L'esprit dans l'histoire: Recherches et curiosités sur les mots historiques
Je ne dirai qu'un mot en courant du médecin Ambroise Paré, que le roi sauva, assure-t-on, de la mort, quoiqu'il fût très bon calviniste[368]. Je laisserai à un savant de ma connaissance[369] le soin de vous prouver que Charles IX n'eut pas en cela grand effort de clémence à faire, puisque Paré, quoi qu'on en ait dit, était catholique[370].
[368] Le mot de Paré: Je le soignay, Dieu le guarit, gravé sur sa statue à Laval, n'était qu'une réminiscence de ce que disait le roi de France à chacun de ceux qu'il touchait pour les écrouelles: «Le Roy te touche, Dieu te guérit.» (V. Du Peyrat, p. 793.)
[369] A. Jal, Dictionnaire critique, 1867, in-8º, p. 936-941.
[370] M. Malgaigne, dans sa remarquable Introduction aux Œuvres complètes d'A. Paré (t. I, p. CCLXXIX), avait émis déjà, sur ce sujet, des doutes équivalant presque à une négation absolue du fait accepté par tout le monde, depuis Brantôme (Sully, Mémoires, liv. I). C'est surtout au premier qu'il faut renvoyer le mensonge, rapporté deux fois dans ses Hommes illustres: au discours sur l'Amiral Coligny et à celui sur Charles IX. Il dit notamment en ce dernier endroit que le roi «incessamment crioit: Tuez, tuez, et n'en voulut jamais sauver aucun, sinon maistre A. Paré, son premier chirurgien...». L'erreur est double ici: d'abord, en ce que Charles IX, contre l'avis duquel le massacre eut lieu, voulut au moins qu'on épargnât Téligny, La Nouë, La Rochefoucauld et même l'Amiral; c'est Marguerite de Valois, sa sœur, qui le dit, et rien ne s'oppose à ce qu'on l'en croie (Mémoires, édit. L. Lalanne, p. 27-28); ensuite, parce que, je le répète, A. Paré, que Brantôme déclare avoir été le seul épargné, était de ceux qui n'avaient pas besoin de l'être, puisqu'il était catholique. M. Malgaigne (p. CCLXXX-CCLXXXII) démontre qu'il en eut toujours les croyances. On trouve dans ses Œuvres des preuves de sa dévotion toute catholique au Saint-Esprit, et de sa confiance, très peu huguenote, dans les exorcismes, etc. Ce n'est pas tout: quand il mourut, où l'enterra-t-on? Dans une église, à Saint-André-des-Arcs, alors qu'Aubry, le plus enragé des prêtres ligueurs, en était curé! M. Jal, p. 938, a reproduit l'acte mortuaire.
Je ne chercherai pas non plus à éclaircir le mystère de la mort de Jean Goujon, qu'on prétend, sans preuve, avoir été massacré à la Saint-Barthélemy; je vous dirai seulement qu'il ne fut pas tué d'une balle sur son échafaud du Louvre[371], ni, plus certainement encore, au moment où il achevait de sculpter les belles nymphes de la fontaine des Innocents. En 1572, il y avait vingt-deux ans que ce travail était terminé.
[371] Dans un de ces romans modernes qui ont tant ajouté aux mensonges que nous ont laissés les derniers siècles, l'on a été jusqu'à dire que c'est Charles IX qui, de son arquebuse, avait lui-même tué le sculpteur du Louvre. «Dans ce cas, dit M. de Longpérier, l'histoire ne laisse même pas, par son silence, le champ libre aux conjectures: nous trouvons dans un ancien historien que la reine Catherine de Médicis avait fait avertir Jean Goujon de ne pas sortir de chez lui.» (Le Plutarque français, XVIe siècle, notice sur Jean Goujon.)
Avant de tenter la solution de ce problème, il faudrait pouvoir porter la lumière sur tous les points de l'existence obscure du glorieux artiste; chercher, par exemple, où et quand il est né, avant de demander où et quand il est mort[372].
[372] V. Revue des Deux-Mondes, 15 juillet 1850.—«Il serait même possible de supposer, dit encore M. de Longpérier dans son excellente notice, que Jean Goujon, contrairement à l'opinion reçue, n'est pas mort dans la triste journée de la Saint-Barthélemy. Les Martyrologes protestants, plusieurs fois réimprimés, et qui contiennent la liste fort exacte et fort détaillée des réformés qui périrent dans les troubles du XVIe siècle, ne font aucune mention de Jean Goujon.»