Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614
Des Astres & du Soleil.
Chap. XXXVI.
C’est une chose belle & considerable, que le Ciel, sous ceste Zone torride, semble beaucoup moins estoillé, qu’en l’Europe : c’est à dire, qu’il n’y apparoist pas tant de petites Estoilles, attachees à la voute azuree de ce Pays là, comme à la voute du Ciel de ce nostre Pays : & au contraire nous voyons beaucoup plus de grandes Estoilles estincelantes & luisantes là, qu’icy. Je ne me suis jamais persuadé qu’il y eust moins d’Estoilles en ce pays là, qu’en celui-cy, mais que cela venoit de l’erreur de nostre veuë, pour la raison suivante : C’est que tous qui habitent hors des deux Solstices, Cancer & Capricorne regardent obliquement le centre du Ciel, qui est la ligne Ecliptique, ou Zone torride, où passe le Soleil : & pourtant, ils ont plus d’Orizon, & par consequent plus grande espace du Ciel à contempler, & ainsi peuvent voir ou nombrer plus d’Estoilles. A l’opposite ceux qui habitent entre les Solstices, & specialement soubs la Zone torride, ne contemplent plus ceste ligne obliquement, ains en Sphere droicte, & pour ce subject ont moins d’Orizon, & par consequent moins de Ciel à contempler, & en suitte moins d’Estoilles à nombrer.
Cette raison est confirmee par une autre experience : C’est que le Soleil se couche, & se leve tout-à-coup, sans faire aucune Aurore, ny de soir, ains ferme le jour quant & soy à son coucher, & introduict la nuict : & à son lever chasse la nuict, & faict le jour : Que s’il y a là soir ou matin, c’est si peu que rien : Au contraire en l’Europe nous avons en Esté quelquefois plus de deux heures de soir, & autant de matin, avant que le Soleil se leve, & apres qu’il est couché, & ce pour la raison dire que les habitans sous la Zone torride sont en Sphere droicte, & nous autres en Sphere oblique. J’adjouste encore une autre experience quand nous revenons de Maragnan par deçà, au Pole Septentrional, nous découvrons bien plustost l’Estoille de ce Pole, que quand nous allons d’icy à Maragnan, l’Estoille de la Croisade, encore qu’elle soit beaucoup plus eslevee que le Pole Antartic ou Austral. Une autre chose j’ay remarqué en ceste Planette du Soleil ; C’est qu’elle faict deux Midis tous divers entre les deux termes de l’annee, de sorte qu’en une moitié de l’année, regardant l’Est, il est à votre droicte, c’est à dire, en la partie Australe, & en l’autre moitié de l’annee il est à vostre gauche, c’est à dire, du costé vers la Partie Septentrionale : & en tous ces Midis il y a fort peu d’Ombre : d’autant que jaçoit que le Soleil ne regarde en Zenit cette terre, que deux fois l’annee : comme il faict aussi toutes les terres enfermees dans les deux Solstices : neantmoins il vous est si voisin en Sphere droicte, qu’il n’y a pas beaucoup à dire, quand il est venu en son Midy, qu’il ne vous frappe à plomb le coupeau de la teste : toutesfois vous distinguez tres-facilement ces deux Midis, entre lesquels cette terre est situee.
La raison de tout cecy est, que le Soleil couppe deux fois l’annee en Zenit la Zone torride, comme j’ay dit, & ce pour faire ces Solstices du Cancre & Capricorne, & par consequent il est necessaire que ceux qui habitent soubs la Zone torride, le voyent faire son Midy tantost d’un costé, tantost de l’autre. Pour exemple, Quand il sort du Capricorne, pour s’acheminer vers le Cancer, les Bresiliens habitans soubs la Zone torride, ont leur Midy à la main droicte, & quand il quitte le Cancer pour retourner au Capricorne, ils l’ont à la main gauche.
J’aurois icy un beau champ pour discourir de la Sapience de Dieu en la fabrique de ce monde : mais n’ayant pour but que succinctement escrire une Histoire, je laisse cela à la consideration du Lecteur : seulement rafraichissant la memoire comme Dieu a departy la course de ce Soleil, sçavoir, en deux extremitez, & pour le milieu, & tous les habitans de ces trois stations, également reçoivent & participent autant de la lumiere du Soleil en l’annee, les uns que les autres, excepté les habitans du Cancer, qui retiennent le Soleil en l’annee trois jours & quelques heures, davantage que les habitans du Capricorne, d’où viennent les Bissextes, & la reformation du Calendrier, chose qu’il nous faut expliquer : commençons par le milieu, puis nous viendrons aux extremitez.
Le milieu est composé des deux extremitez, & doit estre également distant de l’une & de l’autre, autrement il ne pourroit estre milieu. Toute la course du Soleil se termine en vingt-quatre heures, pour jour naturel, & en douze mois pour an. Or est-il que la Zone torride est le milieu de la course journaliere & annuelle du Soleil, partant, il faut qu’en sa troisiesme part & portion elle joüisse journellement & annuellement de la lumiere du Soleil également avecques les deux parties extremes : ce qu’elle ne pourroit faire, si elle n’avoit en toute l’annee ses jours égaux, c’est-à-dire, 12. heures de Soleil : car si elle excedoit tant soit peu en cette portion, elle ne seroit plus le milieu de la course du Soleil, ains tendroit vers l’une des deux extremitez, & ensuitte elle auroit en un temps de ces douze mois les jours plus grands les uns que les autres pour r’avoir en une fois ce qu’elle perdroit en l’autre, & par ainsi il faudroit assigner une autre Zone du Ciel, qui fust le milieu & centre de cette course, d’autant que le milieu est de l’essence, voire le fondement d’icelle des deux extremitez : car il est impossible de s’imaginer deux extremes sans milieu, ains comme j’ay dict, le milieu est composé des deux extremitez, & par ainsi nous disons que cette Zone torride, estant le milieu de la course Solaire, doit avoir sa portion de lumiere composee des deux extremitez, qui sont douze & douze, que le Soleil donne également aux deux Solstices, entre les deux bouts de l’annee, recompensant en un temps, ce qu’il avoit retenu en l’autre. Composons à present une troisiesme portion pour servir de milieu de ces deux extremitez, douze & douze. Il faut que nous prenions six d’une part, & six de l’autre, pour rendre le tout égal : par ainsi vous entendrez facilement, comme cette Zone torride joüit egalement avecques les autres parties du monde, de la lumiere du Soleil sans changer son nombre de six & six, plus en un temps qu’en l’autre, par ce qu’elle participe egalement des deux extremitez : & ainsi soit que le Soleil aille visiter le Cancre & ses habitations, leur donnant pour sa bien-venuë, largesse & liberalité de lumiere : soit qu’il aille au Capricorne en faire autant, la Zone torride pour cela ne luy est point importune, ny ne hausse l’imposition de ses peages ordinaires : mais elle luy faict payer seulement six heures de matin, & six d’apres Midy de lumiere & chaleur pour son passage de la traversee de sa terre, & du travail de ses habitans, qu’ils prennent à sa venuë.
Quant aux terres & habitans d’entre les Tropiques, & hors les Tropiques, ils divisent également entr’eux, qui plus, qui moins, en divers temps, la lumiere du Soleil, & par compensation plus en un temps qu’à l’autre, au bout de l’annee ils trouvent qu’ils ont eu également chacun, douze heures de lumiere pour un jour naturel & douze mois pour l’annee.
J’ay dict que les habitants du Cancre, tant dedans que dehors son Tropique, jouyssent trois jours du Soleil davantage que les autres : De donner raison naturelle de cela, & tout ce qu’en disent les Astrologues n’est rien : C’est un secret que la Divine Sapience s’est reservé, & un honneur qu’elle faict à ce monde ancien, composé des trois parties, Asie, Afrique & Europe : & si une raison Alegorique peut satisfaire à cela, Je croy que c’est pour remarquer les trois speciaux privileges, que ce vieil Monde a receu par dessus le Nouveau, à sçavoir, la premiere peuplade de l’homme chassé du Paradis Terrestre : le don de la loy escrite, à Moyse, & la redemption du monde par Jesus Christ.