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L'esprit dans l'histoire: Recherches et curiosités sur les mots historiques

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XLI

On met souvent sur le compte de Richelieu cette parole patibulaire: «Qu'on me donne six lignes écrites de la main du plus honnête homme, j'y trouverai de quoi le faire pendre.» Si quelqu'un a dit cela pendant ce règne, c'est Laubardemont certainement, ou bien encore Laffémas[412].

[412] Encore faut-il dire que celui-ci se lassa bien vite d'être bourreau, comme on le voit par une lettre où il demandait au chancelier Séguier d'être relevé de ses «emplois criminels... pour ne plus passer pour un homme de sang» (Sainte-Suzanne, les Intendants de la généralité d'Amiens, p. 239).

Richelieu ne descendait pas à ces détails de justicier farouche et de bourreau en quête de supplices.

Il ne s'amusait pas non plus, croyez-moi, à faire des antithèses sur le sang de ses victimes et sur la couleur de sa robe de cardinal. «Il avait dit, écrit M. Michelet[413]: «Je n'ose rien entreprendre que je n'y aie bien pensé; mais quand une fois j'ai pris ma résolution, je vais droit à mon but, je renverse tout, je fauche tout, et ensuite je couvre tout de ma robe rouge.» Ce sont là, s'écrie M. Michelet, des paroles qui font frémir.» Écoutez-les telles que Richelieu les a dites, et vous ne frémirez pas tant. Vous n'y trouverez, en effet, que l'expression d'une volonté inexorable qui, sans se faire gloire de tout faucher, marche toujours dans sa force et n'est arrêtée par rien: «Quand une fois j'ai pris ma résolution, je vais droit à mon but et je renverse tout de ma soutane rouge.».

[413] Précis de l'Hist. de France, p. 237.

Un autre de ses mots, que Voltaire[414], je ne sais pourquoi, trouve trivial, était celui-ci: «Tout par raison;» et c'est en effet par raison qu'il fit tout. La politique de Henri IV lui semblait être la vraie politique de la France; il s'en rendit bien compte, et ne se donna d'autre tâche que de la continuer. Henri IV avait dit: «Je veux bien que la langue espagnole demeure à l'Espagnol; l'allemande à l'Allemand; mais toute la françoise doit être à moy[415].» C'était poser les véritables limites de la France. Richelieu, qui le comprit, dit à son tour: «Le but de mon ministère a été celui-ci: rétablir les limites naturelles de la Gaule; identifier la Gaule avec la France, et partout où fut l'ancienne Gaule constituer la nouvelle[416]

[414] Lettre du 21 mars 1768, à M. de Taulès, dans laquelle il reprend quelques points de sa Dissertation tendant à prouver que le Testament politique du cardinal de Richelieu n'était pas de ce ministre. Cette Dissertation, imprimée dans son chapitre des Mensonges imprimés, a été mise à néant, avec toutes ses objections, par la Lettre de Foncemagne sur ce même Testament politique, 1769, in-12.

[415] Mathieu, Hist. de Henry le Grand, t. II, p. 444.

[416] Testamentum politicum, publié d'abord dans les Elogia sacra de Labbe, 1706, p. 253; puis à la suite de la Lettre de Foncemagne, p. 105.

Louis XIII le laissa faire, et pour cette liberté d'action accordée par lui à son ministre, il faut lui savoir presque autant de gré que s'il eût agi lui-même. S'effacer du premier rang pour passer volontairement au second n'est pas un mérite commun chez un souverain absolu: ce fut le mérite de Louis XIII, qui, après avoir bien calculé l'importance du fardeau qui lui était remis, et s'être avoué qu'il n'était pas de force à le porter dignement, le confia sans réserve à son ministre. Abnégation généreuse, car elle fut complète et persistante, sans arrière-pensée de regret, sans révolte de vanité. Il consentit à ce que le cardinal fût, comme on l'a si bien dit, «le fondé de pouvoir universel de la royauté[417]». Jamais il ne revint, de lui-même, sur le mandat qu'il lui avait octroyé[418]. Ce fut, pourrait-on dire, une sorte de monarchie en commandite: le roi fournissait la puissance, le ministre en trouvait l'emploi; Louis XIII régnait, Richelieu gouvernait, et tous deux préparèrent ainsi l'avènement d'un prince qui pût tout à la fois gouverner et régner.

[417] A. Thierry, Essai sur l'histoire et la formation du Tiers-État (Revue des Deux-Mondes, 1er mars 1850, p. 824).

[418] Il ne fallait pas moins que les obsessions les plus puissantes et les plus persistantes pour lui faire prendre une résolution contre son ministre. Rendu à lui-même ou à quelque bon conseil, il lui revenait toujours et tout entier, comme on le voit par ce qui arriva dans la Journée des dupes. V. dans nos Variétés hist. et littér., t. IX, p. 309, la relation qu'en a donnée Saint-Simon, relation si peu connue, mais qui mérite tant de l'être, à tous égards, pour les faits qui s'y trouvent et pour le style incroyable qui les revêt.

Ce qui fit la durée et la prospérité de cette commandite monarchique, de ce pouvoir royal affermé en des mains ministérielles, c'est que l'homme de génie à qui l'exploitation était remise n'en retint jamais rien de ce qu'aurait pu réclamer l'ombrageuse jalousie du maître. Toujours il fit remonter au roi l'honneur et l'éclat que ses actes pouvaient jeter sur la royauté. Dans tout ce qu'il a dit ou écrit, on ne trouve pas un mot qui ne soit à la glorification du pouvoir qu'il tient de Sa Majesté et sans lequel il n'eût rien fait. Jamais il ne parle autrement que dans ce passage de son Testament politique[419]: «Je promis à Votre Majesté d'employer toute l'autorité qu'il lui plairoit me donner.»

[419] P. 7.

Lorsqu'il craint de la part du roi, que tant d'ennemis entourent, quelque défaillance de bonne volonté, quelque défiance, qui en détruisant leur accord nuirait aux intérêts de l'État, il se permet de lui dire: «Je supplie Votre Majesté de repasser ce que je lui ai représenté plusieurs fois, qu'il n'y a point de prince en si mauvais état, que celui qui ne pouvant toujours faire par soi-même les choses à quoi il est obligé, a de la peine à souffrir qu'elles soient faites par autrui; et, qu'être capable de se laisser servir n'est pas une des moindres qualités que puisse avoir un grand roi[420]

[420] P. 198.

Voilà Richelieu, toujours prêt à dire à Louis XIII: «Je souhayte votre gloire, plus que jamais serviteur qui ayt esté n'a fait celle de son maître... je suis la plus fidèle créature, le plus passionné sujet et le plus zélé serviteur que jamais roy et maître ayt eu au monde[421]»; répétant sans cesse, à propos de cette gloire, qui ne vient que de lui: «Je n'oublieray jamais rien de ce que j'y pourray contribuer[422]»; et s'employant en effet de toutes les forces de son infatigable génie à ce service, où chacun le subit, tant il en pousse les moyens à l'extrême, mais où personne, même des plus hostiles, n'ose dire qu'il n'est pas nécessaire[423].

[421] Lettre au Roy, publiée pour la première fois dans la Revue des Deux-Mondes du 15 nov. 1834, p. 424.

[422] Id., ibid.

[423] V. encore à ce sujet la relation de la Journée des dupes, par Saint-Simon.

«Nous, dit M. Augustin Thierry[424], qui avons recueilli le fruit lointain de ses veilles et de son dévouement patriotique, nous ne pouvons que nous incliner devant cet homme de révolution, par qui ont été préparées les voies de la société nouvelle.»

[424] Revue des Deux-Mondes, 1er mars 1850, p. 836.


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