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Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614

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De quelques maladies particulieres à ces Païs des Indes, & de leurs remedes.

Chap. XXX.

La Genese nous apprend, suivant l’explication des Docteurs, que Dieu avoit donné à l’homme une espece d’arbre, pour se servir de son fruict, en guise de Theriaque à tous maux. Ce mesme Dieu tousjours bon, qui ayme ses Creatures, tant soient-elles chetives & esloignees de luy, prevoioit que ceste infortunee generation des Sauvages seroit par une longue suitte d’annees vagabonde & nuë parmy ces forests spatieuses du Bresil : & pourtant il leur a voulu donner en general plusieurs sortes d’arbres & d’herbes, dont ils se servent en leurs blessures & maladies.

Car il faut que vous croyez que ces Pays sont autant fournis d’arbres medicinaux, de gommes salutaires, & d’herbes souveraines, qu’aucun qui soit soubs la voute des Cieux, le temps le fera cognoistre[99], & l’industrie de ceux qui s’appliqueront à en faire la recherche.

J’ay veu de l’escorce d’un certain arbre, laquelle sentoit tout ainsi que le Mastic, qui croist aux Jardins de l’Europe, & les Sauvages disent que ceste escorce sert à toute maladie, & en usent : Davantage ils tiennent que toutes les bestes des forests, se sentans ou frappees ou malades, courent à cet arbre pour avoir guerison : & pour cette cause rarement peut on trouver un de ces Arbres qui aye l’escorce entiere, parce que les bestes & animaux du pays la viennent ronger.

Il y a une espece de gomme blanche, qui croist dans les fueilles des Arbres, en sorte que vous diriez à les voir, qu’elles soient émaillees d’argent, & ceste gomme est infiniment bonne pour toutes sortes de playes. Il y a une autre espece de gomme blanche, si souveraine à nettoyer les playes, ou à attirer à soy l’apostume & l’ordure enclose dans la chair, qu’en vingt quatre heures elle faict son effect, nettoyant entierement la playe. Je l’ay veu experimenter sur un garçon François que j’avois avecques moy, lequel avoit les pieds & les jambes tellement gastees & apostumees par les vers de ce pays là, que nous estions en crainte qu’il perdist totalement les jambes : chose si horrible à voir, que je ne puis l’exprimer par paroles, & neantmoins luy ayant faict appliquer sur les pieds & sur les jambes des emplastres de cette gomme, le lendemain il estoit aussi sain, que s’il n’eust eu rien auparavant, la gomme de ces emplastres ayant premierement tué tous les vers qui estoient en nombre infiny : Secondement, elle les avoit tirez par force de dedans la chair bien avant, où ils estoient attachez, & se les estoit colez, tellement que vous voyez sur l’emplastre tous ces vers attachez par la teste. Tiercement, elle avoit nettoyé les playes si bien qu’il n’y restoit aucune sanie, ains vous voyez la chair toute vive & vermeille. Je laisse à part tout le reste tant des gommes que des baumes, que d’un million d’herbes que l’on peut tirer par l’alembic, pour en avoir l’esprit & l’essence, afin que j’entre en mon subject, qui est de parler de certaines maladies qui regnent en ces pays là, & du remede d’icelles : non pas que le pays de soy soit maladif & fascheux, ains au contraire, c’est un air fort bon & sain, specialement depuis le moys de Juin, jusques au moys de Janvier : durant ce temps les Brises, c’est à dire, les vents de l’Est, ou de l’Orient souflent incessamment, purgeant le pays de ses grosses vapeurs, & par ainsi les Sauvages sont rarement malades : Et à vray dire, pour l’ordinaire ils n’ont qu’une maladie de laquelle ils meurent. Les François sont plus subjects à estre malades, ainsi que l’experience me l’a faict cognoistre & à plusieurs autres : mais en verité je croy que cela nous est plus arrivé de disette & misere qu’il nous a falu endurer en ces commencemens que d’autre cause ; & par ainsi que les François estant un peu accommodez, comme ils commençoient de l’estre quand je partis de l’Isle ; je n’estime pas qu’ils tombent en ces inconveniens & infirmitez, & par consequent personne ne se doit faire peur à soy-mesme, tenant pour ferme & asseuré qu’il ne souffrira jamais la centiesme partie du mal que nous avons enduré.

La premiere de leurs maladies, s’appelle en leur langue Pian, qui vient du mot de , c’est-à-dire, chemin, ou si vous voulez, du mot du pied : pour ce que ceste maladie accidentellement se prend du crachat, ou de la sanie espanchee sur la terre, sur laquelle on marche, & commence tousjours soubs les orteils du pied, de la grandeur d’un liard, de couleur noirastre ; & ceste tache est appellee par les Indiens Aïpïan, c’est à dire, la Mere Pian[100] : parce que d’elle procedent toutes les autres playes & apostumes, que ceste mal-heureuse maladie faict universellement sur le corps, à la façon d’une herbe ou arbrisseau, qui sortant de cette Mere Pian, comme de sa racine, va tousjours croissant, & s’elevant en haut, jette çà & là par le corps, ses branches, fueilles & bourgeons, qui remplit interieurement & couvre exterieurement ce corps miserable de plusieurs douleurs extremes & de putrefaction nompareille, de laquelle plusieurs meurent : Elle dure deux ans ou environ. Si c’est un François qui a ceste maladie, il faut de necessité qu’il soit guery parfaictement devant qu’il retourne en France ; autrement il sera contraint de retourner au Bresil pour se faire guerir : car tous les remedes du monde appliquez à ceste maladie, hors du Bresil, n’y peuvent rien, sinon la Rheubarbe commune, qui guerit tous nos maux, sçavoir la mort. J’ay dit comme ceste maladie arrive accidentellement : disons à present son origine & la source ordinaire & naturelle, afin que les François qui iront en ces quartiers là prennent garde à eux.

Ceste maladie donc vient aux François, comme le mal de Naples, par l’excez & hantise des filles Indiennes, tellement que ceux qui s’en veulent garantir, il faut, ou qu’ils vivent chastement, ou qu’ils menent leurs femmes, ou qu’ils espousent les Indiennes Chrestiennes : car le mariage est un seur contre-poison pour ce venin, voire mesme le mariage naturel entre les Indiens, lesquels ne l’ont point, quant au gros, s’il ne l’ont gagné par excez autre part, quand au petit, chacun l’a une fois en sa vie ; ainsi qu’en l’Europe, la grosse & petite verole. Or ceste grosse Pian excede & en douleur & en saleté, sans aucune comparaison, le mal de Naples ; & à bon droict : Car le peché que commettent les François en ces pays là avec les Indiennes, merite dés ceste vie punition, en tant qu’ils nous ravissent ces pauvres ames Indiennes d’entre les mains, lesquelles viendroient à la fontaine de salut : si ces fournaises de lubricité ne les en destournoient par leurs mauvais exemples. Que ceux qui sont coupables de ce peché, pensent quel conte ils doivent rendre à Dieu, pour avoir esté cause de la perte & damnation de ces pauvres ames Indiennes. Que si la vie eternelle est promise à ceux qui seront cause du salut d’autruy quel loyer esperent ceux, qui pour satisfaire à leur brutalité, sont occasion de faire mespriser à ces pauvres innocentes, & leur salut & la predication de l’Evangile ?

Le remede principal pour ceste maladie, est la patience & le temps : les sueurs y servent beaucoup, & l’alegent fort & accourcissent le temps, comme font aussi les dietes & le regime de vivre. L’experience a faict recognoistre que la viande plus propre à ces malades, est la chair du poisson nommé Rechien (duquel les hommes sains ne mangent jamais, s’ils ne vouloient vomir jusqu’au sang, & tomber en de grandes maladies) boüillie avec des herbes fortes & ameres, qui se trouvent en ces pays-là : Par ainsi ils payent bien le moment d’un plaisir par un million de douleurs, & ce qui seroit poison aux sains, leur est une viande salubre, mais de mauvais goust. C’est l’ordinaire de ce rusé Apoticaire Sathan, de froter le bord de la coupe avec la douceur du sucre ou du miel, pour faire avaller tout d’une volte le poison, qui par apres déchire les entrailles de rage & de douleur : Je veux dire qu’il presente au pecheur le plaisir, mais non la peine du plaisir, & bientost le pauvre mal-heureux experimente que le plaisir passe vistement, mais la douleur dure éternellement.

Nous avons experimenté une autre maladie en ces pays là, tant le Sieur de la Ravardiere qu’autres François, mais moy sur tous, qui provient de grosses fievres quartes, tierces & erratiques, lesquelles apres avoir bien miné le corps, se resolvent en de grands maux de reins & coliques insupportables, accompagnez de vomissemens continuels, & tousjours atenuans le corps, refroidisent & resserrent l’estomach, par une continuelle fluxion du Cerveau, laquelle s’espand par les bras, cuisses & jambes, & les rend perclus : si bien que vous demeurez comme une statuë ou pierre immobile. Il me semble que c’est la maladie, de laquelle plus souvent les Sauvages meurent venant etiques & perclus de leurs membres.

Les remedes à ceste maladie sont, de boire le moins d’eau que l’on peut, parce que la saveur des eaux de ce pays là, avec l’alteration causee de sa chaleur, faict que l’on en boit excessivement, & ainsi l’estomach perd sa chaleur, & acquiert une grande crudité & foiblesse, d’où il se reserre & remplit de pituité & autres humeurs corrompuës : à present qu’il y a de la biere, j’espere que ces maladies ne seront pas frequentes, & n’arriveront à l’excez où je les ay veuës, & en porte les marques. Le vin & l’eau de vie sont fort necessaires pour rechauffer ces estomachs : Par ainsi je conseille ceux qui iront en ces pays là, de garder soigneusement pour leur necessité leur vin & leur eau de vie, & non pas les prodiguer en bonne santé dans une desbauche, puisque la biere de ce pays là faicte de bon mil, est plus savoureuse & salubre à cause de la chaleur continuelle, que n’est pas le vin ou l’eau de vie.

Les bons potages sont l’unique remede, & nourriture de ces malades, lesquels on faict de volaille & d’œufs, qui sont en grande abondance en ces quartiers là.

Les autres maladies sont, catarres & mal de dents fort violents, à cause de l’humidité nocturne de ceste Zone Torride : Ainsi qu’a tres-bien remarqué Acosta Jesuite, en son Histoire des Indes, où le Lecteur aura recours : parce que je ne veux rien dire de ce qu’un autre a dit ou escrit, au moins que je sache. Ceste humidité de la nuict est si forte, qu’elle cause la roüille sur les espees, mousquets, couteaux, serpes & haches, qu’elle les mange & devore, si l’on n’est bien soigneux de les conserver : Et les fluxions du cerveau sont si froides, que descendant à la racine des dents, elles les pourrissent & font tomber.

Les remedes singuliers à ces inconveniens sont l’aplication des cauteres, sur le col & les bras, & se bien couvrir la teste quand la nuict est venuë.

Tous les ans il court une maladie des yeux, de laquelle peu sont exempts specialement les François, elle n’est pas de duree, c’est seulement pour huict jours ou environ : mais le mal est si vehement que c’est plustost rage que mal : & si on n’y met remede, on est en danger de ne voir que la moitié du mauvais temps. Le remede en est facile : c’est que l’on prend un peu de vitriol qu’on faict fondre dans une phiole de verre pleine d’eau claire, laquelle on coule sur les yeux entierement & fixement ouverts, & se faut garder de toucher à ses yeux, ains il les faut tenir couverts, & n’aller au vent ny au Soleil, autrement le mal se redouble, parce que ceste maladie estant causee d’une fluxion chaude & accrimoneuse, si vous frotez vos yeux, ou allez au vent ou au Soleil, vous irritez vostre mal.

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