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Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614

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De la Reception que font les Sauvages aux François nouveaux venus & comme il se faut comporter avec eux.

Chap. L.

S’il y a Nation au monde portée à faire bon accueil à leurs amis arrivans de nouveau, & à les recevoir en leurs maisons pour les traitter autant bien qu’il leur est possible, les Topinambos envers les François doivent tenir le premier rang : Car si tost que les François ont mis pied à terre de leur vaisseau, vous voyez venir les Sauvages de toutes parts dans leurs Canots, emplumez & accommodez à la grandeur leur faire feste. Bien plus comme ils aperçoivent de loing les vaisseaux sur la mer approcher de leur terre, le bruit court incontinent par tous les Cantons de leur Pays Aourt vgar ouassou Karaybe, ou bien Aourt Nauire souay, voilà des grands Navires de France qui viennent. Incontinent vous les voyés prendre leurs beaux habits, s’ils en ont, & commencent à haranguer l’un à l’autre, en cette sorte : Voilà les Navires de France qui viennent, je feray un bon Compere : il me donnera des haches, des serpes, des couteaux, des espées & des vestemens : Je luy donneray ma fille : j’iray à la chasse & à la pesche pour luy, je feray force cotons, je chercheray des Aigrettes & de l’Ambre pour luy donner, je seray riche : car je choisiray un bon Compere, qui aura bien des marchandises. Et en disant cecy ils se battent les fesses & la poitrine en signe de joye. Lors les femmes & les filles font de la farine fresche, & les hommes vont à la chasse & à la pesche : Puis tout le mesnage vient chargé de diverses viandes, racines, poissons, venaison, farine, c’est au lieu où abordent les vaisseaux. Les plus hastez vont avec leurs Canots trouver le vaisseau ancré à la rade, & vont recognoistre s’il n’y a point de leurs vieux Chetouassaps, & considerer celuy des François qui a la meilleure mine, à fin de luy offrir son comperage, sa loge & sa fille : Si tost que les François ont mis pied à terre, ils s’amassent tous autour d’eux : leurs monstrent bons visages tant les hommes que les femmes : leur presentent des vivres, les invitent à estre leurs comperes : s’offrent à porter leurs hardes ; & enfin font ce qu’ils peuvent pour les contenter & avoir leur bonne grace : Ils ne vont pas pourtant par envie l’un sur l’autre pour avoir un François logé chez eux, celuy qui a le premier parlé l’emporte sans contradiction, & ne se diffament point. Ils font bien d’avantage, quand un François change de Compere, ils n’en font point d’estat, le mesprisent & tiennent pour un homme facheux, argumentans ainsi ? S’il n’a sceu demeurer avec un tel, comment demeurera il avec moy ? Il est bien vray que si le Sauvage estoit de mauvaise humeur, chiche & paresseux, quand le François le quiteroit, il n’en seroit mal voulu : Au contraire ils diroient, Il a bien faict de le laisser : c’est un homme chiche, paresseux & difficile.

Le François ayant choisi un compere, il le suit & s’en va en son village[144] : à lors l’hoste avec une certaine gravité, tout ainsi que si jamais il ne l’avoit veu, il luy tend la main, & luy dit, Ereiup Chetouassap ? Es-tu venu mon Compere ?[145] chose plaisante & considerable. Car vous diriez à les voir, qu’ils sortent à la façon des Empereurs d’un cabinet bien fermé, où ils estoient empeschez en de grandes affaires : Que s’ils veulent faire un grand acueil à ce François, & luy monstrer qu’ils l’ayment parfaictement, auparavant que ce Pere de Famille luy dise Ereioupe, les femmes & les filles le pleurent : puis ce bon jour luy est donné. Le François luy respond, , ouy ? responce qui signifie tout cecy, ouy de bon cœur : Je t’ay choisi pour demeurer avec toy & pour estre mon compere & du nombre de ta famille : Je t’ay preferé à un autre : car je t’aime & m’as semblé estre bon homme. Le Sauvage luy dit, Auge-y-po, voylà qui est bien, j’en suis infiniment aise, tu m’honore beaucoup, tu sois le bien venu, tu ne sçaurois où aller pour estre mieux receu. Par cecy vous recognoissez la candeur & simplicité de la Nature laquelle a peu de discours, ains vient aux effects. A l’opposite la corruption a inventé tant de discours, tant de paroles succrees, reverence sur reverence, souvent la main au chappeau & au partir de là, le cœur n’y touche. Quelle jugeront nous de ces deux receptions & bien-venuë estre la meilleure & plus correspondente à la Loy de Dieu, & à la simplicité Chrestienne.

Apres ces paroles il vous dit, Marapé derere ? comment t’apelles tu quel est ton nom ? comme veux tu que nous t’appellions ? Quel nom veux-tu qu’on t’impose ? Où faut-il noter, que si vous ne vous estes donné & choisi un nom, lequel vous leur dites à lors, & desormais estes appellé par tout le pays de ce nom, les Sauvages du village où vous demeurez, vous en choisiront un pris des choses naturelles, qui sont en leurs pays, & ce le plus convenablement qu’il leur sera possible, selon la phisionomie qu’ils verront en vostre visage, ou selon les humeurs & façons de faire qu’ils recognoistront en vous. Pour l’exemple : entre nos François, les uns furent appelez Levre de Mulet : parce que celuy à qui le nom fut imposé, avoit la levre d’en bas avancee, ainsi qu’ont les poissons nommez Mulets : un autre fut appellé Grand Gosier, pource qu’on ne le pouvoit rassasier : un autre fut nommé Gros Grapau[146], à cause qu’ils le voyoient tout bouffy : un autre Chien Galeux, d’autant qu’il avoit mauvaise couleur : un autre, Petit Perroquet, parce qu’il ne faisoit que parler : un autre La Grande Picque, d’autant qu’il estoit haut & menu, & ainsi des autres generalement : & font cecy ordinairement en leurs Carbets, en semblables discours. Et bien quel nom donnerons-nous à un tel ton compere ? Je ne sçay, dit-il, il faut voir : lors chacun dit son opinion & le nom qui rencontre le mieux & est receu de l’assemblee, est imposé avec son consentement si c’est quelque homme d’honneur : car le vulgaire ne laisse pas d’estre appellé, vueille ou non, du nom que l’Assemblé luy a donné.

Ils ont aussi une autre façon de donner des noms, & c’est lors qu’ils vous ayment bien, & font grand estat de vous, en vous imposant leur propre nom.

Ayant sceu vostre nom, il pense à la cuisine, vous disant, Demoursousain Chetouasap, ou bien Deambouassuk Chetouasap ? As-tu faim mon compere ? veux-tu manger quelque chose ? L’hostesse vous escoute & vous regarde preste à vous faire service, de sorte que c’est à vous de dire Ouy, ou nenny : car ils prendront vostre responce pour argent contant : d’autant qu’en ces pays là, il ne faut estre honteux ny faire la petite bouche. Si vous avez faim, vous leur dites Pa, Chemoursousain, Pa, Cheambouassuk, ouy, j’ay faim, je veux manger : Ils adjoustent, Maé pereipotar : Que veux-tu manger ? que desires-tu que je t’apporte ? Ils sont fort liberaux en ces commencemens, diligens à la chasse & à la pesche, à fin de vous contenter & gaigner vostre affection pour obtenir des marchandises, mais prenez garde de ne donner pas tant au commencement, que vous ne les reteniez tousjours en haleine, leur presentant de mois en mois quelque chosette. A leur demande vous respondez ce que vous desirez, chair, poisson, oyseaux, racines, ou autre choses : à lors la femme & l’homme aussi, apportent devant vous la venaison, le Migan qu’ils ont, & en mangez à vostre aise, & en donnez à qui vous voulez. Si tost que vous avez mangé, il faict tendre son lict pres du vostre & commence à deviser avec vous, vous presentant un coffin de Petun, qu’il allume luy mesme, & sucçant trois fois de cette fumee qu’il faict sortir par ses narines, il vous le donne pour en prendre, comme chose tres-bonne, & dont il faict plus d’estat, & telle est leur coustume generallement, comme en France on a accoustumé de vous presenter à boire. Il allume aussi son coffin, & apres en avoir pris cinq ou six bonnes gorgees, il s’enqueste de vostre voyage, disant, Ereia Kasse pipo : As-tu quitté ton pays pour venir icy nous voir, nous visiter, nous apporter des marchandises ? vous luy dites, Pa : ouy je l’ay quitté : j’ay mesprisé mes amis & mon pays pour te venir voir. A lors levant la teste par forme d’admiration, il dit, Yandé repiac aout, on a eu compassion de nous, on nous a regardé en pitié : les François ont eu souvenance de nous, ils ne nous ont point oubliez. Ils quittent leurs pays pour nous venir voir : Y Katou Karaibe, que les François sont bons & nos grands amis ! Puis il demande au François Mobouype derouuichaue Yrom ? Combien avez vous avec vous de Superieurs, de Guerriers, de Capitaines, de Principaux ? Il luy respond Seta, beaucoup. Le Sauvage replique De Mourouuichaue ? n’est tu pas du nombre ? n’est-tu pas des Principaux ? vous pouvez penser qu’il n’y a si chetif qui ne die du bien de soy-mesme : par ainsi le François respond Ché Mourouuichaue. Ouy, je suis du nombre des Principaux. Le Sauvage dit, Teh Augeypo, J’en suis bien aise voilà qui va bien. C’est assez : parlons maintenant d’autre chose. Ererou patoua ? Ererou de caramemo seta ? As-tu apporté des coffres quant & toy, & force cabinets pleins de marchandises ? car ce sont les meilleures nouvelles qu’on leur peut apporter, c’est où ils ont l’esprit tendu & le cœur adonné, tout ce qu’ils disent devant ces paroles, n’est qu’un preambule pour tomber en ce subject : & apres que le François luy a respondu, qu’ouy : Le Sauvage poursuit ses demandes : en ceste sorte Mae porerout decaramemo poupé ? Qu’avez-vous apporté dans vos coffrets & escrins ? Quelle marchandise y a il ce qu’ils disent d’une façon fort douce & flatteuse : d’autant qu’ils sont infiniment curieux de sçavoir & de voir les marchandises que les François ont apporté. Et le François doit estre adverty de ne leur dire & monstrer ce qu’ils ont, ains les tenir suspens en ce desir, s’il veut tirer d’eux de bons services & du profit ; mais leur respondre en ceste sorte Y Katou-paué : J’ay tant apporté de choses que je ne les puis nommer, & sont toutes belles & magnifiques. Ceste parole est comme l’eau jettee sur la fournaise ardente du forgeron, qui redouble la chaleur, & aiguise l’activité de la flamme : semblablement ceste response eschauffe le desir qu’ils ont de sçavoir qui les esmeut de faire mille gestes d’adulation, avec propos correspondans à tels gestes, vous disans, Eimonbeou opap-katou : Et je te prie ne me cele rien, dy les moy, Yassoiauok de Karamemo assepiak demaë : Ouvre moy tes coffres, tes cabinets, à fin que je voye tes marchandises & tes richesses. Il faut que le François responde, Aimosanen ressepiak ou Kayren deuè. Je suis empesché pour le present, laisse moy en repos, tu les verras une autre fois quand je viendray à toy, Begoyé sepiak. Ne doute point, tu les verras un jour à ton loisir. Le Sauvage entendant cecy, & voyant bien qu’il perd son temps, il dit à soy-mesme, haussant les espaules quasi comme se plaignant : Augé katout tegné, bien donc, faut que je me contente. Je voy bien que mes prieres ne seront exaucees : mais au moins, dit-il au François, Dereroupé xeapare amon ? N’as-tu pas apporté force hansars ? qui sont serpes, lesquelles ont le manche de fer. Dereroupé ourà sossea-mon ? As-tu aussi apporté des serpes qui ayent le manche de bois ? Ereroupé Ytaxé amo ? As-tu apporté des couteaux d’acier ? Ereroupé Ytaapen ? As-tu apporté des espées d’acier ? Ereroupé tataü ? As-tu apporté des arquebuzes ? Ereroupé Tatapouy seta ? As-tu apporté force poudre à canon ? Le François respond à tout cela. Arou seta Ygatoupé giapareté. Ouy j’en ay apporté une grande multitude, sont beaux & fort bons. Le Sauvage dit Auge-y-po. Voilà qui est bien. Ereipotar touroumi ? Ereipotar Kerè ? As-tu faim de dormir ? veux-tu te coucher ? Le François, Pa che potar. Ouy je veux dormir, laisse moy. Alors le Sauvage luy donne le bon soir & bonne nuict disant, Nein tyande Karouk tyande petom, bon soir, bonne nuict, reposez à vostre aise : Laissons les en ce repos, & commençons le second traitté de ceste Histoire.

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