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L'esprit dans l'histoire: Recherches et curiosités sur les mots historiques

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LXI

Nous avons raconté ailleurs[641], dans toute leur effroyable réalité, les détails des dernières heures de Robespierre, et nous nous sommes efforcé de prouver d'une façon définitive comment sa mort n'a pas été le résultat d'un suicide, ainsi qu'on l'a répété si souvent depuis que l'Histoire de la Révolution par M. Thiers a donné à cette erreur sanction et popularité[642].

[641] V. Paris démoli, 2e édit., ch. I.

[642] Depuis, M. Campardon, dans son livre d'ailleurs très curieux, Histoire du tribunal révolutionnaire de Paris, 1862, in-12, t. II, ch. v, a repris le système qui admet que Robespierre se tira lui-même le coup de pistolet; mais une des pièces qu'il publie, p. 152, le dément; c'est le rapport des officiers de santé sur le pansement des blessures de Robespierre. Il en ressort que le coup de pistolet qui lui fracassa la mâchoire inférieure fut tiré «dans une direction oblique..., DE GAUCHE A DROITE, DE HAUT EN BAS». Or, fût-on même gaucher, s'est-on jamais tiré ainsi un coup de pistolet? Il faut, dans ce cas, qu'il parte de la main d'un autre: cet autre ici est le gendarme Méda, comme nous l'avons dit, qui, par ses déclarations, que reproduit M. Campardon, p. 150, sur la manière dont l'arme fut dirigée, puis déviée, et dont le coup porta, se trouve on ne peut mieux d'accord avec le procès-verbal des médecins.

Nous ne reprendrons pas cette thèse. Un autre point plus obscur de la biographie de Robespierre nous occupera. Ce n'est pas l'histoire trop rebattue de l'homme, mais l'histoire très peu connue de l'une de ses œuvres, que nous vous dirons; en un mot, nous vous ferons savoir comment c'est un pauvre abbé qui fit, sous le nom et pour la plus grande gloire de notre avocat d'Arras, le rapport sur l'Être suprême, lu à la Convention le 7 mai 1794.

Je prends textuellement ce récit dans un rare et curieux petit livre: La Harpe peint par lui-même[643]:

[643] Paris, 1817, petit in-12, p. 36.—Puisque nous venons de nommer La Harpe, rappelons en courant que la prédiction de Cazotte, dont il écrivit le récit tant cité, est toute de son fait. Il l'avouait lui-même en finissant; mais cette fin fut supprimée par l'éditeur de ses Œuvres posthumes qui publia le premier l'étrange narration. Heureusement M. Boulard possédait le récit autographe, et l'on a tout su par là. Le Journal de Paris du 17 février 1817 donna une partie de l'aveu supprimé, et M. Beuchot (Journal de la Librairie, 1817, p. 382-383) a dit le reste. Dans la Biographie des croyants célèbres (art. Cazotte), dans les Mémoires de la baronne d'Oberckick (t. II, p. 398), que ce fait seul discréditerait, on s'y est encore laissé prendre; mais M. Sainte-Beuve, au contraire, s'en est gardé. Ce récit lui semble être le morceau capital de La Harpe: «Invention et style, dit-il, c'est son chef-d'œuvre.» Or, notez bien, invention! V. les Causeries du Lundi, t. V, p. 110.

«M. Porquet est digne d'être distingué par sa prose, particulièrement pour un discours que personne au monde ne lui aurait attribué, si M. de Boufflers, son élève, n'eût trahi son secret. Voici le fait, tel que nous le tenons de cet académicien lui-même:

«En 1794, l'abbé Porquet demeurait à Chaillot; là, vivant dans une solitude profonde, il avait pensé qu'il était à l'abri de la faux révolutionnaire, qui à cette époque moissonnait tant de victimes. Quelle fut un jour sa surprise, et quel fut son effroi, lorsqu'il reçut une invitation de Robespierre de se rendre sur-le-champ auprès de lui! Une pareille invitation n'était rien moins qu'un ordre. Il obéit et se présenta tout tremblant devant cet arbitre suprême de la vie et de la mort de tous les Français.

«Robespierre sourit en le voyant. «Ne craignez rien, lui dit-il, je connais votre patriotisme, et, mes occupations ne me laissant pas le temps d'écrire, j'ai recours à votre plume. Sous quatre jours, je dois prononcer à la Convention un discours pour annoncer et faire légaliser la Fête de l'Être suprême; j'ai jeté les yeux sur vous pour me faire ce discours, dont la lecture ne doit point passer une heure. Vous voudrez bien me le remettre sous trois jours.»

«Deux jours après, l'abbé Porquet eut fini ce discours qu'on trouva bien différent de tous ceux que Robespierre avait composés jusqu'alors. Le petit nombre de connaisseurs qui pouvaient, à cette époque, juger sans passion et sans partialité, trouvèrent que l'avocat d'Arras avait fait des progrès dans l'art d'écrire[644]

[644] Selon une note de M. Boulliot, dont le concours fut si précieux à Barbier pour son Dictionnaire des anonymes, ce n'est pas l'abbé Porquet, mais un autre prêtre, l'abbé Martin, collaborateur de Raynal pour une grande partie de l'Histoire philosophique, qui aurait composé ce discours de Robespierre. (Dict. des anonymes, 1823, in-8º, t. II, p. 546.)

Robespierre prêchant au milieu de sa fête déiste un sermon écrit par le vieil aumônier du roi Stanislas, me fait songer au R. P. Pacaud, lequel, s'il faut en croire l'abbé L'Écuy[645], prêcha vers 1750, à Notre-Dame, les cinq volumes de sermons du protestant Jacques Saurin, «mot à mot, dit l'abbé, sans y rien changer[646]».

[645] Bulletin de la Société du protestantisme français, etc., t. V, p. 70.—Il n'est plus étonnant que B. de Roquefort, parlant des sermons du P. Pacaud, dise que «l'on crut y reconnaître quelques erreurs». (Dictionnaire biographique des prédicateurs, 1824, in-8º, p. 193.)

[646] Il en est des chansons comme des sermons et des discours, elles n'appartiennent pas toujours à qui on les prête: pour la Marseillaise, quoi qu'en ait dit Castil-Blaze, cherchant à prouver que Rouget de Lisle en avait emprunté l'air tout fait à un cantique allemand chanté, dès 1782, aux concerts de madame de Montesson (Molière musicien, t. II, p. 452), on sait maintenant à quoi s'en tenir. Le récent travail du neveu de l'auteur ne permet plus l'ombre d'un doute. Paroles et musique sont bien de Rouget de Lisle.—L'air du Ça ira ou Carillon national est de Bécourt, et les paroles du chanteur ambulant Ladré, qui en prit le refrain au mot célèbre de Franklin sur la Révolution: «Ça ira, ça tiendra.» (G. de Gassagnac, Hist. des Girondins et des Massacres de septembre, Paris, E. Dentu, in-8º, t. Ier, p. 373.)


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