← Retour

Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614

16px
100%

Des humeurs incompatibles avec les Sauvages.

Chap. XXV.

Socrate avoit coustume de dire, que tout ainsi que le vin aspre, & rude est de mauvaise digestion, difficile, & mal plaisant à boire, ainsi les humeurs rudes, aspres & facheuses, sont mal propres pour converser avec les hommes. Et Plutarque escrit que, comme le son aigre des chauderons & pots cassez, mettent les Tygres en colere, de telle façon qu’ils se jettent à corps perdu, sur ceux qui viennent leur chanter aux oreilles ces motets si importuns & desagreables, aussi sont les mauvaises complexions & humeurs, parmy les societez des hommes. Nous avons recogneu la pratique de cecy estre fondee en la nature, considerant combien ces Sauvages fuyent les humeurs agrestes & complexions austeres.

Ils hayssent sur toutes choses, quand ils voyent un des leurs agacer son voisin, ce qu’ils appellent en leur langue, Moïaron, ou bien quand ils voyent qu’ils debattent par ensemble de paroles, ce qu’ils nomment Oroacap : quand ils trouvent de semblables humeurs, ils les fuyent, & ce gardent le plus qu’ils peuvent, de tomber en debat avec iceux : voire ils font bien d’avantage, car ils advertissent les François, leurs Comperes, de n’aller rien demander chez ces personnes là. Si d’aventure ils ont des femmes qui soient de telle complexion, ils en sont fort empeschez, & ne se font pas beaucoup tirer l’oreille, pour s’en défaire, ou leur permettre qu’elles aillent là, où elles voudront se pourvoir. Il y a à Iuniparan dans l’Isle, un Hermaphrodite, qui en l’exterieur paroist plus femme qu’homme : car il porte le visage & la voix de femme, les cheveux non rudes, ains flexibles & longs, comme ceux des femmes, nonobstant il est marié, & a des enfans, mais il est d’un naturel si facheux qu’il est contraint de demeurer seul, pour ce que les autres Sauvages du village, ont crainte de debattre de paroles avec luy. J’ay veu toute une famille changer de village, seulement pour eviter le voisinage d’un Sauvage, subject à ces mauvaises humeurs.

Ils se mocquent, & méprisent l’homme qui s’amuse aux agacemens, & paroles de sa femme, quand elle est de mauvaise complexion. Il arriva, pendant que j’estois en ces cartiers, qu’un Sauvage s’ennuya de supporter les facheuses humeurs de sa femme, tellement que prenant un baston de sa main droicte, & de sa gauche les cheveux de sa femme, il voulut experimenter, si cette huyle & baume n’adouciroit point l’aigreur de son mal : mais il fut bien estonné, que le feu se mist en la playe, tellement que le mal en devint plus grand : Car à la veuë des voisins cette femme sceut bien s’échapper de ses mains, & prenant semblablement un baston, elle voulut faire le mesme service à son mary, & apres s’estre gressez l’un l’autre avec la risee des regardans, ils demeurerent aussi grand maistre l’un que l’autre, sinon que le mary fut depuis la fable, & le discours universel, tant des grands, que des petits. Et les anciens disoient en leurs Carbets : qu’avoit-il affaire de s’arrester à sa femme, puis qu’il la cognoissoit telle.

Je les ay vu quitter & abandonner leur marchandise à celuy à qui ils l’avoient venduë, & ce pour eviter la dispute de paroles qu’il leur faisoit : Pourtant vous remarquerez, qu’ils n’ont que, Oüi, & Non, quand ils traictent par ensemble, ou avec les François, sans jamais barguigner. Plusieurs autres exemples pourroient estre apportez icy touchant cette matiere, mais ceux-ci suffisent.

Ils apprehendent merveilleusement les gens coleres qu’ils nomment Poromotare-vim, & s’entr’advertissent quand ils sont en colere, disans, Chèporomotare-vim, je suis en colere, & lors personne ne dit mot, ains on l’addoucit tant que l’on peut : ce qu’ils appellent Mogerecoap, c’est à dire, adoucir un autre. Aïmogerecoap, j’adoucis celuy qui est en colere.

J’ay pris garde par plusieurs fois, que quand ils voyoient un François en colere, ils estoient comme hors d’eux-mesmes, changeans de couleur en face, & se retiroient arriere de sa voye, disans l’un à l’autre, Ymari touroussou. Il est grandement en colere, il est grandement fasché : Ché-assequeié-seta, il me fait grand peur.

Il arriva que deux ou trois de nostre equipage se laissoient emporter à la colere assez souvent, dans les villages, où ils estoient : Les principaux du lieu sceurent fort bien se venir plaindre au Fort Sainct Loüis, & prier qu’on leur ostast ces François d’avec eux & qu’ils vinssent demeurer au Fort, par ce, disoient-ils, que cela nous faict peur & specialement à nos enfans : ce que l’on fist.

Si le debat des paroles, & la colere leur est facheuse, beaucoup plus le sont les debats en effect, quand quelques uns d’entr’eux tombent en querelle, ce qui est fort rare, & viennent à s’entre-battre, qu’ils appellent Ionoupan, entre-battre, & encore davantage quand ils s’entre-blessent, ce qu’ils nomment Ioüapichap, entre-blesser, & le pis est, quand apres s’estre bien entre-battus, ils viennent en despit l’un de l’autre, à brusler leurs loges : ce qu’ils signifient par ce mot Iouapic, entre-brusler : car alors chacun s’en sent, & pas un n’oseroit se mettre en devoir de les empescher : car voicy comment ils font ; Ils se retirent chacun à leur costé, et prenant une poignee de branches de palme seiche, l’allument, la portent à la couverture de leur mesme costé, disant à un chacun, sauve qui pourra son costé, pour moy j’ay mis le feu au mien, personne ne m’en pouvoit empescher, & ainsi en peu d’heure, tout le village est bruslé, & si personne ne luy en dict rien : Plusieurs fois cela fust arrivé en l’Isle, n’eust esté la crainte, qu’ils avoient des François.

Ils haissent semblablement d’estre injuriez, soit homme, soit femme, mesme celles qui font profession de servir au public ne veulent qu’on les appelle Pataqueres, putains : & me souvient qu’une Indienne Esclave, ayant eu un enfant d’un François, quelques autres luy reprocherent qu’elle estoit putain, elle se fascha fort, & dist, que si desormais on l’appelloit plus Pataquere, qu’elle tueroit cet enfant, ou l’enterreroit tout vif : ils appellent l’injure, Courap.

Il ne se faut pas estonner, si ces Sauvages fuyent de telle façon la colere & ses effects, puisque cette passion repugne immediatement au naturel de l’homme, & le faict devenir totalement brute, ainsi que dict Sainct Basile le Grand, en l’Homelie 10. qu’il a faict de l’ire : Hominem penitus in feram converti, que la colere change l’homme totalement en une furieuse beste : & Sainct Gregoire de Nysse, en l’Oraison 2. de la beatitude, compare la colere à ces vieilles sorcieres du Paganisme ancien, qui par enchantemens transmuoient & changeoient en la forme de diverses bestes furieuses, maintenant en Sanglier, une autrefois en Panthere : La colere faict chose pareille : Et Sainct Gregoire le Grand, au livre cinquiesme de ses Morales, chap. trentiesme dict, que le cerveau du colere, est le trou où s’engendrent les Viperes : Cogitationes iracundi vipereæ sunt generationis. Platon n’enseignoit autre remede à ses escoliers contre cette passion, sinon qu’ils contemplassent vivement les gestes & les paroles d’un homme colere, ou bien quand eux-mesmes seroient tombez en colere, qu’ils allassent vistement se considerer dans un miroir. Ce n’est donc point chose tant nouvelle, ny si hors de propos si ces Sauvages craignent, se tirent à part quand ils voyent un homme en colere specialement un François : Car comme dict le Proverbe Chap. vingt sept. Impetum concitati spiritus ferre quis poterit ? Moins aussi est-ce chose difficile à croire, qu’en dépit l’un de l’autre, si daventure ils sont tombez en debat, ils bruslent leurs loges, puis qu’aux Proverbes 26. il est dict, sicut carbones ad prunas, & ligna ad ignem, que les charbons sur le brasier, & le bois sur le feu, ainsi le debat de paroles à l’homme naturellement colere, sic homo iracundus suscitat rixas, & en l’Ecclesiastique 28. secundum ligna sylvæ, sic ignis exardescit : Telle qu’est la quantité du bois, telle est la force du feu, parlant de la colere.

Chargement de la publicité...