L'esprit dans l'histoire: Recherches et curiosités sur les mots historiques
XXXIX
«Henry le Grand, dit le chevalier de Méré[395], trouvoit bon tout ce qu'on lui disoit de facétieux, et le feu roy (Louis XIII), qui se plaisoit assez à dire de bons mots, aimoit encore mieux que l'on se défendist agréablement.»
[395] Œuvres posthumes, p. 282.
Cependant, de ce roi ami des bonnes ripostes pas un bon mot n'est resté. Il fut impopulaire comme Henri III, et comme lui il en porte la peine. Aux autres on prête de l'esprit; à ceux-là, on ne fait même pas honneur de celui qu'ils ont eu.
Ce que Richelieu dit dans son Testament politique[396], sur les plaisanteries des rois, plus cruelles dans leur bouche que dans toute autre, doit être à l'adresse de son maître. Ce sont de belles paroles, comme vous allez voir, et que Péréfixe a eu grand tort d'enlever au cardinal pour les prêter au Béarnais[397]. Le Diable à quatre, qui ne sut jamais retenir un bon mot contre personne, n'était pas d'humeur à se faire à lui-même cette grave leçon de silence:
[396] P. 199. On voit que, malgré Voltaire, je crois à ce livre, dont il ne cessa de combattre l'authenticité. J'ai pour moi La Bruyère, Foncemagne, le P. Griffet, qui me semblent en histoire d'aussi bonnes autorités que l'auteur de l'Essai sur les mœurs. Le P. Griffet, pour affirmer son témoignage, invoquait celui de Huet, qui avait vu le ms. dont on s'était servi pour l'impression, et que la nièce du cardinal, Mme d'Aiguillon, avait prêté. (Traité des différentes preuves..., 1770, in-8º, p. 102.)
[397] Hist. de Henri IV, Paris, 1681, in-8º, p. 54-55.
«Les coups d'épée se guérissent aisément, mais il n'en est pas de même de ceux de la langue, particulièrement de celle des rois, dont l'autorité rend les coups presque sans remède, s'il ne vient d'eux-mêmes. Plus une pierre est jetée de haut, plus elle fait d'impression où elle tombe.»
Louis XIII, d'après ce que nous a dit Méré, en aurait lancé beaucoup de cette sorte dans le jardin de ses amis; mais, encore une fois, personne ne les a ramassées.
Les seuls faits qu'on raconte de ce prince sont presque tous ridicules; les seuls mots qu'on répète de lui sont odieux. Par bonheur pour sa mémoire, il n'est pas bien difficile de prouver que les uns et les autres sont inventés. L'aventure du billet que Mlle de Hautefort cache dans son sein et que la main pudique du roi n'ose aller y prendre, est un conte fabriqué par l'auteur du mauvais livre: Intrigues galantes de la cour, dans lequel il se trouve pour la première fois.
L'anecdote du volant qui va se nicher à la même charmante place, et que le roi n'ose reprendre qu'avec des pincettes et en fermant les yeux, n'est pas certainement plus vraie[398]: c'est une invention du prédicateur qui, faisant l'oraison funèbre de Louis XIII, ne crut pouvoir trouver mieux pour exalter par un exemple la vertu la plus célèbre de ce chaste roi. On s'en est bien moqué dans le Segraisiana[399].
[398] Elle se trouve dans la Biogr. univers., 1re édit. t. XLI, p. 223-224.
[399] P. 174-175.
«Un prédicateur, y est-il dit, faisoit le panégyrique de Louis XIII, et en le louant de sa chasteté, il en rapportoit cet exemple avec une grande exagération: «Ce prince, disoit-il, jouant un jour au volant avec une dame de sa cour, et le volant étant tombé dans le sein de la dame, la dame voulut qu'il vînt l'y prendre. Que fit ce chaste prince pour éviter le piège qu'on lui tendoit? Il alla prendre les pincettes au coin de la cheminée, etc.» Cela seroit bon à mettre dans un Asiniana. C'est se moquer, d'amuser un grand auditoire de ces bagatelles; aussi un gentilhomme se leva et cria hautement: «Il auroit bien mieux fait de ne me pas mettre à la taxe,» ce qui fit rire toute la grande assemblée.»
Quel était le prédicateur? peut-être le P. Joseph, peut-être saint Vincent de Paul, qui, sur ce point-là surtout, servaient, par la colère de leurs sermons, la pudeur chatouilleuse du roi. Blot, dans ses Rêveries, Rébus, etc., dont Lancelot possédait le manuscrit, après avoir fait une très spirituelle dissertation sur le beau tétin[400], parle de l'horreur qu'en avait Louis XIII, «qui le regardoit comme damnation et lui faisoit même des avanies, ce qui faisoit, ajoute-t-il, que le P. Joseph et Vincent de Paul ne tarissoient pas en invectives sur cette partie de l'ornement des belles».
[400] Citée, d'après le ms. que lui avait prêté Lancelot par Jamet, dans ses Stromates, t. II, p. 1014.