← Retour

L'esprit dans l'histoire: Recherches et curiosités sur les mots historiques

16px
100%

XXXIV

«Guise, averti de se garder des assassins, répond: «Ils n'oseraient.» César, en pareille circonstance, avait dit la même chose. S'ensuit-il que Guise ait imité César? Non; mais il y avait dans Guise quelque chose de César. Guise ressemblait à César, mais il ne le copiait pas.»

L'académicien Arnault, qui a écrit ces lignes dans un article de la Revue de Paris, sur les imitations plus ou moins fortuites d'actions ou de paroles, a tout à fait raison: c'est une rencontre de pensées inspirées par une rencontre d'événements semblables. Le mot de Guise, dont nous avons la preuve par tous les historiens de son temps, contribue même à nous faire croire davantage à celui de César, dont l'authenticité nous est certifiée par un moins grand nombre de témoignages.

Tout au rebours de celui-ci, le mot du duc de Joyeuse, s'écriant avant le combat de Coutras, lorsqu'il vit les soldats du roi de Navarre se mettre à genoux pour prier et non pas pour demander pardon, comme il le pensait: Ces gens tremblent, ils sont à nous; ce mot, dis-je, est évidemment renouvelé de vingt autres du même genre. C'est ce qu'avait dit Charles le Téméraire, à la bataille de Granson, lorsque, voyant les Suisses s'agenouiller, il estima qu'ils demandaient merci; c'est ce qu'avaient dit encore les Autrichiens à Frastenz[373]. Il n'y a que les anecdotiers comme L'Étoile, ou les historiens suspects comme d'Aubigné, qui prêtent cette parole à Joyeuse. Qu'en savaient-ils: l'un, puisqu'il était alors à Paris; l'autre, puisqu'il combattait dans le camp opposé? Sully, historien beaucoup moins inventif que d'Aubigné, n'en dit mot: c'est lui seul que je crois[374].

[373] V. un article de M. de Golbéry, Revue du XIXe siècle, 6 oct. 1838, p. 69.

[374] Il n'y eut d'authentique à Coutras que le mot du Béarnais: «Nostre grand et brave roy Henry IV, rapporte Brantôme, avec de longues et grandes plumes bien pendantes, disoit à ses gens: «Ostez-vous de devant moy, ne m'offusquez pas, car je veux paroistre.»

Vous avez pu juger, par ce qui précède, que je n'ai pas grande foi dans ce que dit d'Aubigné. Je suis, en cela, de l'avis de plus d'un esprit raisonnable de son temps. Voici ce que Malherbe écrivait à son cousin, le 14 février 1620, dans une lettre déjà citée, lorsque le second volume de la première édition de l'Histoire universelle était encore dans sa nouveauté, et que le troisième, publié en effet bientôt après, était attendu:

«Pour ce que vous m'escrivez au bas de vostre lettre touchant l'histoire de d'Aubigné, vous avez en ce volume, que je vous ay envoyé, tout ce qu'il a faict imprimer. Je crois bien qu'il sera suivy d'un troisième, mais il a si mal rencontré en ce commencement, que je crois qu'il y pensera de plus près dans l'advenir. Vous pouvez juger comme il doit parler véritablement des affaires du Levant et du Midy, puisqu'en ce qui s'est faict auprès de luy, par manière de dire à sa porte, il rencontre si mal. Le meilleur que j'y voye, c'est que ses mensonges ne feront pas geler les vignes, et que les denrées seront en la halle au prix qu'elles ont accoustumé. C'est de quoy il est question. Tout le reste, vanité, sottise et chimère[375]

[375] Les Œuvres de messire François de Malherbe, 1634 in-8º, p. 464.


Chargement de la publicité...