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L'esprit dans l'histoire: Recherches et curiosités sur les mots historiques

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XXXVIII

Je pourrais, aidé de Bassompierre[386], réfuter très facilement ici la fable du grand veneur de Fontainebleau et de ses tapages giboyeux et lointains dans les bois pendant le règne de Henri IV; je pourrais aussi vous montrer en quelques mots que la chanson de la Belle Gabrielle n'est de ce roi, ni pour les paroles,—dont une partie, le refrain, date de bien avant lui, j'en ai la preuve[387];—ni pour l'air encore moins[388], puisque, selon le cardinal Duperron, qui le connaissait bien, Henri IV n'entendait rien «ni en la musique ni en la poésie[389]»; mais c'est une question que je réserve pour le temps où je ferai l'histoire des chansons populaires. Il me serait très facile encore de vous faire voir que l'on a calomnié le Diable à quatre dans la pratique du premier de ses talents, celui de boire, quand on a prétendu qu'il aimait de passion le vin de Suresnes, près Paris, tandis qu'en réalité c'est le Suren, petit vin blanc suret du Clos du Roi, dans le Vendômois, qui le délectait plus que tout autre; mais j'ai déjà traité quelque part[390], d'après un curieux renseignement donné par Musset-Pathay[391], cette question importante, et j'ai trop à dire encore pour avoir le temps de me répéter ici.

[386] Observations sur l'Histoire de France de Dupleix, p. 55.

[387] V. le Bulletin de l'Académie de Bruxelles, t. XI, p. 380.—M. Ph. Chasles pense aussi avec raison (Revue des Deux-Mondes, 1er juin 1844) que la chanson

Viens, Aurore,
Je t'implore, etc.,

n'est pas de Henri IV. V. encore Sainte-Beuve, Derniers portraits, p. 63. C'est, je crois, La Borde qui l'attribua le premier à Henri IV, dans le t. IV de ses Essais sur la musique, où l'abbé Brizard la reprit pour son livre cité tout à l'heure. Il espérait, dit-il, p. 92-93, qu'on lui ferait «voir l'original écrit de la main du Roi»; je crois bien qu'il l'espéra toujours. La première citation que j'en ai vue est dans les Stromates de Jamet le jeune, t. I, p. 984. Il n'en nomme pas l'auteur, ce qu'il n'eût pas manqué de faire si à cette époque déjà, c'est-à-dire en 1736, ces couplets eussent passé pour être de Henri IV.

[388] V. Fétis, Curiosités de la musique, 1re édition, p. 376.

[389] Perroniana, p. 167.

[390] Variétés histor. et littér., t. III, p. 133, note.

[391] Dans son excellent livre, aujourd'hui introuvable, Bibliographie agronomique, 1810, in-8º, p. 459.

Ce sont là d'ailleurs, comme la grande affaire des dindons importés par les jésuites, selon les uns, ou, selon d'autres, naturalisés en France à une époque bien antérieure[392]; comme aussi la grave querelle relative aux bas de soie de Henri II[393]; ce sont là, dis-je, de petits faits accessoires, de petites discussions incidentes dont je ne puis m'occuper même en passant.

[392] V., à ce sujet, une très curieuse note de M. L. Dubois, Chansons d'Olivier Basselin, édit. Ad. Delahays, in-18, p. 33-34, et un article du Magasin pittor., 1835, p. 62.

[393] Mézeray a écrit (Abrégé chronologique, in-4º, p. 1388) que Henri II fut le premier qui porta des bas de soie aux noces de sa sœur, et depuis, je ne saurais dire combien d'Histoires, de Dictionnaires des origines, etc., ont répété la phrase. C'est cependant tout le contraire qu'il faut croire pour être dans la vérité, telle que nous la tenons d'un contemporain même, d'Olivier de Serres, qui certes devait la savoir. Il vient de parler d'Aurélien, qui ne voulut jamais «porter de robe de soie», et il ajoute: «Semblable modestie se remarque du roy Henry second, n'ayant jamais voulu porter de bas de soie encore que l'usage en fust jà receu en France.» (Théâtre d'agriculture, édit. François de Neufchâteau, in-4º, t. II, p. 107.)

Ce qui, pour moi, est une affaire bien autrement importante ici, c'est la Poule au pot du bon roi. En a-t-il parlé? l'a-t-il souhaitée sur la table du paysan chaque dimanche? Je n'en doute pas. Cette parole-là est un mot de son cœur, et j'y crois plus qu'à ceux de son esprit. On se la répétait aux règnes suivants, même chez les ministres, et il semble que Colbert s'était fait une loi de satisfaire au royal et paternel souhait. Le passage suivant d'une de ses lettres à l'intendant de Tours, Voisin de la Noiraye[394], n'est qu'une paraphrase du mot de Henri IV, son désir transformé en vague espérance. Colbert demande: «si les paysans commencent à estre bien vestus et bien logés, et s'ils pourront enfin se réjouir un peu, aux jours de feste et de noces». Je crains bien que la réponse de l'intendant n'ait pas été satisfaisante. La poule n'était pas encore au pot, bien qu'on la plumât depuis longtemps, comme disait la vieille épigramme.

[394] Correspondance administrat. de Louis XIV, à la date du 21 nov. 1670.


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