L'esprit dans l'histoire: Recherches et curiosités sur les mots historiques
XXII
Ce sont deux vers qui ont bien couru le monde depuis le jour où l'on dit que François Ier les écrivit sur une vitre du château de Chambord. Les a-t-il écrits réellement, et, dans ce cas, est-ce bien sur une vitre, longtemps cherchée, jamais retrouvée[254], qu'il les traça avec le diamant de sa bague? Je vais laisser Brantôme vous répondre à ces questions par un passage du Discours IV de son livre: Vie des Dames galantes[255].
[254] Théophile, Essai sur divers arts, notes de M. De l'Escalopier, p. 296.
[255] Édit. Ad. Delahays, p. 336.
«Il me souvient qu'une fois, dit-il, m'estant allé pourmener à Chambord, un vieux concierge qui estoit céans, et avoit esté valet de chambre du roy François, m'y reçut fort honnestement; car il avoit dès ce temps-là coneu les miens à la cour et aux guerres, et luy-mesme me voulut monstrer tout; et m'ayant mené à la chambre du roy, il me monstra un escrit au costé de la fenestre:
«Tenez, dit-il, lisez cela, Monsieur; si vous n'avez veu de l'escriture du roy mon maistre, en voilà.» Et l'ayant leu, en grandes lettres il y avoit ce mot: Toute femme varie.»
Telle est la vérité: l'on peut en croire Brantôme, le seul qui ait parlé de l'inscription comme l'ayant vue. Au lieu de deux vers, il n'y avait donc qu'une simple ligne de trois mots. De plus, rien ne nous prouve ici qu'elle ait été écrite sur la vitre avec un diamant, plutôt que sur l'un des larges côtés de l'embrasure de la fenêtre, avec de la craie ou du charbon: ce qui eût été plus naturel, surtout à cette époque-là. Si François Ier, en effet, se servit de la pointe de sa bague, il se trouve avoir été le premier qui fit usage du diamant pour rayer le verre. On n'en connaît pas d'autre exemple de son temps[256]; rien que pour cela certainement, Brantôme eût remarqué que l'inscription avait été tracée sur la vitre.
[256] Théophile, Essai sur divers arts, notes de M. De l'Escalopier, p. 296.—C'est dans un livre du temps de Henri III que j'en trouve la première indication, les Subtiles et plaisantes Inventions de J. Prévost, Lyon, 1584, in-8º, Ire part., p. 30-31.
Le roi avait écrit en grandes lettres, dit toujours Brantôme, et d'une main, à ce qu'il paraît, assez assurée pour que le caractère de son écriture fût reconnaissable. Or, comment cela serait-il possible s'il avait écrit sur l'une des vitres étroites dont alors on garnissait les fenêtres, et s'il se fût servi d'un diamant avec lequel on ne peut marquer que des linéaments indécis? Tous ceux qui ont repris l'anecdote après l'auteur des Dames galantes l'ont mal comprise, et, par suite, l'ont dénaturée en l'étendant. Mais de ceux-là, quel est le premier? Je crois bien, sans toutefois en pouvoir répondre, que c'est l'auteur du roman Les Galanteries des Roys de France[257].
[257] Bruxelles, 1690, in-8º, t. I, p. 145. Il n'y avait pas auparavant d'autre version que celle de Brantôme; aussi Bussy, dans sa lettre à Corbinelli, du 25 juin 1670, citant le mot, le cite comme Brantôme le donne. L'auteur de l'Histoire amoureuse des Gaules devait savoir par cœur ses Femmes galantes.
Je ne connais pas de livre plus ancien, qui nous donne le distique. Voici sous quelle forme il s'y trouve, laquelle a depuis été elle-même altérée, car le mensonge n'est pas plus respecté que la vérité:
Quant au dénouement de l'histoire de la fameuse vitre, soit qu'on dise qu'elle ait été «vendue aux Anglais comme tant d'autres choses françaises»[258], soit qu'on raconte que Louis XIV, «alors jeune et heureux,» la sacrifia à Mlle de La Vallière, c'est la digne conclusion de ce petit roman taillé à plaisir dans un fait véritable.
[258] Hist. de Chambord, par M. De la Saussaye, p. 52.