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Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614

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Qu’il est aisé de civiliser les Sauvages à la façon des François, & de leur apprendre les mestiers que nous avons en l’Europe.

Chap. XVIII.

Au Livre 2. des Machabees Chap. I. nous lisons que le feu sacré de l’Autel fut caché dans le puits de Nephtar le long de la captivité du peuple, & se changea en bourbe : le peuple retournant de captivité en liberté, les Prestres puiserent ce limon, qu’ils verserent sur le bois exposé en l’Autel, sous les Sacrifices : Aussi tost que le Soleil donna là dessus, ce limon retourna en feu, & devora les Holocaustes : Je desire me servir de ceste figure, pour expliquer ce que je veux dire, tant en ce Chapitre qu’és autres suyvans, sçavoir est : Que par ce feu nous devons entendre l’esprit humain, imitant la nature du feu en son activité, legereté, chaleur & clarté, lequel esprit devient bourbe & limon, caché dans un centre contraire au sien propre, & ce par la captivité de son ame en l’infidelité : Je veux dire que l’esprit de l’homme creé pour connoistre Dieu, & apprendre les arts & sciences, devint embourbé & obscurcy parmy les immondicitez, lors que son ame est detenuë en la cadene de l’infidelité, sous la tyrannie de Sathan : Mais aussi tost que ceste sienne ame sort de captivité, par l’instruction & conduicte des Prophetes de Dieu, cet esprit remonte de ce puits fangeux, & renforcé par la lumiere & cognoissance de Dieu, des arts & bonnes sciences, il se rend apte & prompt à executer ce qu’il entend & apprend : chose que je feray voir & toucher au doigt, par l’exemple de nos Sauvages : & ce principalement, d’autant que les plus ordinaires demandes qu’on nous faict des Sauvages, sont, s’il y a esperance que ces gens se puissent civiliser, rendre domestiques, s’assembler en une Cité, faire marchés, apprendre mestiers, estudier, escrire, & acquerir sciences.

Premierement je tiens qu’ils sont beaucoup plus aisez à civiliser, que le commun de nos Païsans de France, & la raison de cecy est, que la nouveauté a je ne sçay quelle puissance sur l’esprit, pour l’exciter à apprendre ce qu’il voit de nouveau, & luy est plaisant : Or est-il que nos Tapinambos n’ont eu jamais aucune cognoissance de civilité jusqu’à present, qui est cause qu’ils s’efforcent, par tous moyens de contre-faire nos François, comme je diray cy apres : Au contraire les Paysans de nostre France sont tellement confirmez en leur lourdise, que pour aucune conversation qu’ils puissent avoir, tant par les villes que parmy les honnestes gens, ils retiennent tousjours les démarches de villageois.

Les Tapinambos depuis deux ans en çà que les François leur apprennent à oster leurs chappeaux & salüer le monde, à baiser les mains, faire la reverence, donner le bon jour, dire Adieu, venir à l’Eglise, prendre de l’eau beniste, se mettre à genoux, joindre les mains, faire le signe de la Croix sur leur front & poitrine, frapper leur estomach devant Dieu, escouter la Messe, entendre le sermon, quoy qu’ils n’y conçoivent rien, porter des Agnus Dei, ayder au Prestre à dire la Messe, s’asseoir en table, mettre la serviette devant soy, laver leurs mains, prendre la viande avecques trois doigts, la coupper sur l’assiete, boire à la compagnie : bref faire toutes les autres honnestetez & civilitez qui sont entre nous, s’y sont si bien advancez, que vous diriez qu’ils ont esté nourris toute leur vie entre les François. Qui sera celuy donc qui me voudra nier que ces marques ne soient suffisantes, pour convaincre nos esprits à esperer & croire, qu’avec le temps ceste nation se rendra domestique, bien apprise & honneste.

On tient, & est vray, que les exemples confirment plus, que toute autre espece de raison, rapportee à la preuve d’une verité : C’est pourquoy je veux icy inserer l’exemple de quelques Sauvages nourris en la maison des Nobles. Il y a de present à Maragnan une femme Sauvage d’une des bonnes lignées de l’Isle, qui autrefois avoit esté prise petite fille par les Portuguais, & venduë pour Esclave à Dame Catherine Albuquerque, petite Niepce de ce grand Albuquerque, Vice-Roy des Indes Orientales, soubs le Roy de Portugal, laquelle se tient à Fernambourg & est marquise de Fernand de la Rongne, Isle tres-belles & plantureuse, comme la descrit le Reverend Pere Claude en son Histoire. Cette petite fille faite Chrestienne, apprist tellement la civilité, que si elle estoit accommodée maintenant à la Portuguaise, on ne pourroit pas la distinguer, si elle seroit de naissance Portuguaise ou Sauvage, portant devant ses yeux la honte & la pudeur, que doit avoir une femme, couvrant soigneusement l’imperfection de son sexe. J’en pourrois dire autant de beaucoup d’autres Sauvages, qui ont esté nourris parmy les Portuguais, & de ceux qui sont venus en France, lesquels ont retenu ce qu’ils ont apris, & le pratiquent quand ils sont entre les François.

C’est chose bien nouvelle entre eux que de porter les moustaches & la barbe, & nonobstant voyant que les François font estat de ces deux choses, plusieurs se laissent venir la barbe & nourissent leurs moustaches.

Quant aux arts & mestiers, ils y ont une aptitude nompareille. J’ay cogneu un Sauvage de Miary, surnommé le Mareschal, à cause du mestier qu’il exerçoit entr’eux, lequel ayant veu travailler autrefois un Mareschal François, sans que cet ouvrier prist la peine de luy rien monstrer, il sçavoit aussi bien la mesure à toucher son marteau avec les autres, sur une barre de fer chaud, comme s’il eust esté longtemps apprentif : & neantmoins c’est une chose que ceux du mestier sçavent, qu’il faut du temps pour apprendre la musique des marteaux, sur l’enclume du mareschal. Ce mesme Sauvage estant dans ces terres perduës de Miary avec ses semblables, sans enclume, marteau, limes, estau, travailloit neantmoins fort proprement à faire des fers à fleches, harpons & haims à prendre poissons : Il prenoit une grosse pierre dure au lieu d’enclume, & une autre mediocre pour luy servir de marteau, puis faisant chaufer son fer dans le feu, il luy donnoit telle forme qu’il luy plaisoit.

Les mestiers plus necessaires d’estre exercez en ces Païs là sont ceux-cy : Taillandier, Futenier, Charpentier, Menuisier, Cordier, Cousturier, Cordonnier, Masson, Potier, Briquetier & Laboureur. A tous ces mestiers ils sont fort aptes & aidez de la nature.

Pour le Taillandier nous l’avons monstré par l’exemple susdit. Quant au mestier de Futenier, ou faiseur de futene, c’est leur propre mestier, s’il estoit corrigé : car ils tissent leurs lits extremement bien, travaillent à l’estame aussi joliment que les François. Et si ils ne se servent ny de navete, ny d’eguille de fer ains de petits bastons.

Je raconteray icy une jolie histoire ; Un jour je m’en allois visiter le Grand Thion Principal des Pierres vertes Tabaiares : comme je fus en sa loge, & que je l’eus demandé, une de ses femmes me conduit soubs un bel arbre qui estoit au bout de sa loge qui le couvroit de l’ardeur du soleil : là dessouz il avoit dressé son mestier pour tistre des licts de coton, & travailloit apres fort soigneusement : je m’estonnay beaucoup de voir ce Grand Capitaine vieil Colonel de sa nation, ennobly de plusieurs coups de mousquets, s’amuser à faire ce mestier, & je ne peus me taire que je n’en sceusse la raison, esperant apprendre quelque chose de nouveau en ce spectacle si particulier. Je luy fist demander par le Truchement qui estoit avec moy, à quelle fin il s’amusoit à cela ? il me fit responce : les jeunes gens considerent mes actions, & selon que je fais ils font : si je demeurois sur mon lict à me branler & humer le petun, ils ne voudroient faire autre chose : mais quand il me voient aller au bois, la hache sur l’espaule & la serpe en main, ou qu’ils me voient travailler à faire des licts, ils sont honteux de ne rien faire : jamais je ne fus plus satisfaict, & ceux qui estoient avec moy que par ces paroles, lesquelles à la mienne volonté fussent pratiquées des Chrestiens : l’on ne verroit l’oisiveté mere de tous vices si avant en France comme elle est.

La charpenterie ne leur peut estre difficile : car dés leur jeunesse ils manient les haches ; & je les ay veu par experience en faisans leur loges, ou celles des François, asseoir leurs haches aussi asseurement, & redonner quatre ou cinq fois au mesme endroit, que pourroit faire un charpentier bien appris.

La menuiserie leur est bien aisee à apprendre : ils dolent avec leurs serpes un bois aussi usny & esgal, que si le rabot y avoit passé. Ils font des marmots de bois & d’autres figures avec leur seuls couteaux. Il ne leur faut ne scie, ny autre outil à faire leurs arcs & avirons, & leurs espees de guerre, avec une simple tille : ils creusent & accommodent leurs canots, leur donnent telle forme qu’il leur plaist. Bref de tous les autres metiers mentionnez cy-dessus : Je les ay veu fort industrieusement travailler, tellement qu’avec peu d’enseignement, ils viendroient à la perfection d’iceux : par dessus tout cela, ils s’entendent infiniment bien à faire des robes, couvertures de lict, ciel, pentes & rideaux de lict, de plumes de diverses couleurs, qu’à peine jugeriez vous de loin, que ce peut estre. Je ne veux parler de l’aptitude qu’ils ont connaturelle à peindre, & faire divers fueillages & figures, se servans seulement d’un petit copeau, au lieu qu’il faut tant de pinceaux à nos peintres, compas, regles, & crayons.

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