Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614
De la consanguinité, qui est parmy ces Sauvages.
Chap. XXIII.
La consanguinité entre ces barbares, a autant d’eschelons & rameaux comme la nostre, & se conserve de famille en famille, avec autant de curiosité comme nous pourrions faire, excepté le poinct de Castimonie, qui a de la peine parmy eux, sinon au premier eschelon, c’est-à-dire de Pere à fille. Pour les sœurs, & les freres, ils ne se marient pas ensemble, mais du reste de leurs affaires j’en doute, & non sans raison, cela ne merite pas d’estre escrit.
Le premier rameau sort du tronc de leurs Ayeuls ou grands Peres, qu’ils appellent Tamoin[94], & soubs ce mot ils comprennent tous leurs devanciers, voire depuis Noé, jusqu’au dernier de leurs Ayeuls ; & c’est chose estrange, comment ils se souviennent & racontent d’Ayeul en Ayeul, leurs devanciers, veu que nous sommes bien en peine en l’Europe de monter jusqu’au Tris-ayeul, que les familles ne se perdent deçà delà.
Le second rameau pousse & sort du premier, & s’appelle Touue, c’est-à-dire, Pere, & est celuy qui les engendre en vray & legitime mariage, tel qu’il est pratiqué par delà : Car la Loy des bastards, est autre que celle des legitimes, ainsi que nous dirons en son lieu. Ce rameau paternel en produit un autre qui se nomme Taïre, c’est-à-dire, fils, lequel rameau vient à se coupper, & fourcher en diverses branches, ausquelles ils imposent ces noms Chéircure, c’est-à-dire, mon grand frere, ou mon frere aisné, qui doit tenir la tige de la maison & de la famille, & Chèuboüire, qui signifie mon petit frere, ou mon cadet, auquel n’appartient de tenir la maison, sinon par la mort de son grand frere. Arrivant qu’un de ces deux freres aye enfant ; cet enfant, masle ou femelle, doit appeller le frere de son Pere Chétouteure, c’est-à-dire, mon oncle, & sa femme Chèachè, ma tante. Semblablement si son Pere a des sœurs, il les appelle Chèachè, ma Tante, comme aussi les marys de ses sœurs Chètouteure, mon Oncle. Les Oncles & les Tantes appellent les enfans masles de leurs freres, ou sœurs Chèyeure, c’est-à-dire, mon Nepveu, & les filles Reindeure, ou Chereindeure, ma niepce. Les enfans descendus de deux freres, ou de frere, & de sœur, ou bien de deux sœurs s’appellent ainsi. Les masles Rieure, ou Cherieure mon cousin, les femelles Yetipere, ou Cheitipere, ma cousine. Quant à la descente du costé des femmes, la grand-mere fait le 1. Eschelon, soit du costé Paternel ou du costé Maternel, c’est à dire la Mere du propre Pere, duquel on est descendu, ou la Mere de sa propre Mere qui l’a engendré, & est appellee Ariy, ou Cheariy ma grand’mere. La propre mere faict le 2. Eschelon, nommee Aï, Mere, ou Cheaï, ma Mere. La fille faict le 3. Eschelon, dite Tagyre, fille, ou Chéagyre ma fille. Le 4. Eschelon est de la sœur, appellee Teindure, sœur, ou Chéreindure, ma sœur. La Tante faict le 5. Eschelon, nommé Yaché, Tante, ou Chèaché, ma Tante. Le 6. Eschelon est en la Niepce, appellee Reindure, ou Chereindure, ma Niepce, ou ma petite sœur, qui est une forme de parler entr’elles. Le 7. Eschelon est de la Cousine, nommee Yetipere, Cousine, ou Cheytipere, ma Cousine ; Somme voicy les rameaux de la consanguinité d’entre eux.
Pour les masles.
- Grand Pere.
- Pere.
- Fils.
- Frere.
- Oncle.
- Neveu.
- Cousin.
Qu’ils appellent en leur langue
- Chéramoin, ou Tamoin.
- Touue, ou Chérou.
- Tayre, ou Chéayre.
- Chéircure, ou Chéubouïre.
- Touteure, on Chétouteure.
- Yeure, ou Chéyeure.
- Rieure, ou Chérieure.
Pour les femelles.
- Grand mere.
- Mere.
- Fille.
- Sœur.
- Tante.
- Niepce.
- Cousine.
Qu’il appellent en leur langue
- Ariy, ou Ché-Ariy.
- Aï, ou Chéaï.
- Tagyre, ou Chéagyre.
- Theindeure, ou Chéreindeure.
- Yaché, ou Chèaché.
- Reindeure, ou Chéreindeure.
- Yetipere, ou Ché-yetipere.
Outre ceste consanguinité, il s’en trouve deux autres contractees par alliance, sçavoir, ou en donnant leur fille à quelqu’un, ou recevant une fille pour femme de leur fils, ou bien secondement, en contractant l’alliance d’hospitalité avec les François, quand specialement ils leur donnent leur filles pour concubines. Ils appellent ceux à qui ils donnent leurs filles Taiuuen, gendre, ou Chéraiuuen, mon gendre. Ils imposent ce nom à la fille, qu’ils reçoivent pour femme à leur fils Taütateu, bru, ou belle fille, Chérautateu, ma bru ; ils appellent le François, avec qui ils contractent l’alliance d’hospitalité, Touassap, Compere, ou Ché touassap, mon Compere, & quelquefois Chéaïre, mon fils, ou Chéraiuuen, mon gendre, & ce lors que le François retient sa fille pour concubine. — Telle est donc ce rameau d’alliance.
- Gendre.
- Bru.
- Compere.
Et en leur langue
- Taiuuen, ou Ché-raiuuen.
- Taütateu, ou Cheraütateu.
- Touassap, ou Chetouassap, ou bien Ché-aïre.
Les bastards sont tous les enfans qu’ils ont hors le legitime mariage pratiqué entr’eux, à leur mode, & entre ces bastards il y a un ordre : ou bien ils sont sortis d’un Tapinambos & Tapinambose, & cestuy est le premier Eschelon : ou d’une Indienne Tapinambose & d’un François, & c’est le second rameau : ou d’un Tapinambos & d’une Esclave, & c’est le troisiesme Eschelon, ou d’une Indienne Tapinambose, et d’un serviteur Esclave, & c’est le quatriesme rameau : ou d’une servante Esclave, & d’un François, c’est le dernier Eschelon.
Telle est donc ceste ligne de bastards.
- D’un Tapinambos avec une Tapinambose.
- D’une Indienne Tapinambose & d’un François.
- D’un Tapinambos & d’une Esclave.
- D’une Indienne Tapinambose & d’un serviteur Esclave.
- D’une servante Esclave & d’un François.
Ces Bastards sont appelez en leur langue
- Marap, ou Ché-marap.
Et les Bastards des François,
- Mulâtres.
Les loix de ces bastards sont diverses, selon la diversité de leurs descentes : & auparavant que je les touche, il faut poser la regle generale qu’ils observoient vers les bastards, qui est, que quand…
(Lacune d’une feuille.)
ils l’appellent Toreuüe, c’est à dire gaillard, Cheroreuuë, je suis joyeux, gaillard : celuy qui est plaisant, & a le mot à dire, aron-ayue.
Leurs salutations, demandes, & responces, quand ils se trouvent par ensemble, sont si douces que rien plus : d’autant qu’ils les prononcent avec un accent assez long, fort doux, & attrayant, specialement les femmes & les filles ; & pour ce que je sçay, que cela apportera une consolation au Lecteur : j’ay mis cy dessoubs la forme & maniere ordinaire de leur pourparler, qui est telle[95].
Le matin quand ils se levent, ils se disent.
| Bon jour. | Tyen-de-Koem. |
| Et à vous aussi. | Nein Tyen-de-Koem. |
Le soir quand ils reviennent du travail, & qu’ils se separent, ils se disent.
| Bon soir. | Tyen de Karouq. |
| Et à vous aussi. | Nein Tyen de Karouq. |
Quand la nuict est fermee, & qu’ils veulent aller coucher, ils disent l’un à l’autre.
| Bonne nuict. | Tyen-de-petom. |
| Et à vous aussi. | Nein-Tyen-de-petom. |
S’ils voient quelqu’un venir à eux, ou passer aupres d’eux, ou s’ils se rencontrent en chemin, souvent ils s’arrestent un peu, & s’entre-demandent avec une parole & un visage familier.
| D’où venez vous ? | Mamo souï pereiou ? |
| Où allez-vous ? | Mamo peresso ? |
Lors ils respondent & disent d’où ils viennent, & où ils vont, & c’est ordinairement l’une de ces choses suivantes, ausquelles toute leur vie & exercice est appliquee, à sçavoir, ou pescher en la mer, aller dans le bois, couper des arbres, visiter leurs jardins, planter leurs racines, cueillir leurs fruicts, arracher leurs naveaux, aller à la chasse, se promener çà & là, visiter les villages, & les loges l’un de l’autre par ainsi ils respondent,
| Je viens de la mer. | Paranam-souï-Kaiout. |
| Je viens de pescher. | Pira-rekie-souï-Kaiout. |
| Je viens du bois. | Kaa-souï-Kaiout. |
| Je viens de couper du bois. | Ybouïra monosoc, ou bien Ybouïra mondoc. |
| Je viens du jardin. | Ko-souï-Kaiout. |
| Je viens de jardiner. | Ko-pirarouer-Kaiout. |
| Je viens de bescher & planter. | Maëtum arouere. |
| Je viens de cueillir des fruicts. | Vuapoo-arouere-Kaiout. |
| Je viens de la chasse. | Kaaue-arouere-Kaiout. |
| Je viens de me promener. | Mosou-arouere-Kaiout. |
| Je viens d’un tel village. | Taaue-souï-Kaiout. |
| Je viens de voir un tel. | Ahere-piac-souï-Kaiout. |
| Je viens de mon logis. | Cheroe-souï, ou bien, Cheretan-souï. |
| A Dieu, je m’en vay. | Ne in cheaiourco. |
| A Dieu, nous en allons. | Ne in oro iourco. |
Que si quelqu’un de leurs voisins les va trouver en leur loge, ou s’ils le voient en peine, cherchant çà & là quelque chose luy demandent,
| Que cherchez-vous ? | Maëperese-Kar ? |
| Que demandez-vous ? | Marapereico ? |
Alors ils disent ce qu’ils cherchent, & ce qu’ils demandent fort librement ; Pour exemple,
| Je demande à manger. | Ageroure deué-cheremyouran ressé. |
| Je demande de la farine. | Ageroure ouï ressé. |
| Je demande de la chair. | Ageroure soo ressé. |
| Je demande du poisson. | Ageroure pyra ressé. |
| Je demande de l’eau. | Ageroure v. ressé. |
| Je demande du feu. | Ageroure tata cheué. |
| Je demande un couteau. | Ageroure xè. |
| Une hache. | Iu. |
S’ils voient quelqu’un tout pensif en soy-mesme, ils luy demandent ce qu’il a, à quoy il pense.
| Que pensez-vous ? | Mara-péde-ie mongueta ? |
Il respond.
| Je ne pense à rien. | Ai Kogné. |
| Je pense à quelque chose. | Maerssé-Kaien-arico. |
| Je pense à vous. | Deressé Kaien-arico. |
Si davanture quelques-uns devisent ensemble, ils sont fort curieux de sçavoir ce qu’ils disent, & ainsi ils viennent doucement les trouver, & leur demandent.
| Que dites vous ? | Mara-erepe ? ou bien, Mara-erepipo ? |
| Que disiez vous ensemble ? | Mara-peïe-peïooupé. |
Ils respondent,
| Nous parlions de nos affaires. | Ore-rei-Koran Koïo-mongueta. |
| Nous parlions de vous. | Deressé Koïa-mongueta. |
C’est ainsi qu’ils passent leur vie doucement les uns avec les autres en toute familiarité, selon que vous pouvez recognoistre par ce discours.