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L'esprit dans l'histoire: Recherches et curiosités sur les mots historiques

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LIV

Louis XVI, pas plus que son prédécesseur, ne possédait le don de la présence d'esprit et le secret de l'à-propos; mais lui, du moins, il avait conscience de son infériorité, et comme il savait aussi de quelle importance lui eussent été les qualités qui lui manquaient, il tâchait d'y suppléer.

Pendant quelque temps, il eut sous main une sorte de bel-esprit en titre d'office, un juré faiseur de mots, un homme qui, d'après l'air des circonstances où le roi aurait à se montrer, devinait ce qu'on pourrait lui dire, et improvisait ce qu'il aurait à répondre. Cet homme, c'était le marquis de Pezay[567], qui recevait pour cela du roi une pension de 6,000 livres[568]. Louis XVI, aux grands jours, comptait sur lui, absolument comme le comédien sur son souffleur. Le prince de Ligne, je ne sais, il est vrai, d'après quelles données authentiques, nous fait connaître une des lettres-leçons que Pezay écrivit ainsi au roi, lettres dialoguées d'avance, contenant la demande et la réponse.

[567] V. sur le rôle politique du marquis de Pezay, les Mémoires de Bezenval, t. Ier, p. 235; l'Espion anglais, t. IV, p. 388; l'Espion dévalisé, p. 69.

[568] Rev. rétrospective, oct. 1834, p. 138-139.

«Vous ne pouvez pas régner par la grâce, Sire, lui dit-il;—vous voyez qu'il parle en vrai maître,—la nature vous en a refusé; imposez par une grande sévérité de principes. Votre Majesté va tantôt à une course de chevaux; elle trouvera un notaire qui écrira les paris de M. le comte d'Artois et de M. le duc d'Orléans. Dites, Sire, en le voyant: «Pourquoi cet homme? faut-il écrire entre gentilshommes? la parole suffit.»

«Cela arriva, dit le prince de Ligne. J'y étais. On s'écria: «Quelle justesse, et quel grand mot du roi! voilà son genre[569]

[569] Œuvres choisies du prince de Ligne, t. II, p. 288. Le rôle de Pezay cessa quand M. de Maurepas, qu'il voulait renverser par son influence auprès du roi, comme il avait renversé l'abbé Terray, se fut fait livrer sa correspondance secrète. Madame Cassini, sœur de Pezay, et l'inspiratrice ordinaire de ce qu'il devait inspirer, avait confié une copie des lettres à M. de Maillebois, qui les livra lui-même à M. de Maurepas. Pezay fut exilé. (MM. de Goncourt, la Femme au XVIIIe siècle, 1862, in-8º, p. 441.)

A une époque où l'esprit était tout, le bon sens presque rien; où un mot spirituel sauvait la sottise d'un fait; où l'on était charmé d'une révolution pourvu qu'elle fît dire de jolis mots[570], la précaution n'était pas mauvaise à prendre. Un roi de France pouvait tout se permettre, excepté de rester court. L'esprit était une des nécessités de son état; il lui en fallait quand même. Louis XV avait perdu une partie de sa popularité en ne prenant pas la peine d'en avoir ou de s'en faire fournir; Louis XVI pouvait risquer la sienne par une négligence semblable. L'expédient du marquis fut donc, à tout considérer, un moyen de bonne administration[571].

[570] Chamfort, Œuvres choisies, éd. A. Houssaye, p. 64.

[571] Quand, à partir de 1789, Louis XVI fut obligé de prononcer des discours, on lui fit son éloquence, comme on lui avait fait son esprit. Garat fut un des pourvoyeurs. V. dans la Revue contemporaine, 15 décembre 1857, un article de M. Rathery sur l'Armoire de fer, p. 153.

Ce n'était pas d'ailleurs la première fois qu'on y recourait pour nos princes. Nous avons vu Anne d'Autriche soufflée par Mazarin, et nous allons voir, avec Chamfort, Louis XV, lui aussi, malgré sa paresse, acceptant d'étudier un rôle et de l'apprendre, gestes et paroles: «Du temps de M. de Machaut, on présenta au roi le projet d'une cour plénière, tel qu'on a voulu l'exécuter depuis. Tout fut réglé entre le roi, madame de Pompadour et les ministres. On dicta au roi les réponses qu'il ferait au premier président, tout fut expliqué dans un mémoire, dans lequel on disait: «Ici, le roi prendra un air sévère; ici, le front du roi s'adoucira; ici, le roi fera tel geste, etc.» Le mémoire existe[572]

[572] Chamfort, Œuvres choisies, édit. A. Houssaye, p.46.—A la séance royale qui eut lieu au Parlement le 22 février 1723, dans laquelle Louis XV vint déclarer sa majorité, il fallut trois discours: l'un du roi, l'autre du régent, le troisième du premier président. Pour qu'il n'y eût pas désaccord, une même plume écrivit les trois discours: celle du président Hénault. (V. ses Mémoires, Paris, E. Dentu, 1855, in-8º, p. 61-62.)

Que de choses perdues faute d'un mot dit à point! que d'inimitiés faute d'une bonne parole! La duchesse d'Angoulême n'avait pas plus que son père le don de l'à-propos. Elle n'aurait pas, elle non plus, pu régner par la grâce, comme disait Pezay. Elle le savait, et de peur de ne pas bien dire, elle ne disait rien. Par malheur, son silence, mal interprété, faisait des mécontents. M. de Chateaubriand fut de ceux-là. Après la campagne d'Espagne, les ministres étaient venus complimenter la duchesse; elle eut pour tous un mot aimable; pour le ministre des affaires étrangères, Chateaubriand, elle n'eut qu'un sourire. Il s'en plaignit, et ses plaintes, bien naturelles, transmises par madame Récamier au duc de Montmorency, parvinrent jusqu'à la princesse, dont le duc était le chevalier d'honneur. Elle avoua son tort. «Mais que voulez-vous, dit-elle, M. de Chateaubriand n'est pas comme un autre. Un compliment banal ne lui suffit pas. Il faut lui parler sa langue ou se taire. J'ai cherché pour lui un mot heureux que je n'ai pas trouvé, et je me suis contentée d'un sourire, croyant qu'il lui exprimerait assez ma reconnaissance.»

«Cette justification, dit M. Ch. Brifaut[573], parut insuffisante au grand homme, qui n'en a pas moins prouvé, en toute occasion, son admiration profonde pour la première vertu du siècle.»

[573] Œuvres, t. III, p. 78.


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