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Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614

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Que le mesme ordre & respect se garde entre les filles & les femmes.

Chap. XXII.

Les traicts de la nature se trouvent entre ces Sauvages, tout ainsi que les pierres precieuses se rencontrent dans les flancs d’une montagne : car celuy qui estimeroit, que les diamans & autres joyaux fussent dans leur lict naturel aussi clairs & estincelans, comme ils se voient enchassez dans les bagues, seroit un fol : pour ce que ces riches pieces sont enveloppees dans le limon, sans paroistre beaucoup, tellement que plusieurs passent & repassent dessus, ignorans ce secret, sans les lever de terre.

La mesme chose se pratique en la conversation de ces pauvres Sauvages : combien y en a-il, qui ont ignoré, & ignorent ce que j’ay rapporté icy, & rapporteray, quoy qu’ils ayent longtemps conversé avec eux, faute d’avoir penetré & remarqué la belle conduitte de la nature en ces gens destituez de grace, ains ont passé par dessus ces pierres precieuses sans en faire leur profit, traversant le tout en gros.

Le mesme ordre des degrez d’aage, j’ay remarqué entre les filles & les femmes, comme il est entre les hommes, sçavoir, que le premier degré supposé commun aux masles & aux femelles sortans immediatement du ventre de leurs meres, appellé du mot, Peïtan, ainsi qu’avons dit suffisamment au chapitre precedent : le second degré suit, qui met distinction d’aage, de sexe & de devoir : d’aage de fille à fille, de sexe de fille à garçon & de devoir de la plus jeune à son aisnee. Ce degré enclost dedans soy les sept premieres annees, & la fillette de ce temps s’appelle Kougnantin-myri, c’est-à-dire la petite fillette. En tout cet aage, elle demeure fixement avec sa mere, succeant le laict de la mere plus d’un an davantage que les garçonnets, voire je diray bien ceste verité, d’en avoir veu aagees de plus de six ans, teter encore leurs meres, mangeant fort bien toute autre viande, parlant & courant comme les autres. Au lieu que les garçonnets de cet aage portent des arcs & fleches, ces fillettes s’amusent à contre-faire leurs meres en fillant comme elles peuvent du coton, & traceant une espece de petit lict, comme est la coustume des fillettes de cet aage à s’amuser à quelques frivoles & legeres ouvrages, pestrissent la terre, contrefaisant l’usage des plus experimentees à faire des vases & des escuelles de terre. Il y a bien à dire de l’amour que portent les peres & les meres à leurs petits enfans masles, ou fillettes ; pour ce que tant le pere que la mere batissent leur amour sur leur fils, & pour les filles, cela leur est par accident, & ne sont point esloignees en ceste suitte de nature, de nostre lumiere commune qui nous rend plus prisables les fils que les filles, & non sans raison : car l’un conserve la souche, & l’autre la met en pieces.

Le troisiesme degré va depuis sept jusqu’à quinze, & la fille de cet aage s’appelle Kougnantin, c’est à dire fille : c’est en cet aage qu’elles perdent ordinairement par leurs foles phantasies, ce que ce sexe a de plus cher, & sans quoy elles ne meritent d’estre estimees, ny devant Dieu, ny devant les hommes : qu’on me pardonne, si je dy un mot, que plusieurs de ce sexe en cet aage, ne sont pas plus sages par de çà, quoy que l’honneur & la loy de Dieu, les devroit convier à l’immortalité de la candeur, parce que ces pauvres jeunes filles barbares, ont un erreur connaturel procedé de l’auteur de tout mal, qu’elles ne doivent estre trouvees apres cet aage avec le signacle de leur pureté : Je n’en diray pas d’avantage, pour n’offencer le Lecteur : il me suffit d’ateindre & toucher le fil de mon discours. En ces annees elles apprennent tous le devoir d’une femme, soit pour filer les cotons, pour tistre les licts, pour travailler en estame, pour semer & planter les jardins, pour faire les farines, composer les vins, & apprester les viandes, gardent un grand silence, quand elles se trouvent en compagnie, où il y a des hommes, & generalement elles parlent peu de cet aage, si elles ne sont avec leurs semblables.

Le 4. degré est depuis 15. ans jusqu’à 25. ans ; lequel impose à la fille de cet âge le nom de Kougnanmoucou, c’est-à-dire, une fille, ou femme en sa grandeur & stature parfaicte, que nous disons en ces quartiers fille à marier. Nous passerons souz silence l’abus qui se commet en ces annees, par la tromperie que la coustume de leur Nation deceuë, leur a imprimé pour loy dans leur esprit. Ce sont elles qui font tout le mesnage de la maison, relevant de peine leurs meres, & ont la charge des choses necessaires pour le vivre de la famille. Elles ne sont pas longtemps sans estre demandees en mariage, si tant est que leurs parens ne les reservent pour quelque François, afin d’avoir abondance de marchandise, & en cas que cela ne soit, elles sont donnees en mariage, & alors elles portent le nom de Kougnanmoucou-poire[92], c’est-à-dire, femme mariee & en la force de son aage. Et dés ce temps elle suit son mary, portant sur sa teste, & sur son dos apres luy, tant les ustenciles necessaires, pour presenter à manger, que le mesme manger, & les vivres qui sont de besoin par les chemins : tout ainsi que les mulets de par deçà portent le bagage & les vivres des Seigneurs : Et en effect, puisque je suis sur ce point je diray ce mot, que comme les Seigneurs de l’Europe ambitieux de faire recognoistre à tout le monde leur grandeur, taschent d’avoir le plus grand nombre de mulets qu’ils peuvent : ainsi ces Sauvages sont extremement convoiteux d’avoir nombre de femmes pour marcher apres eux, portans leur bagage : d’autant qu’entr’eux, ils sont prisez & estimez selon le nombre des femmes qu’ils ont.

Ces jeunes femmes devenuës grosses du faict de leurs maris, sont appellees d’un mot particulier Pouroua-bore, c’est à dire, femme enceinte, & nonobstant ceste grossesse, elles ne laissent de travailler, jusqu’à l’heure de leur accouchement, comme si elles n’estoient point empeschees. Elles deviennent fort grosses, à cause qu’elles rendent leurs enfans assez grands & membrus. Plusieurs penseroient que ces femmes en cet estat, auroient plus de curiosité de se couvrir, mais c’est tout un avec les autres temps. Venuë qu’elle est au temps de ses couches, si couches se doivent apeller : car elle ne garde pour tout cela le lict, si elle n’est prevenuë de grandes douleurs, encore à lors demeure-elle assize, environnee de ses voisines, lesquelles elle a invitees, quelque peu auparavant, au sentiment & mouvement de son fruict, de l’assister par ces paroles, Chemen-boüirare-Kouritim, c’est-à-dire, je m’en vay incontinent accoucher, ou je suis preste à present d’accoucher, lors le bruit court par les loges, que telle ou telle s’en va accoucher, disans ces paroles avec le nom propre de la femme qu’elles y conjoignent Ymen-bouïrare, qui signifie, une telle est accouchee, ou s’en va accoucher. Le mary s’y trouve avec les voisins, & si tant est que sa femme ait difficulté d’enfanter, il luy presse le ventre, pour faire sortir l’enfant, sorty qu’il est, il se couche pour faire la gesine au lieu de sa femme[93], qui s’employe à son office coustumier, & lors toutes les femmes du village viennent le voir & visiter couché en ce sien lict, le consolant sur la peine & douleur qu’il a eu de faire cet enfant, & est traitté comme fort malade & bien lassé, sans sortir du lict, au lieu que par deça les femmes gardent le lict apres l’accouchement où elles sont visitees & traittees.

Le cinquiesme degré enferme dans ses limites les annees de vingt-cinq à quarante ans, auquel temps le femme reçoit toute sa force, ainsi que l’homme ; & partant est appellee du nom commun & general Kougnan, sans autre addition, ce que nous dirions en François, une maistresse femme, ou une femme en sa force. En ce terme les femmes Indiennes ont encore quelques traicts de la beauté de leur jeunesse, neantmoins elles s’en vont au declin le grand galot, & commencent à estre hideuses & sales, leurs mamelles pendantes le long de leurs flancs, comme vous voyez par deça aux levrettes & chiennes de chasse : ce qui apporte une horreur à la veuë : quand elles sont jeunes, elles sont tout au contraire, portans les mamelles fermes. Je ne veux m’amuser d’avantage à ceste matiere, apres que j’auray dit, que la recompence dés ce monde donnee à la pureté, est l’incorruption & integrité accompagnee de bonne odeur, fort bien representee dans les sainctes lettres par la fleur de Lys, pur, entier & odoriferant : Sicut lilium inter spinas, sic amica mea inter filias.

Le sixiesme & dernier degré prend depuis quarante ans, jusqu’au reste de la vie, & la femme de ce temps est nommee Ouainuy : dans ces annees, elles ne laissent d’estre fœcondes à produire des enfans : Elles usent du privilege de mere de famille : ce sont elles qui president à faire les Kaouins, & toutes leurs autres manieres de brasseries : sont les maistresses du Carbet, où se trouvent les femmes pour deviser : & quand le pouvoir de manger les esclaves estoit encore entier, c’estoit leur office de bien faire rostir le corps, recueuillir la gresse qui en degoutoit, afin d’en faire le Migan, c’est-à-dire le potage, de faire cuire les tripes & boyaux dans des grandes poëles de terre, y mesler la farine, & les chous de leurs pays, puis mesuroient la portion d’un chacun dans des escuelles de bois, qu’elles envoyoient à tous par les jeunes filles. Ce sont elles qui commencent les pleurs & gemissemens sur les deffuncts, & à la bien venuë de leurs amis. Elles enseignent aux jeunes ce qu’elles ont appris. Elles sont plus corrompuës en paroles, & plus effrontees que les filles & les jeunes femmes ; & n’oserois dire ce qui en est, & ce que j’en ay veu & recogneu. Bien vray est que j’en ay veu & cogneu de fort bonnes, honnestes & charitables.

Il y avoit au Fort S. Louïs deux bonnes vieilles femmes Tabaiares, qui ne manquoient jamais de m’apporter de leurs petites commoditez, & quand elles me les offroient, c’estoit en pleurant, & s’excusant de ne pouvoir faire mieux. Je n’ay pas pourtant grande esperance de ces vieilles : Il faut que le Païs s’en face quitte par la mort naturelle : quand elles meurent elles ne sont pas beaucoup pleurees ny regrettees, ainsi les Sauvages en sont bien aises pour en avoir de jeunes. Je me suis laissé dire que les Sauvages, par opinion supersticieuse tiennent, que les femmes ont bien de la peine, apres qu’elles sont mortes, de trouver le lieu, où dansent leurs grands Peres, par delà les montagnes, & qu’une bonne part demeure par les chemins si tant est que quelques unes s’y arrivent. Elles deviennent fort sales, quand elles atteignent l’aage decrepité, & y a ceste distinction entre les vieillards & les vieilles, que les vieillards sont venerables, & representent une façon en eux, de gravité & authorité ; à l’opposite les vieilles de ces Païs sont rechignees & ridees comme un parchemin mis au feu : nonobstant cela, elles sont fort respectees, tant de leurs maris, que de leurs enfans & specialement des filles & des jeunes femmes.

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