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Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614

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Des Grands fruicts que fit cet homme Chrestien en l’instruction & conversion de ses semblables.

Chap. IV.

Il n’y a rien plus fuyart & plus difficile à rendre domestique que la Panthere : c’est bien davantage, elle est de son naturel fort furieuse vers les animaux des forests qu’elle tranche & met en pieces à la premiere rencontre : toutesfois au renouveau, quand elle se sent emprainte & chargee de petits, elle se rend plus favorable, jettant des bonnes odeurs par les Pores de son corps, & muant sa voix de cruelle qu’elle estoit, en doux appels des autres animaux à suire son odeur & jouyr de sa societé : ce qu’ils font.

La Nation des Tapinambos estoit une vraye Panthere, cruelle sur tout autre Peuple, ainsi que leur coustume de faire le tesmoigne assez, mangeans leurs ennemis : mais aussitost que le renouveau de la grace a paru sur leur terre, ils ont changé leur cruauté en douceur, leurs discours damnables en discours salutaires, les puantes odeurs procedantes de leur Boucan, en bonnes odeurs, s’attirans les uns les autre à l’odeur de Jesus-Christ, rejallissante au dehors par les pores ouverts d’un amour vers le prochain, à luy vouloir le mesme bien qu’ils ont receu, à ce provoquez par la conception spirituelle faicte des graces de Dieu au fond de leur Ame, selon ce qu’il dit aux Cantiques. I. Oleum effusum nomen tuum, ideò adolescentulæ dilexerunt te nimis : Et peu apres, Trahe me post te, curremus in odorem unguentorum tuorum : Ton nom, ô Sauveur du Monde, & la cognoissance d’iceluy est un baume respandu, à la force & odeur duquel les jeunes Ames se sont esprises de ton amour, & tost se sont mises à la poursuite de son acquisition.

Martin François, entre les autres Sauvages, mit en pratique ceste doctrine : car il ne fut pas si tost arrivé dans son village, qu’il se mit à haranguer ses voisins, & de là donna dans les autres villages de la Province de Tapouïtapere, où il discouroit des grandeurs de Dieu, & des graces à luy faites. Il remettoit aussi devant les yeux des Sauvages ses compatriottes, le grand mal-heur de leurs Ancestres, qui estoient tous peris avec Giropary, & le bon-heur qui se presentoit à eux s’ils vouloient le recevoir, d’estre baptisez & faicts enfans de Dieu.

Ces harangues ne furent sans effect, ains plusieurs le venoient trouver pour boire à la fontaine de Salut, succer le laict de la poictrine de Jesus-Christ à son imitation & exemple, comme on raconte de la Licorne, laquelle cherchant les eaux elognees de venin, par hasard, est transpercee jusqu’au cœur de la suavité du chant d’une jeune Pacelle[151] couchee là aupres soubs les rameaux verdoyans des arbres de la forest, playe qui delivre cet animal de sa furie naturelle, & l’approche à la poictrine de celle qui l’a blessee : Licorne non ingratte ny avare du bien receu, ains transportee du desir d’en faire part à ses semblables, lesquelles elle va chercher dans le profond des bois, & les invite par toutes sortes de gestes à la suivre, & se rendre participantes du bon-heur qu’elle a receu. Personne ne doute que la jeune Pucelle nous represente l’Espouse de Jesus-Christ la saincte Eglise, son chant harmonieux la predication de l’Evangile, sa poictrine où les bestes mesmes sont bien receuës, la misericorde Divine mise en son pouvoir, les eaux sans venin les Saincts Sacrements, la Licorne farouche les infidelles : la premiere frappee suivie des autres, l’un d’iceux converty parfaictement, qui par ses discours & ses exemples attire apres soy les autres, & tel fut Martin François.

Il ne se passa pas six mois, qu’on ne vit de grands effects : car ayant converty & instruict plusieurs des habitans de Tapouïtapere de toute sorte d’aage, il nous envoya les plus hastez & les mieux instruicts au fort S. Louys pour estre baptisez, ausquels apres les avoir retenus quelque temps pour considerer leur ferveur, je ne peux refuser le baptesme : cependant le nombre des Catecumenes s’augmentoit de jour en jour en Tapouïtapere, si bien qu’il fallut que le R. P. Arsene y allast pour en baptiser un grand nombre que l’on ne pouvoit refuser, tant pour le desir qu’ils monstroient en avoir, que pour sçavoir parfaictement ce que doit sçavoir le Chrestien.

Martin avoit basty une chappelle & une loge tout aupres, au milieu de son village avec l’ayde des autres Chrestiens & des Sauvages de son village : Le Pere benit la Chappelle, & prit possession de la loge, où il estoit visité & nourry tant qu’il fut là, par les Chrestiens & Sauvages. Apres qu’il eut baptisé ceux qu’il trouva propres, il alla voir quelques villages de la Province, specialement leur souverain Principal, & fut le bien venu par tout, recognoissant en ces peuples un desir general d’estre Chrestiens, & d’avoir en tous leurs villages des Peres.

Le bon homme Martin François obtint un nom honorable qui luy fut imposé par les habitans de Tapouïtapere, à cause du labeur & de la peine qu’il luy voyoient prendre autour d’eux, pour les faire Chrestiens, & pour ce aussi qu’il estoit le premier Chrestien de leur terre, & sçavoient bien que nous l’aymions : Ce nom fut de Paï-miry, le petit Pere, ou le Vicaire des Peres. Et à la verité il meritoit bien ce nom : car depuis qu’il fut Chrestien, l’on n’a jamais remarqué en luy aucune trace de vieil homme, c’est à dire, des coustumes mauvaises que les Sauvages observent. Il estoit grave, modeste & peu parlant, & rarement pouvoit-il estre incité à rire : Il s’abstenoit de tout ce qui luy sembloit contrarier à la profession du Christianisme.

Tel estoit le Formulaire de vie qu’il gardoit & faisoit garder à tous les autres Chrestiens comme le plus ancien. I. Ils convenoient tous ensemble soir & matin, en la Chappelle : lors un d’entre eux, se levoit debout, les autres demeurans à genoux, puis hautement, il disoit en sa langue, Au nom du Pere, du Fils & du sainct Esprit, & se marquoit le front du signe de la Croix, les yeux, la bouche, & la poitrine, ce que faisoient pareillement tous les autres, puis joignant les mains, les yeux vers l’Autel, il recitoit posement & distinctement l’Oraison Dominicale, le Symbole des Apostres ; les Commandemens de Dieu, & ceux de l’Eglise. Cela finy, s’il y avoit quelque avertissement à donner on le disoit, puis chacun s’en alloit à sa besogne.

2. Ils vivoient en commun, lors qu’ils se trouvoient ensemble, apportans leurs pesches & chasses, pour estre également parties entr’eux, & auparavant que de manger le plus ancien d’entr’eux disoit en sa langue le Benedicite, faisant le signe de la Croix, sur soy & sur les viandes presentes, tous ostoient leur chappeau, & faisoient le signe de la Croix sur eux, lors que celuy qui benissoit la faisoit, & pas un ne touchoit aux viandes, qu’elles ne fussent benistes. En mangeant ils ne contoient chose de risee ou mauvaise comme ont coustume de faire les Tapinambos, mais le plus ancien recitoit quelque chose de Dieu, & de la Religion.

3. Ils n’alloient aucunement aux Caouïns & assemblees, selon la coustume des Tapinambos : c’estoit un des points principaux que Martin François gravoit dans le cœur de ceux qu’il convertissoit, a sçavoir, que les Caouïns estoient inventez par Giropary, pour semer discorde entre ces Barbares, & pour provoquer ceux qui s’y trouvoient à toute sorte de mal, qu’il estoit impossible que ceux qui aymoient les Caouïns aymassent Dieu, c’est pourquoy, disoit-il, quand je m’apperçoy que quelques-uns de mes semblables se retirent des Caouïnages, je prens augure qu’ils seront bien tost Chrestiens, & je les vay trouver : mais ceux que je voy aymer ce sabat, je n’ay courage de m’adresser à eux. Ce qu’il dit est veritable, car c’est un spectacle assez hideux de voir ces gens en telles assemblees, & semble plustost un sabat de Sorciers, qu’une assemblee d’hommes. Je m’y suis trouvé une seule fois seulement pour en sçavoir parler, & jamais depuis je n’y voulu retourner. Je voyois d’un costé les uns couchez dans leur lict, vomissans à grande force les autres faisans des demarches, ayant perdu le jugement à cause du vin, d’autres qui huoient, d’autres qui faisoient mille grimaces, d’autres qui dansoient au son du Maraca, d’autres qui chantoient avec confusion de voix & de ton, d’autres qui beuvoient de grand courage, & petunoient pour se rendre bien tost yvres, & le pis que je trouvois en cela, c’estoit que les filles & les femmes y estoient pesle-mesle, me persuadant qu’il est bien difficile que Bacchus soit sans Venus : Et à la mienne volonté que les François facent en ce point, ce que les Portugais ont faict, qu’ils deffendent aux Sauvages tous ces Caouïnages : les Portugais ont recogneu depuis le temps qu’ils sont habituez aux Indes, qu’un des plus grands empeschemens de venir au Christianisme, ce sont ces assemblees diaboliques, desquelles aussi procedent presque toutes les discordes & vilennies qui sont entre ces Sauvages.

4. Ces nouveaux Chrestiens vont vestus le mieux qu’ils peuvent, & marchent de compagnie ensemble, ne portans ny flesches, ny arcs, sinon lors qu’ils vont à la chasse, ou à la pesche, ains se contentent de porter un baston d’une sorte d’Ebene noire ou rouge, tellement qu’il est aisé de les distinguer d’avec les autres. Et quant ils vont par les villages de leur contree, s’il se trouve un Chrestien au village où ils abordent, ils se retirent chez luy, & se contentent de ce qu’il a faict provision, vivans sobrement, comme il est bien seant & convenable aux Chrestiens.

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