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L'esprit dans l'histoire: Recherches et curiosités sur les mots historiques

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«Rien de plus spontané et de plus authentique que ce mot de Louis XII: Le roi de France ne venge pas les injures du duc d'Orléans. Philippe, comte de Bresse et ensuite duc de Savoie, mort en 1497, avait dit peu de temps avant lui: Il serait honteux au duc de venger les injures faites au comte. Cette pensée généreuse était dans le cœur de ces deux princes, et nous ne devons pas sans doute les regarder comme de froids imitateurs de l'empereur Adrien, qui, le jour où il parvint au pouvoir, rencontrant un ancien ennemi, et remarquant son embarras: «Tu es sauvé,» lui dit-il (evasisti)[235]

[235] Le président Hénault, dans son Abrégé chronologique, à l'année 1498, avait déjà fait ce rapprochement.

Voilà ce que nous lisons dans un excellent travail de M. Suard, Notes sur l'esprit d'imitation, revu et publié dans la Revue française[236] par M. Jos.-Vict. Leclerc. Nous n'ajouterons rien à ces quelques lignes[237]. On y trouve tout ce qu'il faut dire sur ce mot et sur beaucoup d'autres du même genre qui sont assez simples et viennent assez facilement à l'esprit pour que deux princes, se trouvant dans une position pareille, aient pu les dire sans se devoir rien l'un à l'autre. Les rois généralement se volent peu leurs mots; lorsqu'il y a plagiat, transposition, supposition d'esprit, soyez sûr que le coupable est quelque historien trop zélé qui veut à toute force faire bien parler celui dont il écrit l'histoire. Ne pouvant rien inventer, il vole pour le compte de son héros. C'est dans ce cas seulement que le mot de Louis XII, devancé par celui du comte de Bresse, pourrait être d'une authenticité contestable.

[236] Nouv. série, t. VI, p. 202.

[237] Il est bon toutefois de remarquer que le mot ne fut pas dit à M. de la Trémoille, comme on l'a écrit partout, mais aux députés de la ville d'Orléans, qui, après s'être assez mal conduits avec leur duc, venaient en hâte lui faire leur soumission comme à leur roi. Louis XII les écouta avec bienveillance et leur dit ensuite: qu'il ne serait décent et à honneur à un roi de France de venger les querelles d'un duc d'Orléans. (Hist. ms. de Louis XII, par Humbert Velay, au prolog. du traduct. Nicol. de Langes.) Le mot ainsi présenté vise moins à l'antithèse et devient plus direct, plus naturel.

Je n'ai point de chicane à faire au sujet de cet autre que dit le Père du Peuple, lorsqu'on vint se plaindre à lui de la liberté de langage que se permettaient les farceurs de la Basoche contre sa façon de gouverner. «Le diable m'emporte! s'écria Louis XII, laissez-les dire, mais qu'ils gardent l'honneur des dames.» Puis il ajouta que ces satires étaient utiles, en ce qu'elles lui faisaient connaître la pensée du peuple.

Je partagerai bien un peu l'opinion de mon ami Ch. d'Héricault[238], qui trouve dans cette parole beaucoup moins de bonhomie que de prudente politique; moins de condescendance volontaire et presque paternelle que de concession forcée; quelque chose enfin comme la prétendue bonne volonté de Louis-Philippe, qui laissait dire parce qu'il ne pouvait empêcher de parler; mais ce sera une raison de plus pour que le mot me semble authentique.

[238] Œuvres complètes de Gringore, édit. elzévirienne, t. I, p. XXVIII.

Il sera bon toutefois, lorsqu'on le citera, de dire en quelle circonstance il fut prononcé: c'est après la représentation de la Sottise à huit personnages; c'est à sçavoir: le Monde, Abuz, Sot dissolu, Sot glorieux, Sot corrompu, Sot trompeur, Sot ignorant et Sotte folle. On y trouvait, entre autres épigrammes, celle-ci qui va droit à l'adresse du prince un peu trop économe:

Libéralité interdite
Est aux nobles pour avarice:
Le chief mesme y est propice,
Et les subjectz sont si marchans!

On ne sait de qui est cette sottise au libre parler, que Louis XII alla, dit-on, voir représenter. On l'attribue à Jean Bouchet, ce qui n'est pas invraisemblable. Il a en effet rappelé dans ses Épistres morales et familières la conduite si bienveillante du roi envers les farceurs, et ses paroles d'encouragement pour la témérité de leurs satires[239]. Cette mention, répétée en prose par Guillaume, frère de Jean Bouchet, dans ses Sérées[240], pourrait bien être le fait d'un souvenir ou plutôt d'une reconnaissance toute personnelle. Voici les vers de Jean Bouchet:

[239] V. notre édition de Gaultier Garguille, p. XLV de l'Introduction: La Farce et la Chanson au théâtre avant 1660.

[240] 1635, in-8º, 2e partie, p. 18.

Le roi Louis douzième désiroit
Qu'on les jouast devant lui, et disoit
Que par tels jeux il sçavoit mainte faute,
Qu'on lui celoit, par surprise trop haute.

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