Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614
AU ROY.
SIRE,
Voicy ce que j’ay peu par subtils moyens recouvrir du livre du R. P. Yves d’Evreux supprimé par fraude et impieté, moyennant certaine somme de deniers, entre les mains de François Huby, Imprimeur[54], Que j’offre maintenant à V. M. deux ans & demy apres sa premiere naissance aussi tost estouffee qu’elle avoit veu le jour. Afin que V. M. & la Royne sa Mere pour lors Regente, ne voyant point une verité si claire que celle-cy, fust plus aisement persuadee, par faux rapports, à laisser perir contre leurs sainctes, et bonnes intentions, la plus pieuse & honorable entreprise qui se pouvoit faire dans le nouveau monde. Comme il se verra tant par l’Histoire du R. P. Claude Dableville, que ceste presente à laquelle il ne manque que la plus grand part de la Preface, & quelques Chapitres sur la fin que je n’ay peu recouvrir. Cela s’est faict encor’ à dessein pour faire perdre insensiblement à V. M. le tiltre de Roy Tres-Chrestien. Luy faisant abandonner les sacrifices et sacrements exercez sur les nouveaux Chrestiens, la reputation de ses armes, & bandieres, l’utilité qui pouvoit luy arriver, & à ses subjects, d’un si riche & fertile pays, et la retraicte du tout importante, d’un port favorable pour la navigation de long cours, aujourd’huy ruinee faute d’avoir conservé ce que j’avois avec tant de soins, & de despenses acquis. Pour à quoy parvenir, l’on s’est servy de deux impostures trop recogneuës de personnes qui ont bon jugement, L’une, que le pays estoit infertile, & ne produisoit aucune richesse, contre la verité, que j’ay tousjours constamment maintenuë, et qui ne paroist aujourd’huy que trop veritable, L’autre, que les Indiens estoient incapables du Christianisme contre la parole de Dieu, & la doctrine universelle de l’Eglise. Voilà comment, SIRE, ceste belle action si bien commencee s’est esvanoüye, tant par la fraude & malice de ceux qui pour couvrir leurs fautes & manquement les ont rejettez sur ceux du pays, Qui par la negligence des mauvais François, qui n’ayant autre but que leur profit & interest particulier, se sont peu souciez, de celuy de V. M. & empescher une si signalee perte, qui sert aujourd’huy de fables à toutes les nations estrangeres, de mespris de vostre authorité Royale à toute l’Europe, & de douleur à tous vos bons subjects. Desquelles illusions, quand il plaira à V. M. s’en relever par les salutaires advis de personnages d’honneur, recogneuë pour estre zelez à l’accroissement de la gloire de Dieu, & celuy de vostre Royaume, je luy offre encor’ ma vie, celle de mes freres. Et ce peu de pratique & experience qui est en nous pour faire recognoistre par tous les coins de ce nouveau monde, qu’il n’y a point en la Chrestienté un si grand et puissant monarque qu’un Roy de France. Quand il veut employer, je ne diray pas sa puissance, mais seulement son authorité. C’est, SIRE, Tout ce que peut un de vos plus humbles subjects, auquel tous les mauvais traitemens, pertes de biens & de fortune, que contre la foy publique que j’ay soufferts durant la minorité de V. M. n’ont point faict encor’ perdre le courage de la servir glorieusement. M’assurant qu’elle aura mes services pour agreables, & le vœu solemnel que je fais d’estre le reste de ma vie,
son tres-humble et tres-obeissant serviteur et subject,
FRANÇOIS DE RASILLY.