’ils veulent), ne leur sont pas refusées la force et l’ivresse du sang versé.
Ils ont, image de la guerre, les fusillades de poudre célébrant les fêtes. — Ils ont le raffinement de l’existence somptueuse et qui leur semble plus belle au contact des haillons de leurs frustes affiliés. — Ils ont les présents qui parlent des contrées éloignées et bizarres, dont l’exotisme surprend. — Ils ont les messages variés au milieu des mœurs immuables, et tout se renouvelle autour d’eux sans que rien n’y soit changé.
Ils ont les jardins fertiles et le charme des eaux courantes — et les matins nacrés — et les soirs d’or. Leur bon goût sut repousser les tam-tam, les vacarmes des danses : ils ont les musiques lointaines, celles des bergers de troupeaux, légères, imprécises, scandées, qui palpitent dans l’air transparent comme, après l’amour, bat le cœur.
Et les odeurs pénétrantes et sensuelles dont s’imprègne toute la zaouïa — les cassolettes de parfums — et les femmes, cassolettes brûlantes. — Et l’agrément des grandes pièces claires où le marbre étend sa douceur. — Et, d’autres jours, aux heures recueillies, la volupté des refuges clos, des laines profondes, des réduits moelleusement obscurs.
Et la lumière multipliée des cierges et des lampes, si chère à l’Islam — et la mélancolie aphrodisiaque, un peu philosophique, un peu sadique, qui vient de ces tombeaux si proches, ces tombeaux de leurs pères, dont ils vivent ; auprès desquels, un jour, sera leur tombeau qui fera vivre leurs fils.
Ils ont tout ce qu’un musulman peut rêver dans les Paradis — ils l’ont sur cette terre. Et même la beauté de l’éloquence, des prières nobles et sonores, cherchant l’esprit à travers les sens. Et même l’intrigue, la divine intrigue, aussi subtile, aussi fine qu’un cheveu de Géorgienne blonde. La divine intrigue, ils l’ont, brouillée à loisir. Tout, tout, ils l’ont. Et nous nous étonnons qu’ils ne nous aiment point, qu’ils se dérobent, qu’ils combattent pied à pied notre conquête, à nous Européens — à nous Français !
Qu’avons-nous donc à leur offrir, en échange de ceci ?
Et comment ne s’opposeraient-ils pas farouchement, fanatiquement à l’approche de notre état de choses, qui sera — ils le savent bien, ils le sentent — l’adversaire et le destructeur de ceci ?
Notre plus invincible ennemi, parmi ces contrées, c’est la volupté saharienne…