Islam saharien : $b chez ceux qui guettent (journal d'un témoin)
(20)
CHANTS PIEUX
Voici un article délicat. Si vous interrogez quelque taleb d’une zaouïa sainte, il vous répondra, surtout en certains ordres, que la musique instrumentale ou vocale est défendue par de sévères règlements, conformes du reste cette fois à la doctrine du Prophète[49].
[49] « Ceux qui n’auront jamais fait ni écouté de musique en ce bas monde auront aux Jardins futurs des bonheurs supplémentaires indicibles (Hadits). »
« Les chanteurs et joueurs d’instruments auront à supporter d’affreux supplices dans les sept enfers (Hadits). »
« Sont réputés couverts d’opprobre et récusés comme témoins les chanteurs d’habitude (Code de justice malékite). »
Mais il existe avec tous les cieux quelques accommodements : et, certes, on a l’occasion d’entendre souvent des chants religieux ou dévots sans qu’il en résulte aucun scandale. Les tolba, pour tout arranger, trouvent un compromis : ils assimilent les cantiques des ziars ou pèlerins, par exemple, au seul hymne dûment permis, el-telbïé, qui se psalmodie pour l’entrée à la Mecque ; ils font aussi, parfois, de ces chants populaires, le symbole des sons divins que profèrent les chœurs d’anges, quand ceux-ci s’avancent chaque vendredi jusqu’au trône septante-sept mille fois splendide d’Allah miséricordieux. Rapprochement de comparaison très goûté des fidèles, et très flatteur, évidemment, pour la vanité du chériff qu’on vient visiter.
J’ai noté sur le vif quelques-uns de ces couplets. En voici qui sont chantés par des fidèles de l’Ordre des Khadrïa[50], originaires d’Ouargla :
[50] Les Khadrïa sont moins rebelles au bruit chanté.
[51] Profession ou chahada : c’est la célèbre phrase : — Il n’y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est le prophète de Dieu. — La illah, ill’ Allah, ou Mohammed Ressoul Allah. Cette phrase, dite avec foi, suffit à faire d’un infidèle un musulman. Prononcée à l’agonie, même ébauchée, elle est la sûre clef du paradis.
[52] Baba, père en langage familier, montre la confiance des fidèles en leur saint, le fameux Sidi-Abd-el-Khader-ed-Djilani, de Bagdad.
Signalerai-je spécialement, à cause de l’aveu naïf qu’elle renferme, une des dernières strophes de la longue mélopée :
Et l’on se demande, entendant ces paroles, si parmi les dons de ziara il ne se trouvera pas un certain nombre de « mauvaises pièces », subrepticement glissées au Saint lorsqu’elles « passeront » mal ailleurs, faute d’avoir cours ou d’avoir poids. Mais non. Ce serait un sacrilège de la part des khouan pleins d’ardeur. La familiarité de leurs cantiques n’ôte rien à leur vénération pour les Chériffs de Lumière. Elle nous révèle seulement, cette familiarité, le troupeau des affiliés sous son réel jour : puéril, gai, roublard (qu’on me pardonne l’expression), épris de satisfactions sensuelles qu’un grain de poésie relève parfois — fort éloigné, au résumé, de l’extase mystique telle que la concevaient les anciens soufis.
Ces mêmes Khadrïa ont des prières plus spiritualistes. Voici un fragment de leur oudifa :
O Notre Dieu, nous invoquons ton assistance, nous implorons ton pardon, nous croyons en toi, nous nous confions en toi, nous nous résignons à ta volonté ! Place-nous au rang des parfaits, des purs ! Fais que nous mourions avec la chahada sur les lèvres !
Du reste, le chant populaire religieux, dans d’autres ordres, est d’inspiration très haute. Par exemple, le cantique « d’entrée » des Snoussïa, quand ils se rendent à la zaouïa-mère de Koufra :
Et ce chant jaillit des humbles gosiers comme une chose comprise, un appel senti, avec le râle instinctif de la volupté…
TOURS
IMPRIMERIE DESLIS FRÈRES
6, RUE GAMBETTA, 6