Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614
De quelques autres ceremonies diaboliques pratiquees par les Sorciers du Bresil.
Chap. XII.
Ce Prince seroit bien marry de laisser rien d’entier au service de Dieu, qu’il ne taschast de l’imiter fausement, afin de l’introduire au cult superstitieux de sa superbe. Dieu avoit jadis institué les eaux de Purification en l’Ancien Testament, faictes & composees de diverses matieres & ceremonies diverses, selon le but & subject auquel elles devoient estre employees, tantost pour purifier les hommes, maintenant les vases & ustensiles du Temple : une autre fois les habits, maisons et tout le mesnage. Semblablement ce Demon institua en la Gentilité les eaux de lustration, desquelles les Payens se servoient à diverses fins, ainsi que les Juifs : car les hommes en estoient lavez & aspergez avant que de se presenter au sacrifices, comme aussi les ustensiles des Temples des Idoles, & les maisons, habits & mesnage des infidelles. Voyons si ce mal-heureux serpent s’est point oublié d’amuser nos Sauvages de telles superstitions.
Quand vous n’auriez point d’autres exemples que celuy que j’ay allegué au Traicté du Temporel, des barberies que fit ce Sorcier venu des plaines de Miary, cela seroit suffisant pour voir entierement les folies & abus que l’ancien trompeur a sursemees parmy les peuples, touchant le poinct que nous traictons. Mais d’autant que j’ay apris des discours des Barbiers mesme, avec lesquels j’ay parlé, plusieurs singularitez qu’ils faisoient pour amuser leurs gens : je serois marry d’en priver le Lecteur.
C’est donc la coustume des Pagys-Ouassous de celebrer en certain temps de l’annee des lustrations publiques[158], c’est à dire des purifications superstitieuses par aspersion d’eau sur les Sauvages : & bien que le tout depende de leur fantaisie, composans ces ablutions à leur caprice, neantmoins pour l’ordinaire ils font emplir d’eau des grands vaisseaux de terre, & proferans secrettement quelques paroles dessus & soufflans de la fumee de Petun, & meslans un peu de poudre de la Loge où ils sont, ils se mettent à danser, puis apres le Barbier prend des branches de Palme, qu’il trampe là dedans, & en asperge la compagnie. Cela fait, chacun prend de cette eauë dans des Couis ou escuelles de bois, & s’en lavent, comme aussi leurs enfans.
Pacamont, Grand Barbier de Comma[159], me contoit un jour qu’il faisoit sortir de l’eau de terre, avec laquelle il lavoit ces gens, au grand estonnement de tous ces Barbares, qui voyoient sortir si nouvellement cette eauë du milieu de sa Loge, & la recevoient comme si elle eust esté miraculeusement envoyee par les Esprits : mais le rusé avoit emply un grand vaisseau d’eau, laquelle s’escouloit par soubs terre dans des canaux de bois creux qui est en grande quantité au Bresil : & ainsi il trompoit ces gens.
Le Diable avoit persuadé aux Gentils plusieurs sortes d’abus és eaux, fontaines & ruisseaux. Les Nymphes habitoient aux unes, les Deesses aux autres : les unes faisoient un effet, les autres un autre : les unes estoient facheuses & dangereuses, les autres agreables & asseurees : les unes sacrees, les autres prophanes. Pareillement ces Sauvages ont une opinion superstitieuse, que quand ils voyent certaine espece de lezards, lesquels ressemblent aux Mourons de deçà, ou aux Lezards veneneux de diverses couleurs, courir dans leurs eaux, ils estiment que cette fontaine est dangereuse pour les femmes, & que Giropari boit de cette eauë : Ayant sceu cette superstition je m’en servy pour me delivrer de l’importunité & incommodité que me faisoient les femmes se lavans dans la fontaine de nostre lieu de S. François : car je fis courir le bruit qu’il y avoit là de ces Mourons : pas une du depuis n’en voulut aprocher, sinon les Esclaves du Fort, ausquelles il estoit deffendu de se laver dans la fontaine par ce moyen j’eus le loisir de la faire clorre & fermer à la clef, afin de conserver l’eau en sa netteté. Cette superstition va jusques là qu’ils croyent que ces Lezards se jettent sur les femmes, qu’ils les endorment & ont leur compagnie, tellement qu’elles deviennent grosses de leur fait, & produisent des Lezards au lieu d’enfans : Et c’est pourquoy pendant que ce bruit fut en sa vigueur, les Esclaves du Fort ayans commandement d’aller querir de l’eau en ce lieu, venoient en compagnie armees de bastons, de couteaux & autres instrumens semblables pour se deffendre, disoient-elles, de ces Lezards, qui ne fut pas une petite risee à tous nous autres François.
Outre les eaux de lustrations & diaboliques ablutions pratiquees par ces Barbiers ils usent d’une façon particuliere à communiquer leur esprit aux autres : & c’est par le moyen de l’herbe de Petun, laquelle estant mise dans une canne de Roseau, ces Sorciers en attirent la fumee, laquelle ils degorgent sur les assistans, ou la soufflent de la canne sur iceux, les exhortant de recevoir leur Esprit & la vertu d’icelui. Ne diriez vous pas que ce cauteleux Dragon vueille en ceste fausse ceremonie imiter Jesus-Christ quand il donna son Esprit à ses Apostres, & la puissance à eux & à leurs successeurs de le donner en sa personne à ceux qui seroient initiez aux sacrez Ordres ; Ainsi qu’il est porté en S. Jean. Insufflavit & dixit eis, Accipite Spiritum Sanctum. Il soufla sur eux, & leur dit, Recevez le Sainct Esprit ; Car d’où ces Barbiers auroient-ils pris ceste ceremonie Sathanique, si le Diable ne la leur avoit montré ; pour ce qu’ayans tousjours esté enfermez dans ceste grande & vaste prison du Bresil, sans aucune communication du viel monde ; ils ne pouvoient l’avoir apprise d’aucune autre Nation. Ces souflemens leur sont fort particuliers, comme une ceremonie du tout necessaire pour donner guerison aux malades : Car vous les voyez attirer par leur bouche, tant qu’ils peuvent, le mal, disent-ils, du patient dans leur bouche & gosier, & contrefaisans la bouche toute pleine, bandee & boursoufflee, ils laschent tout d’un coup ce vent enfermé dehors, faisant autant de bruit presque qu’un coup de pistolet, & crachent apres à grande force, disant que c’est le mal qu’ils ont succé, & taschent de le faire croire au malade.
A ce propos nous prismes un jour grand plaisir le sieur de Pesieux & moy au village d’Usaap. Il y avoit un pauvre garson Sauvage vivement tourmenté d’une colique du pays : Un de ces Barbiers vint exercer son attraction d’esprit sur son petit ventre, faisant plusieurs mines, & se reprenant à diverses fois, & ce d’autant qu’il voyoit que nous le regardions attentivement, nonobstant pour toutes ses aspirations & attractions le garson ne cessoit de crier ; En fin il nous vint trouver apportant en ses mains deux ou trois petits cloux, & nous dit : voilà ce que je luy ay tiré du ventre ; il a les boyaux tous pleins de cela, il me les faut tirer les uns apres les autres : de peur que si je ne les luy tirois en gros, ils ne luy crevassent les tripes & ecorchassent le gosier. Il le fit acroire à ce garson qui ne cessoit de crier qu’on luy tirast les cloux du ventre. Si ces loges eussent esté couvertes d’ardoises, je pense qu’il eust mis en la teste de ce garson d’avoir mangé les lates & les cloux de la couverture ; mais n’ayans pas les cloux de fer communs entr’eux, je ne sçay comment il peut embaboüiner les assistans & leur persuader ceste folie. Je pourrois icy rapporter plusieurs semblables exemples, mais celuy-cy suffit pour faire entendre le sujet que je traitte.
Or si c’est chose digne d’admiration de voir la malice de l’Esprit infernal en tout ce que nous avons dit jusques icy : beaucoup plus grand doit estre nostre étonnement, en ce que je vay dire : parce qu’il a estably la confession auriculaire entre ces Sauvages. Je ne dy rien que je n’aye entendu de mes oreilles de la bouche de Pacamont, & semblablement par le recit d’autres Sauvages & François. Ce grand Pagy en sa Province de Comma alloit visiter quand il luy plaisoit les vilages de son cartier, & la commendoit que chacun vint à confesse à luy, specialement les jeunes femmes & les filles : & quand il trouvoit quelques une qui ne vouloient pas tout dire, il les menassoit de son Esprit, qu’au cas qu’elles ne dissent tout il les tourmenteroit & sçavoit finement recognoistre si elles disoient tout ou non. Puis il leur donnoit je ne sçay quelle sorte d’absolution, mais le galant sçavoit bien apres dire les nouvelles de l’escole, remarquant les unes & les autres pour telle & telle action, & neanmoins cela, il n’a pas laissé d’exercer ce mestier & façon d’entendre les confessions jusques au temps que nous arrivasmes là. Pensez je vous prie, qui luy pouvoit avoir appris ceste maniere de confesser auriculairement, menacer ses semblables qu’au cas qu’ils celassent quelque chose son Esprit les batroit, & que confessant tout, son Esprit les absoudroit.