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Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614

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Des Loix de la Captivité.

Chap. XV.

Puis que nous sommes sur ce subject des Esclaves, il est bon de traicter des Loix de la captivité, c’est à dire, que les Esclavves doivent garder, qui sont celles-cy. Premierement, De ne point toucher à la femme du Maistre, à peine d’estre fleché sur l’heure, & la femme d’estre mise à mort, ou au moins bien battuë, & renduë à ses Pere & Mere : d’où elle reçoit une tres-grande honte, tout ainsi que par deçà une femme seroit taxee d’avoir la compagnie d’un de ses valets : Sur quoy vous pouvez remarquer, que les filles ne sont meprisees pour s’abandonner à qui bon leur semble, tandis qu’elles demeurent filles, mais aussitost qu’elles ont accepté un mary, si elles se donnent à un autre, outre l’injure qu’on leur fait de les appeler Patakeres, c’est à dire putains, elles tombent à la mercy de leurs marys, d’estre tuees, battuës & repudiees.

Il est bien vrai que les François ont addoucy ceste Loy si rude, de ne donner permission aux Marys, de tuer tant l’esclave que la femme adultere : ains les amener tous deux au fort S. Loüis, pour en voir faire la punition, ou la faire eux-mesme, ainsi que je l’ay veu pratiquer quelquefois specialement d’un adultere commis entre la femme du Principal d’Ouyrapyran, & d’un Esclave fort beau jeune homme.

Cet Esclave estoit amoureux de ceste femme, & apres avoir espié tous les moyens d’en joüir, il la vit un jour aller toute seule à la fontaine, assez esloignee du village : Il alla incontinent apres & luy exposa sa volonté, puis l’embrassant de force, la transporta assez avant dans le bois où il r’assassia son desir : Elle qui estoit d’une bonne lignee, ne voulut point crier de peur d’estre diffamee, ains pria l’esclave de tenir le tout caché. Le mary s’ennuyant de la longue absence de sa femme, & qu’elle tardoit tant à venir, il se douta de quelque chose : car elle estoit assez belle & de bonne grace : il vint luy-mesme à la fontaine, où il trouva sur le bord d’icelle les vaisseaux de sa femme pleins d’eau, & tournant sa veuë deçà delà, comme font les hommes frappez d’une telle maladie, vit sa femme sortir du bois du costé de la fontaine, & l’esclave sortir par un autre costé : lors il l’alla saisir au colet, & et le donna en garde à ses amis, prit sa femme par la main & la conduit chez ses parens les enchargeant de la luy representer quand il la demanderoit. Le lendemain accompagné des siens, il m’amena cete Esclave en ma loge, m’exposant le fait comme il est cy dessus raconté, adjoutant que si ce n’eust esté le respect des commandemens qu’avoient faict les Peres & les François, il eust faict mourir cet esclave, pardonnant nonobstant à sa femme qui y avoit esté forcée, laquelle il avoit ja rendue à ses parens pour la laisser. Je le loüé fort de ceste sienne obeissance & respect ; & à la verité c’estoit un homme bien faict, beau de visage & de corps, il parloit bien & en bon termes, representant en son maintien, tant au visage qu’au corps, une generosité & noblesse de courage : je l’envoiay au Sieur de Pezieux Lieutenant pour sa Majesté, en l’abscense du Sieur de la Ravardiere, lequel ayant entendu tout le discours, fit mettre les fers aux pieds à l’esclave, & promit au Principal d’en faire telle justice qu’il voudroit ; le Principal luy repliqua, je veux qu’il meure selon la coustume : le Sieur de Pezieux respondit, que Dieu avoit commandé en sa Loy que l’homme & la femme adultere devoient mourir. Ouy mais dit le Principal : elle y a esté contrainte. Non, dit le Sieur, la femme ne peut estre contrainte par un homme seul, ou au moins elle devoit crier, & non pas prier le Sauvage de n’en dire mot, qui est un consentement tacite : il disoit tout cecy, specialement pour sauver l’esclave de la mort : car il sçavoit bien que le Principal ne permettroit jamais que sa femme fust mise à mort, à cause du grand parentage dont elle estoit. Ce qui arriva sur le champ : car il pria le Sieur de Pesieux de ne faire mourir l’esclave, ains seulement qu’il le mit au carcan, & qu’il luy fust permis de le fustiger à son plaisir ; ouy ce dit le Sieur, à la charge que tu donneras quatre coups de corde à ta femme, devant toutes les femmes qui sont icy au Fort, & ce au son de la trompette. Il s’y accorda, & le l’endemain, elle fut examinee & confrontee avec l’esclave, & le tout recogneu comme je l’ay raconté cy dessus : l’un & l’autre furent menez à la place publique du fort, où est plantee la potence & le carcan : là le mary faisant l’office de bourreau, prend trois ou quatre cordons de corde bien dure qu’il lie en son bras, & entortille en sa main droitte, desquels il sengla sa femme par quatre fois, y laissant les marques bien grosses & entieres, imprimees sur ses reins, son ventre & ses costez : mais non pas sans jetter force larmes, qui luy couloient des yeux le long de ses jouës, avec grands soupirs : sa femme gemissoit semblablement, les yeux vers la terre, de honte qu’elle avoit de voir toutes ces femmes autour d’elle, qui ne faisoient pas meilleure mine qu’elle, ains pleuroient toutes, tant de compassion que d’apprehension, qu’il ne leur en vint autant & d’avantage. Les hommes au contraire se resjouyssoient de voir une si bonne justice, & disoient en gaudissant à leurs femmes : que je t’y trouve. Toute ceste journee là, les femmes des Tabaiares firent une triste mine.

Ce bon mary apres avoir donné les quatres coups a sa femme, luy dit ; je n’avois point envie de te battre, & j’ay faict ce que j’ay peu envers le Grand des François, pour te sauver : mais va, essuye tes larmes & ne pleure plus, je te reprens pour femme, & te rameneray quand & moy, quand j’auray foüeté cet esclave. Dieu sçait si le regret qu’il avoit eu de fouëter sa femme, amenda le marché au pauvre esclave : car le mettant en place marchande, il fit une rouë tout autour de luy de l’estenduë de sa corde faisant retirer un chacun à l’escart. L’esclave avoit les fers aux pieds, debout & nud comme la main, qui supporta si constamment les coups, qu’il ne dit jamais une seule parole, & ne remua aucunement de sa place : encore que ce principal bandast de toutes ses forces les coups sur ce pauvre corps, & perdant l’haleine de force de toucher, se reposa par trois fois, puis recommençoit de tant mieux, tellement qu’il ne laissa partie sur son corps qui ne fust atteinte de ces cordages. Il commença par les pieds, puis sur les jambes, sur les cuisses, sur les parties naturelles, sur les reins, sur le ventre, sur les espaules, sur le col, sur la face & sur la teste. De ces coups l’esclave demeura long-temps malade, tousjours ayant les fers aux pieds, selon la demande qu’en avoit faict ce Principal, mais quelque temps apres il permit qu’il fut delivré, suivant la demande que luy en fit le Sieur de Pesieux, qui en tout vouloit satisfaire à ces Principaux, pour les obliger d’avantage à estre fidelles aux François. La feste ainsi passee il reprit sa femme qui ne pleuroit plus, mais commençoit à rire, ils s’en retournerent, comme si jamais rien ne fust arrivé.

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