← Retour

Islam saharien : $b chez ceux qui guettent (journal d'un témoin)

16px
100%

XXXV

12 novembre.

La caravane des pèlerins d’Ouargla et du Touat n’arrive guère. Plus que je ne le laisse voir, je m’en préoccupe ; je m’impatiente. Si je me distrais, c’est sans joie.

— As-tu des nouvelles, Miloud-ben-Taïeb ?

Le bon Si-Kaddour s’informe ainsi pour moi près d’un chef des askers. Et le chef d’askers hoche la tête, semblant inquiet, lui également. Et sa préoccupation gagne le taleb dont le voile blanc cordé s’agite à l’unisson, exprimant le doute et la surprise.

— Ya Sidi Taleb, ceux d’Ouargla ne sont point même signalés par nos cavaliers.

En attendant, nous promenons nos loisirs inutiles dans le tohu-bohu des places, comme hier. Le grand chériff non plus ne se montre point aux horizons : mais cela paraît-il est voulu, à cause de raisons très subtiles. Cependant le jour se traîne. Les dromadaires crient, nerveux. En un coin de la quatrième cour un gros de pèlerins du Fezzou piaille, discute, se bouscule autour de deux mokaddèmes distribuant des amulettes — contre bonnes « aumônes », cela s’entend.

Des amulettes authentiques, selon les formules indiquées par Sidi-Bou-Saad.

Sur de petits carrés de papier, des lignes d’écriture croisées (comme souvent les dernières pages des lettres de femme). — Généralement une sourate du Koran, le chapitre de l’Aube, ou des Hommes : et cela se porte au cou, soit dans un sachet de cuir, soit dans un étui de métal. Préservatif de tous maux, fécondité pour les épouses, très salutaire aussi pour les chevaux et les chameaux, surtout si l’on y ajoute quelques gouttes d’eau d’Aïn-Selam et quelques mottes de terre bénie prise aux jardins de Mozafrane. Et, plus nombreux sont les sachets, plus naturellement le remède est efficace ; plus on est guéri des maux physiques et des tares ravalantes ; plus on est sauvé des démons ; plus on est apte à trouver le chemin des Paradis où les belles vierges, redevenant toujours vierges, offriront aux croyants ardents la beauté de leurs yeux noirs, de leurs corps souples et parfaits.

— Ya Sidi Taleb, dit un nomade, j’emporte deux papiers qu’avalera mon père malade ou que je ferai, inch’ Allah, bouillir dans son breuvage…

Le taleb approuve.

— Tu as raison, ô mon fils. N’oublie pas d’acheter aussi le verset qui guérit les douleurs et donne la vraie résignation : « Seigneur, Seigneur, lorsque tu dis d’une chose : Koun (sois), elle est ; ton ordre est accompli entre le Kaf et le Noun (entre le K et l’N)… » Et ces bienfaits ne sont pas tout ; la possession écrite de ces paroles efface quinze jours de péchés sur le registre de l’ange, au Ciel.

— Ya Sidi Taleb, c’est qu’elle est plus chère que les autres, la sourate de Koun.

— Le salut ne semble jamais trop cher, ô mon fils !

Je souris, entendant ceci. Le taleb s’en aperçoit, veut se justifier. Et nous discutons un peu, dans un mélange de théologie, de poussière et de chameaux bramants qui nous fait mal à la tête.

Mais cela aide à passer le temps.

Chargement de la publicité...