Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614
Notes critiques
et
historiques sur le voyage
du
P. Yves d’Evreux.
[53] Suitte de l’histoire des choses plus memorables advenues en Maragnan. Voy. le titre.
Cette vaste province, l’une des plus florissantes du Brésil, n’avait reçu aucun établissement de quelque importance, avant l’arrivée des missionnaires français. Les limites qu’on lui accordait alors étaient complétement arbitraires et il ne faut pas oublier, que l’immense capitainerie du Piauhy en fit partie intégrale, jusqu’en l’année 1811. Aujourd’hui son étendue en longueur est de 186 lieues (de 20 l. au dég.) sur 140 de largeur. Sa superficie n’est pas évaluée à moins de 20,000 lieues carrées. Elle git entre 1° 16′ et 7° 35′ de lat. mérid. Elle confine au N. O. avec le Pará dont elle est séparée par le Rio Gurupy, au N. E. elle est baignée par l’Atlantique, au S. E. le Parahiba forme ses limites du côté du Piauhy. Le Tocantius enfin la sépare au S. de la province de Goyaz. Quoique chaud et humide, le climat du Maranham est sain, les pluies qui fertilisent ce riche territoire commencent régulièrement en Octobre. L’aspect général du pays offre partout des mouvements de terrain inégaux, il ne présente nulle part cependant, des élévations bien considérables, si l’on excepte toutefois de ces données générales et forcément sommaires, la Comarca de Pastos bons. Là, on rencontre des montagnes telles que Alpracata, Valentim, Negro, etc. Le pays est arrosé par 14 cours d’eau. De tous ces fleuves c’est le Parnahiba qui est le plus considérable ; malheureusement, ses rives ne sont pas d’une salubrité égale sur tous les points, à ce que l’on observe dans le reste de la province, il y règne des fièvres intermittentes. On évalue son cours à 240 lieues. L’Itapicurú qui vient immédiatement après lui et dont il est fréquemment question dans la Relation du P. Yves ne baigne qu’une étendue de 150 lieues de terrain ; le Mearim a un cours plus restreint, on l’évalue à 78 l. Le Pindaré, le Turiassu, le Gurupi, le Manoel Alves Grande sont moins considérables encore. — On suppose que la population entière de la province peut s’élever aujourd’hui à 462,000 habitans. Cependant, le Relatorio officiel de la présidence qui porte la date du 3 Juillet 1862, n’évalue ce chiffre qu’à 312,628 âmes, dont 227,873 individus libres et 84,755 esclaves. Il est à remarquer que le recensement général de la population de l’Empire, fait en 1825, n’admettait qu’une population de 165,020 âmes. On a acquis la certitude, que ce chiffre était en réalité fort inférieur à ce qu’il devait être. Il témoignait seulement de la répugnance qu’avaient alors les propriétaires à déclarer le nombre exact de leurs esclaves. — Quant à la population nomade des indiens, à celle qu’il serait si curieux de bien connaître pour apprécier les changements survenus parmi les Aldées depuis le temps où écrivait le P. Yves, nul chiffre ne la constate, et ne peut exactement la fournir. Ce qu’on peut dire, c’est qu’elle est plus considérable au Maranham, au Pará et dans la nouvelle province de Rio Negro, que partout ailleurs. On n’a en définitive, que les données les plus imparfaites et les plus rares, sur ces hordes malheureuses, dont se préoccupe aujourd’hui le gouvernement. La sollicitude tardive, mais charitable de l’administration provinciale a trop de maux à réparer pour que la réparation soit complète. Tout est à faire encore en ce qui touche les Indiens. Ces tribus n’ont su conserver ni la dignité que donne à l’habitant des forêts une complète liberté, ni les principes de civilisation qu’on avait tenté de leur inculquer au XVIIme siècle. Refoulées définitivement dans l’intérieur par Mathias d’Albuquerque, décimées par le virus de la petite vérole, elles ne sont plus que l’ombre de ce qu’elles étaient sous leurs chefs indépendants. Cette population indigène, est cependant plus considérable dans les solitudes du Maranham, que ne l’indiquent certaines statistiques et l’on évalue à 5000 environ, ceux des indiens qu’on a pu réunir en villages. Si nous en croyons un militaire éclairé, qui s’est trouvé avec eux dans des rapports incessants durant une vingtaine d’années, la déchéance physique est bien moindre chez ces peuplades, que la déchéance morale ; elles ont perdu jusqu’au souvenir de leurs traditions théogoniques, qu’il eût été si curieux de comparer aux récits des vieux voyageurs français. Sous ce rapport, elles ont été bien moins favorisées que ces Guarayos, visités naguère par d’Orbigny, et qui répètent encore dans leurs chants, les légendes cosmogoniques du XVIme siècle. Les Indiens du Maranham, parmi lesquels on distingue les Timbirás, les Gêz, les Krans et les Cherentes ne peuvent donc fournir à l’historien, que des renseignements bien affaiblis puisque, il y a maintenant environ quarante ans, le major Francisco de Paula Ribeiro avait déjà constaté chez eux cet immense envahissement de l’oubli (voy. la Revista trimensal T. 3, p. 311), c’est cet oubli fatal des grandes traditions, qui rend aujourd’hui si précieux des livres, tels que ceux de nos vieux missionnaires ; là tout au moins les mythes antiques sont recueillis parce qu’il a fallu les combattre. Il se présente de temps à autre parmi ces Indiens dégénérés, quelques hommes énergiques, qui comprennent l’abaissement de leur race et qui voudraient la faire marcher en avant, mais ces chefs sont aussi rares qu’ils sont peu compris, et de plus, c’est vers l’avenir qu’ils tournent leurs regards ; ils n’ont aucun sentiment réel de leur ancienne nationalité. Leurs compatriotes qui devraient tout au moins leur savoir gré des travaux entrepris pour améliorer leur sort futur, les accablent parfois de leur haine aussi irréfléchie qu’elle est brutale. C’est ce qui est arrivé à Tempe et à Kocrit, ces chefs qu’avait connus le major Ribeiro. Ils ont fait de vains efforts pour pousser dans la voie de la civilisation les peuplades, dont la direction leur avait été dévolue : ils sont tombés victimes de leur zèle. Voy. Memoria sobre as nações gentias que presentemente habitam o continente do Maranhão, escripta no anno de 1819 pelo major graduado Francisco de Paula Ribeiro, Revista trimensal T. 3, p. 184.
Disons en passant, que les Tupinambas évangélisés par les missionnaires français, n’ont pas laissé de descendants connus ; on suppose seulement qu’un rameau appartenant à cette grande nation, peuple encore les bourgades de Vinhaes et de Paço de lumiar dans l’île. Sam Miguel et Frezedalas sur les bords de l’Itapicurú peuvent être dans le même cas ; il en est de même à l’égard de Vianna sur le Pindaré. Plus probablement encore les Tupinambas se sont confondus avec les nations de l’intérieur ; ils ont pris les noms de Timbirás et de Gamellas. Les Sakamekrans, les Kapiekrans ou canelas-finas, et les Gez, errants dans les grandes forêts à l’ouest de l’Itapicurú ne sont autres que des subdivisions des Timbirás. Le major Ribeiro, nie, que ces diverses peuplades se livrent encore aux horreurs de l’anthropophagie. C’est dans cet écrivain si impartial et qui reconnaît toute la férocité des Timbirás, qu’il faut étudier les horribles représailles dont les malheureux Indiens ont été l’objet : l’esclavage n’en a été que le moins sanglant résultat. Le major évaluait à 80,000 environ, le nombre des Indiens Sauvages errants en 1819 dans les grandes forêts ; il a dû diminuer considérablement depuis cette époque.
[54] Voicy ce que j’ay peu par subtils moyens recouvrir du livre du R. P. Yves d’Evreux supprimé par fraude et impieté, moyennant certaine somme de deniers entre les mains de François Huby, imprimeur. p. 1.
François Huby était aussi libraire et sa boutique occupait une place parmi les magasins les plus achalandés dans la galerie des prisonniers au palais ; il dut souffrir comme bien d’autres du grand incendie qui eut lieu en 1618. Quatre ans auparavant qu’il se chargeât de la publication du livre de Claude d’Abbeville, dont le nôtre n’était qu’une suite, il demeurait rue St. Jacques, au Soufflet d’or, et non à la Bible d’or, qu’il prit plus tard pour enseigne. S’il fut atteint dans sa prospérité, ce fut justice pour avoir permis qu’une main impie privât la France durant plus de deux siècles, du livre charmant, qu’il avait édité et que nous remettons aujourd’hui en lumière, grâce à une de ces entreprises littéraires si rares de nos jours, où l’honneur des lettres est la pensée dominante, et l’emporte sur tout autre considération.
Le volume qui a servi à notre réimpression est relié en maroquin rouge, parsemé de fleurs de lys d’or et aux armes de Louis XIII. Il fait partie de la réserve sous le No O 1766 de la Bibliothèque Impériale de Paris.
[55] St. Louïs en Maragnan. p. 9.
La capitale du Maranham, occupe aujourd’hui encore, l’emplacement qui fut choisi par ses anciens fondateurs. Elle est située par 2° 30′ 44″ de lat. Austr. et 1° 6′ 24″ de long. orient. à compter du fort de Villegagnon, dans la baie de Rio de Janeiro. La Ravardière et Razilly choisirent pour la construire, la pointe O. d’une petite péninsule, liée à l’île de Maranham même par la chaussée do Caminho grande. Les cours d’eau désignés sous les noms d’Anil et de Bocanga sortis de points divers de l’île, confondent leurs eaux dans une même embouchure et forment une vaste baie. L’élévation qui se présente au S. du Anil à l’E. et au N. du Bocanga (c’est précisément l’endroit où se réunissent les deux petits fleuves), constitue l’emplacement primitif où s’éleva la ville naissante, placée sous le patronage de St. Louis.
San Luiz do Maranham fut élevé en 1676 par une bulle d’Innocent XI à la dignité de cité épiscopale, c’est une ville qui ne compte guère moins de trente mille habitans et qui se trouvant bâtie sur un terrain doucement onduleux, paré en tout temps de la plus riche végétation, offre de l’avis de tous les voyageurs un aspect charmant. (Voy. Corografia Brasilica, Will. Hadfield, Milliet de St. Adolphe et principalement, les apontamentos estatisticos da provincia do Maranham placés à la suite du grand Almanach de 1860, publ. par B. de Mattos.) Cette jolie cité est divisée naturellement par l’épine dorsale de la péninsule, que sépare les deux bassins des cours d’eau dans la direction de l’E. O. Son point culminant est le Campo d’Ourique ; là, elle présente 32m 692c d’élévation au-dessus du niveau moyen de la marée. Toute la ville se divise en trois paroisses : Nossa senhora da Victoria, San João et Nossa senhora da Conceição. On y compte 72 rues, 19 ruelles, et 10 places. Elle possède 55 édifices publics et 2,764 maisons, dont 450 seulement offrent un ou plusieurs étages. De l’avis même des habitans, les places pourraient offrir plus d’étendue et de régularité. Bien qu’elles soient coupées à angle droit, les rues devraient parfois être plus larges, mieux disposées en un mot selon les lois de l’hygiène. Leur pavé du reste n’est pas précisément mauvais, et elles sont d’une inclinaison convenable relativement aux deux cours d’eau, qui baignent la ville. Somme toute, Maranham est une capitale dont l’air est salubre et qu’on ne saurait accuser de manquer de propreté.
« Le navire qui est en quête d’un ancrage prend pour balise le palais du gouvernement, assis sur l’éminence qui domine le port. Ce bâtiment a à sa base la forteresse de San Luiz : et de ses fenêtres le regard qui parcourt une baie étendue, contemple au loin dans un horizon fugitif les côtes et la ville d’Alcantara ; plus près la barre avec son petit fort de la pointe d’Area et au dedans du port, sur la rive opposée du Bocanga, le petit hermitage ruiné de Bom Fim, et en face sur l’Anil la pointe de San Francisco. » Ce fut là où selon la notice qui nous dirige, La Ravardière remit au commandant Portugais la ville naissante et la forteresse de San Luiz. Ce qu’on ne saurait assez rappeler, c’est la conduite toute chevaleresque du commandant Français en cette occasion et même celle d’Alexandre de Moura, qui agissait au nom de l’Espagne. Le jeune chirurgien de Paris, qui alla panser avec tant de zèle les blessés des deux partis et qui reçut un si touchant accueil dans le camp ennemi, peut seul donner une idée par son récit, plein de naïveté et de franchise, de la cordialité qui régna entre les Français et les Portugais après le combat (voy. les Archives des Voyages publiées par M. Ternaux Compans). A quelques mètres, en suivant la rive du Anil s’élève le couvent et l’église de Sancto Antonio ; ces bâtiments ont été construits au lieu même où durant l’année 1612, Yves d’Evreux aidé des PP. Arsène et Claude d’Abbeville, bâtit son petit couvent, sous l’invocation de St. François. Ce monastère des capucins français a été rebâti plusieurs fois ; « une partie du moderne couvent, est occupée aujourd’hui, par le séminaire épiscopal, et l’église qui est en construction s’élève de nouveau dans le goût de l’architecture gothique simple. » Ce sera, à ce que l’on assure, la plus belle église de San Luiz.
Cette construction n’est pas l’unique, tant s’en faut, dont se préoccupe la cité, mais c’est la seule, en quelque façon, qui nous intéresse directement. Nous ne parlerons donc ici, que pour mémoire, et du quai da Sagraçao, nommé ainsi à l’occasion du couronnement de D. Pedro II, et du vaste bassin qu’on creuse en ce moment, dans le but de lui faire admettre une frégate à vapeur de premier ordre, nous nous contenterons de citer le dock que l’on projette dans le voisinage de l’Anse das Pedras. Il y aurait plusieurs constructions monumentales telles que l’Eglise do Carmo, la cathédrale, la caserne du Campo do Ourique, le théâtre qu’il serait juste de mentionner, mais il ne faut pas oublier que ceci n’est qu’une note rapide, destinée à faire saisir dans son ensemble, ce qu’est devenue en deux cents cinquante ans, la fondation française.
Un des voyageurs les plus modernes qui se soient occupés de ces contrées, William Hadfield, fait observer que San Luiz est la ville du Brésil, où l’on parle le plus purement le Portugais. C’est, en effet, la patrie de deux écrivains hautement estimés dans l’Empire, Odorico Mendes et João Francisco Lisboa, dont la mort est toute récente. Après avoir traduit Virgile avec une supériorité de style qu’envieraient les contemporains de Camoens, Odorico Mendes prépare en ce moment une version en vers d’Homère, où la science du rythme le dispute à l’inspiration. — Quant au poète des légendes nationales, dont tout le Brésil répète aujourd’hui les chants (nous voulons parler ici de Gonçalvez Dias), il appartient bien à la province du Maranham, qu’il a explorée en savant et en voyageur intrépide, mais il est né à Caxias. Les œuvres de ces trois écrivains honneur du pays, sont aussi l’honneur de la bibliothèque publique, mais cet établissement institué dans une ville éminemment littéraire est bien peu en rapport avec les nécessités croissantes de ses autres institutions relatives à l’instruction publique. Il y a trois ans tout au plus, il ne comptait que 1031 volumes. Puisse le livre que nous reproduisons ici, le premier avec celui de Claude d’Abbeville, qui ait été écrit dans la ville naissante, commencer une ère nouvelle pour cet établissement indispensable dans une capitale florissante. Plusieurs fondations heureusement viennent en aide à son insuffisance, on publie à San Luiz divers journaux, tels que le Publicador Maranhense, l’Imprensa, le Jornal do Comercio etc. etc., et il y a dans la ville une société de typographie ; à laquelle il faut joindre un grand cabinet de lecture et une société littéraire l’Atheneu Maranhense. Tout cela contraste étrangement avec l’époque où le P. Arsène de Paris trouvait à peine une feuille de papier pour écrire à ses supérieurs.
[56] Cette devotion s’augmenta encore bien plus quand la chapelle Sainct Loüis au fort fut edifiee. p. 11.
L’église cathédrale de San Luiz ou Maranham, car la ville porte toujours ces deux noms, a cessé d’être sous l’invocation de St. Louis de France. C’est aujourd’hui l’ancienne église du couvent des Jésuites, qui sert de cathédrale, cette église est sous l’invocation de Nossa Senhora da Victoria. (Voy. Ayres do Cazal, Corografia Brasilica, Rio de Janeiro, 1817, T. I. p. 166.) Il paraît que dans les vastes constructions faites en ces derniers temps pour agrandir le couvent de Sanct-Antonio on a respecté la petite chapelle d’origine française ; les Franciscains qui la desservent aujourd’hui, n’étaient l’année dernière qu’au nombre de trois : Fr. Vicente de Jesus (gardien), Fr. Ricardo do Sepulcro et Fr. Joaquim de S. Francisco, tous les deux prêtres.
[57] Pour remedier à cette disette, l’on delibera d’envoyer à la pesches des vaches de mer. p. 13.
Cette espèce de phoque à la chair savoureuse, était alors prodigieusement commune dans le nord du Brésil et dans l’intérieur de la Guyane ; c’est ce que les Portugais appelent le peixe-boy, le poisson-bœuf, les Indiens le manati. La chair excellente de ce poisson nourrit encore en grande partie les habitans des bords de l’Amazone et du Tocantius. (Voy. Osculati, America equatoriale.) Claude d’Abbeville lui donne le nom d’Ourüraourü.
[58] Alors on fit dire par tous les vilages de l’isle et de la province de Tapouytapere. p. 15.
Ce nom de lieu déjà cité, reviendra fréquemment. Le vaste territoire qu’on désigne encore au Maranham sous la dénomination de Tapuytapera est réparti aujourd’hui entre les comarcas d’Alcantara et de Guimaraens. Il renfermait jadis onze Aldées indiennes. Cumá était la plus considérable de toutes. Tapouytapère est à environ 40 lieues de San Luiz. Selon M. Martius ce nom s’expliquerait par cette courte périphrase : habitation des indiens ennemis. Voy. le volume intitulé : Glossaria linguarum brasiliensum. Erlangen, 1863, in-8. On trouve placés à part, dans ce recueil, les noms de lieux, comme ceux des végétaux et du règne animal.
[59] Qui du depuis furent couvertes de gros et grands Aparituries. p. 15.
L’Apariturier ou Apariturie, qui fournit de si heureuses comparaisons au P. Yves, est simplement le Manglier (Rhyzophora Linn.). Cet arbre des rives américaines, si utile à l’industrie, forme en effet de vastes forêts maritimes dans le Maranham et sur toute la côte du Brésil, aussi bien que sur celle du pays de Venezuela. On a détruit avec beaucoup trop de promptitude ces arbres, dans une foule de localités, et nous avons entendu attribuer même l’invasion récente de la fièvre jaune à la destruction systématique de ce végétal charmant, qui égaye de sa verdure tous les rivages brésiliens. En tombant sous le fer du cultivateur, il laisse à découvert des plages boueuses, habitées par des myriades de crabes, et d’où s’échappent des effluves paludéennes de la pire espèce. Il y a au Brésil deux espèces de Mangliers, le mangue branco et le mangue vermelho. Nous renvoyons pour leur description scientifique à Aug. de St. Hilaire. Nous supposons que le vieux mot employé ici par le P. Yves vient du verbe parere enfanter, parce que cet arbre se reproduit par les racines qu’il jette en arcades autour de lui. (Voy. dans nos scènes de la nature sous les tropiques, l’effet du manglier dans le paysage.)
[60] Il y en a de trois sortes. p. 18.
La fâcheuse lacune qui existe ici, permet cependant de reconnaître qu’il s’agit des tortues du Maranham. On prépare au Pará, avec les œufs de ce Chelidonien, ce qu’on appelle la manteiga de Tartaruga ou beurre de Tortue. Il s’en exporte une quantité prodigieuse.
[61] Parmy ces forests il y a une telle multitude de cerfs biches, chevreils, vaches braves. p. 19.
Dans cette énumération assez complète des quadrupèdes qu’on pouvait se procurer à la chasse, un nom frappera naturellement le lecteur, c’est celui de vache brave. Il eût été possible, rigoureusement parlant, que les rives du Mearim eussent reçu quelques individus de la race bovine, introduits déjà depuis longtemps dans la province de Pernambuco : Claude d’Abbeville est même explicite sur ce point. Mais ce n’est pas ce qu’a voulu dire notre bon missionnaire ; la vache brave ou brague, comme il est dit autre part, est le Tapir ou Tapié, selon Montoya : animal fort commun alors d’une extrémité du Brésil à l’autre. Pour le désigner les Espagnols et les Portugais se servaient d’une dénomination empruntée aux maures. Ils l’appelaient aussi Anta ou Danta qui signifie, dit-on, buffle. Lorsque les Américains à leur tour eurent à imposer un nom au bœuf, ils l’appelèrent Tapir-assou. M. Martius fait observer avec raison que le mot s’applique dans la lingoa geral à tout gros mammifère. Ce pachyderme étant le plus gros animal connu de l’Amérique du sud, sa chasse fut bientôt en honneur chez les Européens et il disparut, en grande partie du moins, des lieux où il était le plus répandu. Dans certaines contrées de l’Amérique c’était un animal sacré. A ce titre même, il figure sur divers monuments. Au Brésil les indigènes cherchaient à se le procurer, non-seulement à cause de sa venaison, mais surtout en raison de l’épaisseur de son cuir, dont ils fabriquaient des boucliers, et que ne pouvaient traverser des flèches armées le plus ordinairement d’une pointe aiguë de bois ou d’un roseau affilé. Jean de Lery avait rapporté du Brésil en France, plusieurs de ces rondaches, elles ne parvinrent pas jusqu’en Europe. Une effroyable famine, due à une traversée de cinq mois, obligea le pauvre voyageur à s’en nourrir après les avoir fait ramollir dans l’eau. Ceux de nos lecteurs qui voudront des détails intéressants et exacts sur le Tapir américain, les trouveront dans une excellente dissertation consacrée spécialement à cet animal, elle est due au docteur Roulin bibliothécaire de l’institut. On lit dans le Glossaire de M. Martius une synonimie étendue se rapportant au Tapir. (Voy. p. 479.)
[62] Ils se mirent à chercher les Tabaiares. p. 19.
Il est bien certain que les Indiens de cette tribu se tournèrent contre les Français. Il y a dans l’histoire de cette expédition, un fait qui n’a pas été suffisamment remarqué : C’est que le plus fameux des capitaines indiens, dont le Brésil ait gardé la mémoire, fit ses premières armes au Maranham, durant l’occupation des Français. Le fameux Camarão (la Crevette), le grand chef ou Morobixaba des Tabajares, commandait à 30 archers, durant la lutte qui s’établit entre la Ravardière et Jeronymo d’Albuquerque. Convoqué par le gouvernement portugais pour prendre part à cette guerre, il partit de Rio-grande do Norte où se trouvait son Aldée et se rendit au Presidio de nossa senhora do Amparo, dans le Maranham le 6 septembre 1614. Son frère nommé Jacauna, le suivit ; avec un fils qui n’avait pas plus de 18 ans et qui portait le même nom que lui. Bien des années après, Camarão, qui avait appris la guerre à si bonne école acquit un renom immortel dans les fastes du Brésil, en contribuant à l’expulsion des Hollandais. (Voy. Memorias para a historia da capitania do Maranhão. Cette narration historique a été insérée dans les Noticias para a historia e geografia das Nações ultramarinas.
[63] Un gentilhomme du mesme voyage m’a raconté avoir tué trois sangliers d’un coup de mousquet. p. 19.
Il n’y a pas de véritables sangliers au Brésil et l’on ne peut donner ce nom aux Pecaris ou Tajassús (appelés par les habitans Porcos do Matto). La prouesse du gentilhomme n’a rien d’extraordinaire, parce que les pecaris marchent toujours en troupes nombreuses et que le gros plomb suffit pour les tuer. Martius a donné la synonimie complète de cet animal dans ses Glossaria linguarum brasiliensium. (Voy. la division Animalia cum Synonimis p. 477.)
[64] Ils trouverent des Aioupaues. p. 19.
Un ajoupa est une petite cabane couverte en feuillage et qui se trouve ouverte à tous les vents. Ce mot est encore fort usité dans nos établissements de la Guyane. On voit des représentations d’ajoupas dans Barrère.
[65] Aussitost que cette armee fut retournée de Miary, l’on parla chaudement de faire dans peu de temps le voyage des Amazones. p. 20.
Dès l’année 1542, l’embouchure du grand fleuve avait été explorée par Alphonse le Xaintongeois. (Voy. le ms. original de son voyage à la bibliothèque impériale de Paris.) Jean Mocquet, chirurgien français garde des curiosités de Henri IV, avait visité ses rives. (Voy. le ms. de sa relation à la bibliothèque Ste. Geneviève.) Enfin la Ravardière avait poussé jusque-là une première reconnaissance. Jean Mocquet est tout-à-fait explicite touchant le mythe des Amazones, qui a tant occupé La Condamine et l’illustre de Humboldt. Il tenait tout ce qu’il rapporte de ces femmes belliqueuses, d’un chef nommé Anacaioury. Ce personnage ou peut-être son homonyme, figure comme on le verra bientôt dans Yves d’Evreux. Il commandait à une nation d’Oyapok ou d’Yapoco. Mocquet annonce à ses lecteurs qu’il ne put aller visiter les Amazones comme il le désirait « à cause que les courants sont trop violens pour les vaisseaux et mesme pour son navire et patache qui tiroit desja assez d’eau ».
Tous ces récits sur le grand fleuve avaient laissé en France des impressions si durables, que le comte de Pagan conviait Mazarin quarante ans plus tard, à reprendre des projets oubliés. Pour conquérir l’Amazonie, il veut que l’on s’unisse aux Indiens. Selon lui, le cardinal doit rechercher l’alliance « des illustres Homagues (les Omaguas), des généreux Yorimanes et des vaillants Topinambes. » Jamais certes nos sauvages n’avaient reçu de si pompeuses dénominations !
Il serait bien curieux de retrouver le récit de l’expédition exécutée sur les rives de l’Amazone en 1613, il avait été fait par ordre de la Ravardière et l’on en possédait encore une copie au temps de Louis XIII.
[66] Premierement les femmes et les filles s’appliquent à faire leurs farines de guerre. p. 22.
Gabriel Soares entre dans les détails les plus minutieux touchant la manière dont les Indiens fabriquaient cette farine, dont ils formaient de grands approvisionnements. L’espèce de manioc désignée sous le nom de Carima en faisait la base. Cette racine était d’abord desséchée à un feu doux, et après l’avoir rapée, on la pilait dans un mortier, puis on la blutait bien et ou la mêlait en certaine quantité avec l’autre espèce de manioc, au moment où l’on devait la torréfier. On lui donnait un degré de siccité extrême, et elle se conservait beaucoup plus longtemps que l’autre. On aura du reste, sur cette industrie agricole des aborigènes du Brésil, tous les renseignements désirables dans le Tratado descriptivo do Brasil, p. 167. M. Auguste de Saint Hilaire a dit avec raison que l’exploitation du manioc avait tiré la plupart de ses procédés de l’économie domestique des Tupis ; il a résumé en même temps, de la façon la plus concise et la plus habile, ce qu’il y avait à dire sur la culture de la plante (Voyage dans le district des Diamants et sur le littoral du Brésil. T. 2, p. 263 et suiv.).
[67] Ces canots de guerre, sont quelquefois capables de porter deux ou trois cents personnes. p. 23.
Gabriel Soares est tout-à-fait d’accord ici avec notre missionnaire. Les grands canots, dont il est question, s’appelaient Maracatim parce qu’ils portaient un Maraca protecteur à leur proue. Le mot iga désignait un canot simple, Jgaripé un canot d’écorce, etc. etc. (Voy. à ce sujet Ruiz de Montoya, Tesoro, à la p. 173.)
[68] Sur les reins ils ont une rondache faite de plumes de la queüe d’Austruche. p. 23.
André Thevet, et après lui Jean de Lery, ont représenté avec exactitude ce genre d’ornement, que le dernier de ces voyageurs nomme Araroye. Il était réservé au P. Yves de nous faire connaître sa valeur symbolique.
[69] Ce mot d’Amazone leur est imposé par les Portugais et Français. p. 26.
Le curieux récit de l’Indien, confirme l’opinion émise par Humboldt, qu’il a bien pu se trouver jadis quelques femmes lasses du joug que leur faisaient subir les hommes et se vouant à la vie guerrière. Il cadre également avec les traditions recueillies par La Condamine. — Soixante ans environ avant le P. Yves, le cordelier André Thevet n’est pas éloigné de voir dans ces Sauvages américaines, des descendantes directes de l’armée féminine commandée par Pentesilée ! Humboldt a dit avec raison que le mythe des Amazones appartenait à tous les siècles et à tous les cycles de civilisation.
[70] Il fut affectionnement prié par tous les principaux de ce pays là d’aller faire la guerre aux Camarapins gens farouches. p. 27.
Cette nation n’est pas indiquée dans le Diccionario topographico, historico, descriptivo, da Comarca do Alto Amazonas. Recife, 1852, 1 vol. in-12. Nous ne l’avons pas non plus trouvé mentionnée dans la longue nomenclature de la Corografia paraense d’Accioli de Cerqueira e Silva. Elle doit être éteinte ; Martius n’en fait pas mention dans ses noms de lieux et de nations, qui forment une division du Glossaire publié récemment.
[71] Comma, p. 27.
Sous cette dénomination qui revient si fréquemment, on ne désignait pas seulement un grand village au-delà de Tapouytapère ; c’était aussi le nom d’un vaste territoire et d’une rivière. Selon le P. Claude, Comma signifie la place propre à pêcher du poisson ; nous doutons fort que cette explication soit exacte. On cherche vainement Comma dans le Glossaire de Martius publié en 1863.
[72] La riviere des pacaiares et de là en la riviere de Parisop. p. 27.
Casal, le Dictionnaire du haut Amazone, et Accioli se taisent également, sur ces fleuves, qui reçurent une armée de deux mille hommes ! Martius signale une nation des Pacajaz ou Pacaya dans le Pará. (Voy. Glossaria linguarum p. 519.)
[73] Et les mena au lieu des ennemis, lesquels demeuroient dans les Iouras. p. 28.
Cette courte description d’habitations aériennes construites sur des mangliers, et sur des troncs de palmiers murichy, rappelle un fait des plus curieux, qu’on a jadis rangé parmi les fables et qui figure dans la Relation de Walther Ralegh. Il est bien certain qu’on a pu mettre quelque exagération dans les premiers récits, mais que le fait en lui-même est de la plus grande authenticité. Il a lieu encore aux bouches de l’Orénoque. Les Waraons visités il y a près d’un siècle par le docteur Leblond, les Guaraunos que décrit le savant Codazzi, sont un seul et même peuple, que son étrange manière de vivre a sauvé d’une entière destruction. Les Camarapins, dont nous venons de constater la disparition furent moins heureux. On peut consulter sur les Indiens des Iouras l’extrait que nous avons donné jadis des manuscrits dans lesquels le médecin français a constaté son séjour chez les Waraons. (Voy. la Guyane, 1828, in-18.) Codazzi dont on connaît les beaux travaux géographiques, citait encore en 1841, les Guaraunos, comme n’ayant pas complétement abandonné leurs maisons aériennes. Il y a vingt ans tout au plus, ils venaient trafiquer avec les habitans de la Trinidad. (Voy. Resúmen de la Geografía de Venezuela. Paris, 1841, in-8.) Agostino Codazzi est mort dernièrement. Quant aux mss. de Leblond, que nous avons eus à notre disposition jadis, ils faisaient partie de la collection de voyages possédée en 1824 par l’éditeur Nepveu.
[74] Et premierement d’un plaisant et rusé sauvage appelé Capiton. p. 30.
Ce personnage portait une dénomination toute portugaise, et il était dévoué à la nation dont il servait les intérêts. Le titre de Capitão a été promptement accepté du reste, par les chefs de la race indienne.
[75] J’ay faict mourir le pere qui est mort et enterré à Yuiret, où demeure le pay ouassou le grand pere auquel j’ay envoyé tous les maux qu’il a. p. 31.
Ce sauvage fanfaron, se vantait d’avoir fait mourir le P. Ambroise résidant à Yuiret, qu’il faut prononcer Ieuiree, selon Claude d’Abbeville, qui indique en même temps l’étrange signification de ce nom. Le pay ouassou, le grand père, est Yves d’Evreux. Nous ferons observer à ce sujet que le mot Pay signifie père en Portugais. Pay guaçu de l’avis même de Ruiz de Montoya signifie évêque, prélat en Guarani. Le nom de Pay fut d’autant plus promptement adopté par les Indiens qu’il avait une plus grande analogie avec celui qui désigne les gens graves ; les sorciers hechizeros, pour nous servir de la propre expression du lexicographe espagnol. Dans la lingoa geral, modification du Guarani, Pay signifie père, moine, et seigneur. Pay Abaré Guaçu était la désignation des Prélats et des Jésuites. Les Indiens nomment encore le pape Pay’ abaré oçú eté.
[76] Ah que j’ay de peur grandement ô que les Topinambos sont méchants. p. 32.
Nous ne saurions dire pourquoi le missionnaire modifie l’orthographe d’un nom de peuple, qu’il a si souvent présentée d’une autre façon. Claude d’Abbeville écrit Topynambas ; l’auteur de la somptueuse entrée Toupinabaulx, Hans Staden Topinembas, et enfin Jean de Lery les appelle Tououpinambaoults. Malherbe adoucit le mot en écrivant Topinambous. Ce fut cette dernière orthographe qui prévalut au temps de Louis XIV. Nous sommes revenus à celle adoptée par les Brésiliens.
[77] Or ces Portugaiz avoient avec eux des Canibaliers Sauvages. p. 34.
Par le mot si vague, qu’emploie ici le P. Yves, nous supposons qu’il prétend désigner des peuples plus sauvages encore que ne l’étaient les Tupinambas, ou se livrant d’une façon plus déterminée à l’anthropophagie. On trouvera dans les œuvres de M. de Humboldt une curieuse définition du mot Canibale. Nous ferons remarquer que cinquante ans auparavant l’époque à laquelle écrivait le P. Yves, on désignait plus spécialement ainsi les Indiens rapprochés de l’équateur. On lit dans l’histoire de la France antarctique d’André Thevet à propos du bois de teinture : « Celui qui est du costé de la rivière de Ianaïre est meilleur que l’autre du costé des Canibales et toute la coste de Marignan » (p. 116 au verso), et plus loin : « Puisque nous sommes venuz à ces Canibales nous en dirons un petit mot, or ce peuple depuis le Cap St. Augustin et au-delà jusques près de Marignan est le plus cruel et inhumain qu’en partie quelconque de l’Amérique. Cette canaille mange ordinairement chair humaine comme nous ferions du mouton » (p. 119).
[78] Nous fusmes inquietez l’espace d’un bon mois de mille rapports, tant des Sauvages qui habitoient pres de la mer, que des François residans aux forts qu’ils oyoient fort souvent tirer des coups de canon du costé de l’islette St. Anne et du costé de Taboucourou. p. 34.
Ce fut en effet sur les bords de l’Itapecurú que les Portugais se présentèrent. Claude d’Abbeville dit quelques mots de ce beau fleuve, mais il en exagère le cours. Nous sommes si peu au fait de la géographie de ces contrées, qu’Adrien Balbi se contente d’introduire son nom dans les tableaux qu’il a dressés des fleuves du Maranham. Mais quels prodigieux changements se sont opérés sur ses rives depuis l’époque où notre bon moine le nommait en altérant son nom. A la place du ces forêts, où erraient jadis les Tymbiras, on cultive le maïs, le manioc, le sucre, le tabac, le coton, et la récolte de cette dernière production est si abondante, qu’elle monte pour deux districts seulement à plus de 35,000 sacs.
Les villes les plus importantes qui s’élèvent sur ce fleuve ne sont pas même connues de nom en France et figurent à peine dans nos livres de géographie. Qui a entendu parler par exemple de la petite cité de Caxias, la riante patrie de Gonçalvez Dias. C’est cependant une ville riche et commerçante, que l’on rencontre sur les bords de l’Itapecurú à soixante lieues de la capitale. Ce n’était en 1821, qu’une bourgade de 2400 âmes environ et aujourd’hui, son accroissement a été si rapide, qu’on lui accorde au-delà de 6000 habitans. Caxias est le centre du commerce qui se fait avec la vaste province du Piauhy et avec les immenses solitudes peuplées de troupeaux qu’on désigne sous le nom de Sertão. Plantée pour ainsi dire dans le désert, elle a des écoles florissantes, un théâtre, des établissements d’utilité publique, qu’on ne rencontre pas toujours dans des villes plus considérables. Le nom de Caxias a d’ailleurs une signification politique au Brésil. Ce fut là, qu’en 1832, sur le morne de Alecrim, fut livrée la bataille à l’issue de laquelle se consolida l’indépendance de la province. Plus tard, sur la colline même qui portait le nom indien das Tabocas eut lieu le combat sanglant, où fut vaincu Fidié et qui inspira des vers si énergiques à Gonçalvez Dias. Il faudrait des volumes pour exposer même sommairement les perturbations qui suivirent cet événement et les luttes orageuses qui se continuèrent dans ce coin ignoré du monde jusqu’en 1848, époque à laquelle le docteur Furtado sut réprimer le brigandage qui désolait la cité naissante. La nature elle seule est grande dans ces régions, 20,000 habitans tout au plus forment la population de ce vaste municipe effleuré à peine par l’agriculture. A la distance où nous sommes d’ailleurs, ces révolutions si longues à raconter, nous font l’effet de celles du moyen-âge qu’enregistre parfois l’histoire locale, mais qu’elle oublie pour ainsi dire aussitôt parce que ces événements ne se lient à aucun des grands intérêts dont le monde se préoccupe. A plus juste raison encore on pourrait appliquer ce que nous disons à villa de Codó, la bourgade la plus florissante de la province après Caxias ; comme elle, elle est baignée par l’Itapecurú, et comme elle un espace de soixante lieues la sépare de la capitale.
[79] Il faudroit qu’ils plantassent des croix pour chasser Giropary. p. 37.
Cette dénomination du mauvais principe, acceptée durant tout le courant de leur publication, par Yves d’Evreux et par Claude d’Abbeville, semble appartenir plus spécialement au nord du Brésil. Martius écrit Jurupari ou Jerupari. Anhánga paraît avoir été plus usité dans le sud. Le Tesoro de la lingoa Guarani, ne renferme pas la signification du mot Giropari. Angaí dans ce précieux dictionnaire, désigne le mauvais esprit. Anhanga aujourd’hui ne signifie plus qu’un fantôme. (Voy. Gonçalvez Dias, Diccionario da lingoa Tupy.)
[80] Ces peuples estoient appelés par les Tapinambos Tabaiares, auparavant qu’ils se fussent reunis. p. 39.
Tabajares, ne signifie nullement ennemi, mais bien les seigneurs de l’Aldée. (Voy. Adolfo de Varnhagen, Historia geral do Brazil, T. 1 ; — Accioli, Revista do Instituto.)
[81] Les François les appellent pierres vertes. p. 39.
La dénomination adoptée au XVIIe siècle par nos compatriotes venait indubitablement de l’habitude où étaient ces Indiens de se percer la lèvre inférieure et même les joues, pour y introduire des disques de jade, travaillés avec beaucoup de patience, et qu’ils regardaient comme leurs joyaux les plus précieux. (Voy. sur l’usage de se percer la lèvre inférieure chez les Américains du sud, notre série d’articles insérée avec de nombreuses gravures dans le Magasin pittoresque. T. 18, p. 138, 183, 239, 338, 350, et 390.)
[82] Miarigois, c’est-à-dire gens venus de Miary. p. 39.
Miarigois est un nom évidemment forgé par notre bon missionnaire. Rabelais n’eut pas mieux inventé. Les Miarigois n’étaient autres que des Tupinambas qui s’étaient fixés sur les bords fertiles de ce Miary, que Cazal prétend avoir donné son nom à la province. Le Mearim qui offre un cours de 166 lieues n’est navigable que durant l’hivernage, les grands canots ne peuvent le remonter alors que jusqu’à 60 lieues, il prend naissance dans la Serra do Negro et Canella par les 8° 2′ 23″ de lat. et les 2° 21′ de long., comptés depuis l’île de Villegagnon (baie de Rio de Janeiro).
[83] Les Tapouis font grand estat de ces pierres. p. 40.
Le mot Tapuya ou Tapouy a soulevé de grandes discussions, est il le nom d’un peuple ? (Voy. le Dictionnaire de Gonçalvez Dias.) Signifie-t-il ennemi ? Ruiz de Montoya se tait sur ce point. Faut-il en faire une nation distincte de celle des Tupis, à laquelle ces derniers auraient imposé ce nom. Un écrivain, qui fait autorité, M. Accioli, ne semble pas hésiter à ce propos. Lorsqu’il a énuméré les principales divisions de la race Tupique, il dit : « Une autre nation générique, celle des Tapuias se subdivise conformément à l’opinion d’un grand nombre en peuplades parlant près de cent langues tels sont : les Aymorés, les Potentús, les Guaitacás, les Guaramonis, les Guaregores, les Jaçarussús, les Amanipaqués, les Payeias et un grand nombre d’autres. » (Voy. le T. XII de la Revista trimensal. Dissertação historica ethnographica e politica sobre quaes eram as tribus aborigenes, etc. p. 143.)
[84] Les battre c’est autant que les tuer. p. 45.
Ce mot était devenu proverbial aux îles et à la Guyane.
[85] Tu ne m’a pas mis la main sur l’espaule en guerre. p. 45.
Hans Staden fait prisonnier par les Tupinambas en 1550 au sortir du fort de Bertioga suscite une grande discussion, lorsqu’il faut savoir définitivement quel est celui qui l’a touché le premier. (Voy. la Collect. Ternaux Compans.)
[86] Ybouira Pouïtan, c’est-à-dire l’arbre du Bresil. p. 54.
Ce nom de chef n’a rien d’extraordinaire, mais il faut écrire Ibira Pitanga pour plus d’exactitude. (Voy. Ruiz de Montoya.) Lery écrit Araboutan, Thevet Oraboutan. Ce bois célèbre disparaît chaque jour davantage des grandes forêts où l’allaient chercher nos ancêtres.
[87] Chacun l’environnoit pour l’escouter quand il alloit au Carbet. p. 55.
C’est un Tabajara qui parle, mais nous ferons observer que le mot Carbet n’appartient pas à la lingoa geral. Le P. Ruiz de Montoya ne l’a pas inséré dans son précieux Tesoro de la lingua Guarani. Il est plus particulièrement en usage parmi les Galibis et d’autres peuples de la Guyane. Le voisinage de notre colonie se fait sentir dans le récit du P. Yves, rien que par cette expression. Il faut faire une certaine différence entre les Carbets et les Ocas ou Tabas, qui constituaient l’architecture rudimentaire des autres peuples du Brésil. Ecoutons à ce sujet le P. du Tertre : « Au milieu de toutes ces cases, ils en font une grande commune qu’ils appellent Carbet, laquelle a toujours 60 ou 80 pieds de longueur et est composée de grandes fourches hautes de 18 ou 20 pieds, plantés en terre. Ils posent sur ces fourches un latanier ou un autre arbre fort droit qui sert de faist, sur lequel ils ajustent des chevrons qui viennent toucher la terre, et les couvrent de roseaux ou de fuëilles de latanier, de sorte qu’il fait fort obscur dans ces Carbets, car il n’y entre aucune clarté que par la porte, qui est si basse qu’on ne sauroit y entrer sans se courber. »
Les détails que nous venons de donner ici sont empruntés à un ouvrage qui date de l’année 1643, et ils se rapportent plus spécialement à l’architecture rustique des Caraïbes insulaires. Nous avons choisi cet exemple à peu près contemporain du livre publié par notre auteur, parce qu’il n’y avait pas en réalité de notables différences entre les Carbets des îles et ceux du continent. Si l’on faisait une histoire de ces cases de feuillage si promptement élevées, on pourrait en constater néanmoins certaines variétés, selon les usages auxquels on les destinait. (Voy. à ce sujet, le voyage pittoresque au Brésil de Debret, puis les gravures du livre d’André Thevet, publ. en 1558.) Il y avait les petits et les grands Carbets, ceux où les Piayes faisaient leurs jongleries, et ceux où se tenaient les grands conseils. Ces derniers affectaient la forme d’un de nos vastes hangars, et pouvaient contenir jusqu’à 150 ou 200 guerriers. Au XVIIe siècle, dans le langage de nos colonies, parmi les îles ou sur le continent, tenir un conseil quelconque, c’était Carbeter ; le terme était consacré et se trouve dans tous les voyageurs. (Voy. entre autres Biet, Voyage de la France équinoxiale. Paris, 1654, in-4.)
[88] Il alla de ce pas au fort, accompagné d’un des principaux truchemens de la compagnie nommé Migan. p. 60.
David Migan était Dieppois et comme tant de Normands de la fin du XVIe siècle, il était venu chercher fortune parmi les sauvages du Brésil. Les chefs de l’expédition le trouvèrent établi depuis nombre d’années à Jupanaran, sur l’île de Maranham. C’était dans l’étendue du mot, un truchement de la Normandie et dieu sait de quelle réputation jouissaient ces interprètes, dans ce qu’on appelait alors le monde civilisé. On allait jusqu’à les assimiler aux sauvages, dont ils partageaient disait-on parfois les odieux festins. David Migan eut les honneurs du Mercure français. (Voy. T. 3, p. 164.) Il revint en France avec Rasilly, auquel il était particulièrement attaché, lui seul était en état de bien traduire à la reine la longue harangue d’Itapoucou. Nous ferons remarquer en passant qu’il a apposé sa signature, dans la cession que la Ravardière faisait de ses droits à François de Rasilly. Cela indique sans aucun doute qu’il jouissait d’une considération exceptionnelle. Le nom de Migan toutefois nous paraît être un nom de guerre, ce mot en langue tupique, désigne l’épaisse bouillie que l’on faisait avec la farine de manioc. Malherbe qui se trouvait aux Tuileries lors de la présentation des Indiens fait remarquer l’habileté de cet homme. Il y avait un autre interprète nommé Sébastien, qui avait été attaché à la personne d’Yves d’Evreux.
[89] Un jour quelques uns me disoient qu’il falloit que nous fussions bien pauvres de bois en France et qu’eussions grand froid, puisque nous envoyons des navires de si loing à la mercy de tant de perilz querir du bois de leur pays. p. 70.
Il est infiniment curieux de trouver au Maranham en l’année 1612, un sauvage faisant absolument le même raisonnement au P. Yves, que celui auquel était obligé de répondre Jean de Lery en 1556 : « Que veut dire que vous autres Maïr et Peros (c’est-à-dire français et portugais) veniez quérir de si loin du bois pour vous chauffer ? N’en y a-t-il point en vostre pays ? » (Voy. Histoire d’un voyage en la terre du Brésil. Rouen, 1578, in-8.)
[90] Ils sont fort patiens en leurs miseres et famine jusques à manger de la terre. p. 76.
M. de Humboldt a décrit longuement la région des Otomaques et les amas considérables de terre, que font ces Indiens pour s’en nourrir, à l’époque où la chasse et la pêche leur font défaut. Selon le grand voyageur, cette terre séchée au soleil et formant des pyramides de boulettes rangées symétriquement, n’est si recherchée par les Sauvages, qu’en raison des particules animalisées qui la rendent nutritive. Le P. du Tertre prouve que les Indiens des îles étaient géophages comme ceux du continent, mais il suppose que c’était uniquement par une aberration du goût. « Tous mangent de la terre, aussi bien les mères que les enfants, dit-il, la cause d’un si grand déréglement d’apétit ne peut procéder à mon avis, que d’un excès de mélancolie. » (Hist. nat. des Antilles, habitées par les Français. T. 2. p. 375.) Non loin des régions que décrit le P. Yves, sur les bords du Rio Ucayale, on rencontre encore les indiens Pinacos, dont le véritable nom est Puynagas. Ces Indiens dédaignés par leurs compatriotes sont d’intrépides géophages. L’un des plus curieux opuscules qui aient été publiés sur cette matière, est celui de M. Moreau de Jonnès. Il est intitulé : Observations sur les Géophages des Antilles. Paris, An VI, il n’a pas plus de 11 pages.
[91] Le second degré s’appelle Kounoumy miry petit Garsonnet. p. 79.
Dans cette énumération des divers degrés de l’enfance nous retrouvons encore l’exactitude du P. Yves ; mais il a confondu la lettre N avec la lettre R ; le mot enfant s’écrit dans les glossaires brésiliens : Curumîm. (Voy. Gonçalvez Dias, Diccionario da lingua Tupy. Leipzig, 1858, in-12.)
[92] Elles sont donnees en mariage, et alors elles portent le nom de Kougnanmoucou-poire. p. 88.
M. Gonçalvez Dias désigne sous le nom de Cunhã mucú la jeune vierge. (Voy. Diccionario.)
[93] Il se couche pour faire la Gésine au lieu de sa femme. p. 89.
Cet usage étrange dont parlent tous les vieux voyageurs du XVIe siècle, ne s’était pas, comme on voit, encore modifié. On ne le retrouve pas seulement chez les Caraïbes des îles, il est en vigueur chez plusieurs peuples de l’Europe et notamment chez les Basques, on le désignait jadis sous le nom de la Couvade. Les mélanges historiques publiés à Orange en 1675, contiennent d’intéressantes recherches à ce sujet : « C’estoit, y est-il dit, une assez plaisante coutume que celle qui s’observoit dans le Bearn. Lorsque une femme estoit accouchée, elle se levoit et son mary se mettoit au lit, faisant la commère. Je crois que les Bearnais avoyent tiré cette coutume des Espagnols, de qui Strabon dit la même chose au 3e livre de sa géographie. La même coutume se pratiquait chez les Tibaréniens, au rapport de Nimphodore, dans l’excellent scholiaste d’Apollonius le Rhodien, liv. 2 et chez les Tartares suivant le témoignage de Marc Paul au chapitre 41 du 2e livre. » Cette conduite si bizarre qu’on ne saurait expliquer lorsqu’on n’est point descendu assez profondément dans les replis cachés du caractère indien, était religieusement suivie par les guerriers Tupinambas les plus forts et les plus renommés ; elle fait sourire l’homme civilisé, qui en cherche naturellement l’origine. Elle devient touchante, pour ainsi dire, si l’on fait attention qu’elle est toujours accompagnée des plus cruelles privations. Non-seulement l’Indien qui vient d’être père et qui se condamne volontairement à ce repos ridicule, ne mange pas, mais il s’impose encore d’autres supplices ; le tout, dans le but d’éviter au petit être qui vient de naître certains maux qu’il redoute pour lui. Par suite de son ignorance, et de ses idées superstitieuses, il s’attribue sur l’enfant une influence physiologique illusoire et il brave stoïquement de grandes souffrances pour en épargner quelques-unes au nouveau-né. L’homme policé des villes médiocrement éclairé parfois, se garde bien d’interroger les idées pleines de dévouement, mobiles du Sauvage ; avant de juger sa conduite il rit de pitié. La compagne de l’Indien, cependant partage son étrange superstition, et elle approuve son mari. Elle se résigne même sans murmure à de vraies douleurs et à un nouveau travail parfois tres-rude puisque tout le poids du ménage retombe forcément sur elle. Dans la pensée de cette pauvre créature le salut du nouveau-né est attaché à la conduite stoïque que tient son mari. Nous ne saurons jamais quel était le mobile qui conduisait les anciens lorsqu’ils s’abandonnaient à ce repos bizarre, il ne différait point probablement de celui qu’on accorde aux Américains. Carli dont l’ingénieuse érudition explique tant de choses de l’antiquité américaine n’essaye même pas de chercher un motif à ce qu’il trouve si burlesque. Il se trompe certainement lorsqu’il affirme qu’on apportait des aliments abondants à ces solitaires. (Voy. Lettres Américaines. Boston et Paris, 1788, T. 1, p. 114.) Il est bon toutefois de lire avec précaution la version française de ce curieux passage ; le traducteur français le Febvre de Villebrune n’a pas su rendre aux expressions italianisées par l’auteur leur valeur réelle. Antoine Biet est plus juste à l’égard des Indiens et il se montre bien moins enclin que ses prédécesseurs à la raillerie, lorsqu’il décrit la Couvade chez les Galibis. Il l’avoue, le pauvre Indien « Jeusne étroitement pendant six semaines ne mangeant que fort peu, d’où vient que quand sa couche est faite, il se leve maigre, comme une squelette (sic). » Le même voyageur nous fait voir son patient Galibi, ne quittant pas le Carbet et n’osant pas même lever les yeux sur ceux qui l’environnent. (Voyage de la France équinoxiale, liv. III, p. 390)
En décrivant les coutumes de certains Caraïbes, l’auteur de l’histoire morale des Antilles ne pouvait oublier la Couvade. Rochefort en raconte les circonstances et il spécifie son analogie avec une cérémonie à peu près identique dont il avait été témoin dans une province de France. Ce repos forcé de l’Indien, lui paraît souverainement absurde, mais il ne dénie pas au pauvre patient le mérite du jeûne, il avoue qu’on ne lui donne rien de toute la journée, qu’un petit morceau de Cassave et un peu d’eau. (Voy. L’histoire morale, p. 494.) Nous ne pousserons pas plus loin ces citations, il suffira de dire qu’en ce qui touche les peuples du Brésil, les Tupiniquins, les Tupinacs, les Tabajares, les Petiguaras et bien d’autres tribus imitaient les Tupis. Cette nomenclature n’ajoute rien d’ailleurs au fait en lui-même. Ce qu’il importait ici de faire ressortir c’était l’amour paternel de l’Indien. On restitue ainsi à la plus bizarre des coutumes l’origine réelle qu’elle doit avoir.
[94] Grand-peres qu’ils appellent Tamoins. p. 91.
Tamoi veut dire grand-père dans la langue des Tupinambas ; il y a ici altération du mot produite par une différence dans la prononciation. On lit dans le Tesoro de la lingua Guarani base de la lexicographie brésilienne Tamôî, abuelo, Cheramôî, mi abuelo, Cherúramôîruba, mi bisabuelo, Cherúramôî, el abuelo de mi padre, etc. Les Tamoyos avaient donc par leur origine une réelle prééminence sur les autres tribus appartenant à la même race. Vers le milieu du XVIe siècle ils habitaient les alentours de Nicteroy, ou si on l’aime mieux les environs de Rio de Janeiro. Alliés fidèles des Français, ils furent chassés de ce beau territoire par Salema, et les débris de leurs tribus descendirent vers les régions du nord, où ils retrouveront leurs anciens amis, qui s’étaient réfugiés surtout dans les campagnes du Maranham.
[95] J’ay mis cy-dessoubs la forme et maniere ordinaire de leur pour parler qui est tel. p. 96.
L’espèce de vocabulaire, que donne ici notre missionnaire, n’est pas d’une importance médiocre. Les lecteurs français peu familiarisés avec la philologie américaine dédaigneront sans doute ce recueil de phrases, procédant d’une langue sur laquelle s’est égayé Boileau ; il n’en sera point de même, dans un vaste Empire, où les lettres sont aujourd’hui en honneur. Il y a longues années déjà que l’auteur de l’histoire générale du Brésil a fait ressortir l’importance de l’étude des langues indigènes dans un mémoire inséré parmi les actes de l’Institut historique de Rio de Janeiro (août 1840). Si le P. Anchieta, auquel on doit la première grammaire connue de la lingoa geral ne parlait pas du Tupi sans une sorte d’enthousiasme, si Figueira l’a imité dans sa naïve admiration, Laet en s’abstenant de ces formes admiratives, a vanté son abondance et sa douceur. En cela il a été suivi par Bettendorf. On peut dire néanmoins que de tous ces écrivains, c’est le P. Araujo, qui a fait le mieux saisir son importance, au point de vue philosophique. « Comment se fait-il, dit quelque part ce religieux, que les peuples par qui elle a été parlée, ayant leurs idées limitées dans un cercle étroit d’objets tous nécessaires, cependant, à leur mode d’existence, aient pu concevoir des signes représentatifs d’idées, capables d’atteindre aux choses dont ils n’avaient nulle connaissance antérieurement, et cela, non pas d’une façon telle quelle, mais avec propriété, énergie, élégance, » et il ajoute aussitôt : « n’ayant aucune idée de religion, si ce n’est de la religion naturelle. Ils n’en ont pas moins trouvé dans leur propre langue des expressions pour rendre toute la sublimité des mystères de la religion de Grâce, sans rien emprunter aux autres idiomes. » On se tromperait étrangement, si l’on supposait que la langue usitée parmi les tribus nombreuses, que trouva Pedralvez Cabral au Brésil, en l’année 1500, est aujourd’hui éteinte. Non-seulement elle a laissé partout des vestiges dans la géographie du Brésil, mais on la parle dans une multitude de villages et elle a la plus étroite affinité avec ce Guarani, qui est la langue en usage dans la plus grande portion du Paraguay. Cette langue toutefois n’est plus déjà ce qu’elle était au XVIme siècle. Les idiomes des peuples sauvages se modifient comme ceux des peuples civilisés et plus encore peut-être, quand un courant d’idées nouvelles vient les détourner de leur libre allure. Le Maya, le Quiché, l’Aztèque, le Quichua, l’Aymara, ne sont plus ce qu’ils étaient du temps de Cortez, d’Alvarado, et de Pizare. Si le savant Veytia, pouvait, il y a tout près d’un siècle, constater l’énorme différence que présente le Nahuatl ancien, avec le Nahuatl, que plusieurs personnes parlaient de son temps, on doit se figurer aisément ce qui est advenu à l’égard de la langue Tupique et du Guarani moderne. Cette dernière langue, si usitée au Paraguay, n’est plus parlée dans sa pureté native, nous dit M. de Beaurepaire Rohan, que parmi les Cayuas aux sources de l’Iguatiny. Tous les livres, qui ont envisagé la vieille langue au point de vue grammatical sont donc précieux. Sous ce rapport même, il le faut bien dire, les voyages d’Hans Staden, de Thevet et de Lery, le sont plus que les relations de Claude d’Abbeville et d’Yves d’Evreux. On trouvera tous les renseignements désirables sur ce sujet dans notre opuscule publié sous ce titre : Une fête brésilienne célébrée à Rouen en 1550. Suivie d’un fragment du XVIme siècle roulant sur la Théogonie des anciens peuples du Brésil et des poésies en langue Tupique de Christovam Valente. Paris, Techener, 1850, gr. in-8.
Le savant Hermann E. Ludewig n’a pas eu connaissance du vocabulaire donné par le P. Yves ou du moins il ne le cite point. (Voy. The literature of American aboriginal languages. London, 1857, in-8.) De vastes travaux ont été entrepris du reste sur cette langue en ces derniers temps. Au premier rang nous devons nommer ceux de l’illustre Martius. Un littérateur éminent du Brésil, M. Gonçalvez Dias, qui a déjà publié à Leipzig le Diccionario da lingua Tupy (1858), est allé l’étudier de nouveau dans les forêts profondes de l’Amazonie. La philologie brésilienne va donc faire encore d’immenses progrès.
[96] Un Pagy Ouassou, c.-à-d. un grand sorcier pour les maladies et enchanteries. p. 104.
Il y a ici une lacune fâcheuse dans notre texte, puisque il est à peu près indubitable que notre voyageur allait s’étendre sur une caste qui joue avec les Morobixaba le rôle principal dans la vie civile et politique des Brésiliens. Simon de Vasconcellos, dans ses noticias do Brasil, ne laisse pour ainsi dire rien à désirer sur ce point et nous y renvoyons. Nous ferons observer toutefois, que les Piayes, Pagé ou Pagy, n’obtenaient la prodigieuse influence qu’ils exerçaient qu’en se soumettant à des épreuves et à des jeûnes tels, que leur vie se trouvait en danger, lorsqu’ils obtenaient le titre, objet de leur ambition. Depuis l’embouchure de l’Orenoque, jusqu’à celles du Rio de la Plata, ces épreuves ne variaient guère. Lorsque le récipiendaire était déjà épuisé par le jeûne, on le livrait à la morsure des fourmis, on lui ingurgitait d’abominables potions dont le jus de tabac faisait la base et parfois on l’enfumait jusqu’à ce qu’il tombât privé de sentiment. S’il résistait à ces supplices, il marchait l’égal des guerriers et l’emportait parfois sur eux.
Vasconcellos nous a laissé sur ce qu’on pourrait appeler le collége des piayes (comme on a dit le collége des druides) certains détails infiniment précieux : ils s’appliquent surtout néanmoins, aux provinces du sud. Dans le nord c’étaient les Pajes Aybas, qu’on regardait comme des sorciers, de puissants astrologues, ou si l’on veut des Tempestaires auxquels rien ne pouvait résister. Non-seulement ils tenaient les astres sous leur dépendance, mais la lune, et le soleil lui-même, obéissaient à leurs ordres ; ils déchaînaient les vents, ils soulevaient les tempêtes. Les animaux les plus terribles, tels que les jaguars et les jacarés se soumettaient à leurs ordres. Pour arriver, aux yeux du vulgaire, à ce degré de puissance, les Pajè Aybas possédaient un moyen qui n’a jamais manqué son effet ; ils avaient leur herbe aux sorciers bien autrement puissante que celle de l’Europe, qui l’est déjà beaucoup. C’était la Parica, dont le docteur Rodriguez Ferreira a laissé la description et a fait connaître les effets délétères. (Voy. les Mémoires de l’Académie des Sciences de Lisbonne.) On mâchait la Parica, on en faisait une sorte d’onguent avec lequel on pratiquait des onctions.
[97] Ils se frottent d’huyles de palme de rocon et de Junipape. p 112.
Il y a ici une légère erreur typographique que nous rectifions, il faut lire rocou. Sur toute l’étendue de l’Amérique méridionale, les tribus sauvages se teignaient la peau en rouge orangé et en noir bleuâtre au moyen du rocou, Bixia Orellana et du Genipayer (Genipa Americana). Le P. Yves parle en termes exacts, du fruit de cet arbre, qui croît en abondance au Maranham ; le jus clair et limpide qu’on en extrait, tourne au noir intense presque immédiatement après son application et garde sa fixité inaltérable même dans l’eau durant neuf jours. (Voy. ce que dit à ce sujet Humboldt, Voyage aux régions équinoxiales.)
[98] Elles ne peuvent plus voir à tirer des pieds les thons ou vers. p. 113.
Yves d’Evreux se sert ici d’une expression impropre, il désigne par le mot Thon, ce qu’on appelle le bicho do pé, niga, Pulex penetrans des entomologistes. Il serait possible néanmoins, que le mot appartînt à la lingoa geral. Il se trouve avec la même acception dans Thevet, qui a écrit en 1558. (Voy. France antarctique, p. 90.) Cet insecte est trop connu pour que nous insistions ici sur les maux dont il peut devenir l’origine. (Voy. entre autres naturalistes l’exact Auguste de St. Hilaire, Voyage dans l’intérieur du Brésil. T. 1, p. 35 et 36.)
[99] Il faut que vous croyez que ces pays sont autant fournis d’arbres medicinaux, de gommes salutaires et d’herbes souveraines, qu’aucun que soit soubs la voute des cieux. Le temps le fera cognoistre. p. 118.
La prophétie du bon père s’est complétement réalisée. Il y a peu de régions sur le globe, qui aient été explorées à un tel point au profit de la science. Outre les plantes utiles du Brésil dues au regrettable Auguste de St. Hilaire, on a aujourd’hui la Flora brasiliensis de l’illustre Martius qui a donné également la materia medica de ce vaste pays. Nous craindrions de fatiguer l’esprit du lecteur par une aride nomenclature, en accumulant ici les titres de livres spéciaux. Nous nous contenterons de faire observer que les Brésiliens ont apporté eux-mêmes leur large part à cet ensemble de travaux scientifiques. Il suffit de nommer ici les mémoires publiés en ces derniers temps par M. Freyre Allemão et l’immense recueil demeuré malheureusement imparfait, qui porte le titre de Flora fluminensis.
[100] Ceste tache est appelee par les indiens Aïpian, c’est-à-dire la mère pian. p. 120.
Cette funeste maladie, si voisine de la syphilis, si elle n’est la syphilis elle-même se trouve décrite également dans la France antarctique d’André Thevet, livre publié à Paris en 1558 (voy. à la p. 86). Jean de Lery en décrit aussi les symptômes. Il est donc évident qu’on ne saurait attribuer aux noirs de la Guinée une affection si répandue chez les Américains.
[101] Ils le devalent doucement au fond. p. 126.
Le P. Yves est ici d’une rigoureuse exactitude dans tout ce qu’il dit sur les funérailles des Indiens. Lery et Thevet se trouvent complétement d’accord avec lui. Ce dernier a donné une excellente planche représentant un Tupinamba, qu’on descend au tombeau. (Voy. p. 82 au verso.)
[102] Cosins du Petun. p. 126.
Il faut lire ici Cofins. Les Tupinambas n’omettaient point en effet dans leurs singulières prévisions une certaine quantité de tabac destinée au mort, de même qu’on lui apportait des viandes, du poisson, des racines de Cara et de la farine de Manioc. Tout ce que le P. Yves raconte dans ce chapitre est de la plus grande exactitude et l’on peut examiner sur ce sujet deux images naïves que reproduisent la France antarctique de Thevet et le Voyage de Lery.
[103] Tapouitapere, Comma et Caietez. p. 130.
Les Tapouïtapères qui empruntaient leur nom à une localité du Maranham étaient-ils les longs cheveux ? Ils appartenaient à la race Tupique, puisque Migan, l’interprète Dieppois, entendait leur langage, il en était de même des Comma, ou Indiens de la bourgade portant ce nom. Les Cahétes formaient au XVIme siècle, une nation essentiellement belliqueuse, occupant la plus grande partie du territoire de la province de Pernambuco. Ce peuple parlait la langue Tupique ou lingoa geral. On trouvera les plus curieux renseignements sur son organisation intérieure, dans le Roteiro do Brazil, ms. de la bibl. imp. de Paris. Il est reconnu aujourd’hui que ce livre si remarquable, composé en 1587, par Gabriel Soares, est le travail le plus complet qui existe sur les diverses tribus du Brésil existant encore à l’époque où vivait le P. Yves. L’Académie des Sciences de Lisbonne en avait reconnu depuis longtemps l’importance et l’avait fait imprimer dans ses Noticias das nações ultramarinas, lorsque M. Adolfo de Varnhagen collationnant entre eux tous les manuscrits revêtus de titres divers, mais dus au même auteur, en donna une nouvelle édition bien supérieure à toutes les autres : elle a paru sous ce titre : Tratado descriptivo do Brazil em 1587, obra de Gabriel Soares de Souza, Senhor de Engenho da Bahia nella residente dezesete annos, seu vereador da Camara. Rio de Janeiro, 1851, in-8.
[104] Tous se sauverent en certaines islettes inhabitees, horsmis un François qui fut emporté en nageant par les poissons Rechiens. p. 132.
Le P. Yves suit toujours cette vicieuse orthographe pour désigner le requin. Ou a dû écrire primitivement requiem : S’il est vrai que le nom imposé à ce squale vorace vienne de la rapidité avec laquelle il donne la mort.
[105] Les Joueurs de Maraca. p. 133.
Le Maraca dont il a été si souvent question était un instrument symbolique, dont on faisait usage dans les cérémonies sacrées et dans les fêtes. Le garde des curiosités du roi, Thevet, en a donné une description excellente dans ses manuscrits inédits. On ne sera pas fâché de la retrouver dans ce volume : « Tenant à leur main, un ou deux Maracas, qui est un fruit gros, fait en ovale, comme un œuf d’austruche et grand comme une moyenne citrouille, lequel fruict, n’est pas bon à manger, mais est fort plaisant à veoir, ils en font certain mystère et superstition la plus estrange qu’on saurait penser. Car, ayant creusé ce fruict par le mytan, ils vous remplissent de certaines graines de millet gros comme pois, puis le fichent dans un bout de bâton, et enrichy qu’il est de beau plumage, ils le plantent tout de bout en terre. Chaque mesnage en a un ou deux, qu’ilz reverent comme si c’estoit leur Toupan, le tenant à la main lorsqu’ils dansent et le faisant sonner : penseriez que c’est Toupan qui parle à eux. » (Ms. d’André Thevet conservés à la bibl. imp. de Paris.) Hans Staden, Lery, Roulox Baro ont consacré des pages nombreuses au Maraca, Malherbe lui-même parle de ceux qu’il entendit à Paris, lorsqu’on baptisa les trois Indiens dont Louis XIII fut le parrain.
Arrivés à Paris, au couvent de leurs protecteurs, les Tupinambas revêtus de leurs beaux atours, armés de Maracas firent fureur à la cour. On se passionna même pour leurs danses, je dirais presque pour leur musique. Il serait curieux de retrouver aujourd’hui, la Sarabande que le fameux Gauthier fit en leur honneur. Malherbe écrivait au célèbre Peiresc qu’il l’envoyait à Marc Antoine et il ajoutait : « On la tient pour une des plus excellences pièces que l’on puisse ouïr. » (Voy. Correspondance, p. 285 de l’ancienne édit.) Douze pages plus loin, Malherbe revient sur la pièce en vogue et sur son auteur : « Gauthier est tenu le premier du métier ; je ne sais s’il aura réussi et si le goût de la province se conformera à celui de la cour. »
On ne se contenta pas d’associer les pauvres sauvages à d’étranges amusements, on prétendait les fixer en France. Le poëte dit p. 275 : « Les Capucins pour faire la courtoisie complète à ces pauvres gens sont après à faire résoudre quelques dévotes à les espouser à quoi je crois qu’ils ont déjà bien commencé, » mais tandis que l’on accueillait si bien les guerriers du Maranham, leurs femmes ne jouissaient pas de la même faveur. Une certaine princesse dont le poète tait le nom en avait pris une opinion étrange et nous renvoyons pour ce fait à la p. 264 : « Elle dit que pour eux elle est bien contente de leur donner à dîner, mais que Mesdames leurs femmes ne pouvaient être que… vous m’entendez bien et ne les veut pas recevoir chez elle. »
[106] Du voyage du capitaine Maillar. p. 134.
Il est extrêmement curieux de voir que cette expédition envoyée en reconnaissance, sur les rives fertiles du Mearim, y constata dès lors, que les terres y étaient essentiellement propres à la culture de la canne à sucre, c’est aujourd’hui celle qui emploie tous les bras et il y a environ 15 ans que cette révolution agricole s’est faite sous l’influence de M. Franco de Sá. La charrue dédaignée si longtemps sillonne enfin ce sol admirable.
[107] Des moitons. p. 136.
Il faut lire Mutum (prononcez Moutoum) ; la plus petite espèce était désignée sous le nom de Mutum Pinima. Voy. le dict. Tupy de Gonçalvez Dias. Il s’agit ici du Hocco Crax Alector : Gibier fort recherché. La société impériale d’acclimatation fait en ce moment les plus louables efforts pour naturaliser cet oiseau du Brésil et de la Guyane en France.
[108] Des Tonins francs. p. 136.
C’est la jolie espèce de perruche, qu’on connaît au Brésil sous le nom de Tui. Elle forme parfois des volées si considérables, qu’elle devient alors un des fléaux de l’agriculture.
[109] Il souffloit la fumee sur ces sauvages, disant : Prenez la force de mon esprit. p. 137.
Jean de Lery est entré dans les détails les plus curieux sur la fête solennelle durant laquelle on soufflait l’esprit de courage aux guerriers, prêts à partir pour une expédition. L’une des planches de son livre représente même cette cérémonie. Chez toutes les tribus de la race tupique, le tabac était considéré comme une plante sacrée. Nous avons réuni tout ce qu’on savait il y a quelques années sur les origines du Petun, dans notre lettre à M. Alfred Demersay, sur l’introduction du tabac en France. (Voy. Etudes économiques sur l’Amérique méridionale. Du Tabac du Paraguay. Paris, Guillaumin, 1851, in-8.)
[110] Des branches de palme piquante surnommé Toucon. p. 137.
C’est le palmier que les Brésiliens appellent Tucum. On peut consulter à ce sujet la magnifique monographie des palmiers de Martius. Le Tucum offre des fibres vertes et tendres, au moyen desquelles on se procure un fil excellent qui sert à fabriquer des filets.
[111] Après la procession ils caouinoient jusqu’au crever. p. 137.
Yves d’Evreux n’hésite pas ici avec sa naïveté habituelle, à fabriquer un verbe tiré de la langue des Indiens. Des bords de l’Orénoque jusqu’au Rio de la Plata, le caouin était fabriqué en quantités immenses. Qu’elle se préparât avec du maïs maché par les femmes, ou bien avec du manioc, du cajou et même de la jabuticaba, cette espèce de bière (de cidre si on le préfère), portait en tout lieu le même nom. Nous retrouvons cette fabrication et le nom qui la désigne jusque parmi les Araucans. (Voy. l’important voyage au Chili de M. Claudio Gay.) Le mot caouin a franchi des espaces immenses, les procédés par lesquels on l’obtient sont en tout lieu les mêmes, et il atteste une étroite parenté entre les peuples les plus éloignés les uns des autres. Hans Staden, Lery, Thevet, en ont signalé l’abus, et nous renvoyons à leurs curieuses relations. Ce que nos vieux voyageurs appelaient Caouïnage ; constituait après tout une solennité dont le sens religieux nous échappe encore. Ces orgies précédaient parfois, les grandes expéditions ou leur succédaient. Le vin d’Europe s’appelle aujourd’hui Caouin Pyranga et l’eau-de-vie si fatale à la race indienne Caouin Tata, boisson de feu.
[112] Des Tapinambos de l’isle, estans allez en ces quartiers spécialement pour y pescher furent assaillis des Tremenbaiz. p. 139 et 140.
Le nom de cette nation si peu connue, qui se présente sous la plume du P. Yves, est un garant de l’exactitude qu’il met dans ses récits. Il y avait encore en 1817, quelques Tramenbez mêlés à des cultivateurs de la race blanche au Ciará ; ils s’occupaient de la culture du manioc et vivaient dans le village de Nossa Senhora da Conceição d’Almofalla. Il y avait dans le district qu’ils habitaient des salines abandonnées. (Voy. Ayres de Cazal Corografia brasilica. T. 2, p. 235.) Le P. Yves vante la valeur et l’industrie de ces Indiens (p. 142), ils étaient ennemis jurés des Tupinambas.
[113] Japy Ouassou fut le conducteur de cette armee. p. 140.
Nous prenons ce chef fameux au moment où il est revêtu du commandement. C’est la figure indienne qui domine les deux relations, celle du P. Claude d’Abbeville et celle du P. Yves. Son nom signifie le gros troupiale. Dans la lingoa geral le mot japim est la dénomination de ce joli oiseau à plumage jaune et noir qui va par bandes nombreuses et qui fabrique de toutes parts des nids si pittoresques. On pourrait aussi lui trouver une autre signification. Japy signifie dans la langue indienne parlée au Maranham, le heurt, le coup. (Voy. Gonçalvez Dias Diccionario.) La première explication est la seule adoptée. Japy-Ouassou était ce qu’on appelait un mitagaya, un grand guerrier.
[114] Avec Giropary Ouassou c’est-à-dire le grand diable prince et roy d’une grande nation de Canibaliers. p. 141.
Le P. Yves se laisse beaucoup trop aller ici à ses souvenirs de l’Europe. Giropary Assou, dont il est en effet question dans les écrivains portugais, n’avait rien de commun avec un prince ou un roi, tels qu’on se les figurait dans la hiérarchie adoptée alors par presque tous les états de l’ancien monde. Cette erreur du reste, avait été déjà répandue bien longtemps auparavant, par André Thevet dans sa France antarctique et dans sa Cosmographie. L’historien du Portugal, La Clède, qui vivait au XVIIIme siècle, va plus loin encore dans l’énumération des titres pompeux qu’il accorde à quelques pauvres chefs de tribus.
[115] Quelques Couïs. p. 142.
Sous le nom de Couy on désigne journellement au Brésil des vases légers, obtenus des fruits du calebassier. C’est ce qu’on appelle au Venezuela des Tutumas (prononcez Toutoumas). Quelques-uns de ces vases naturels présentent une délicate ornementation, et des couleurs inattaquables à l’eau, qui sont d’un grand éclat. (Voy. à ce sujet Claude d’Abbeville, Histoire de la mission des pères Capucins.)
[116] La troisiesme raison est pour cueillir l’ambre gris que les Tapinambos appellent Pirapoty, c’est-à-dire fiante de poisson. p. 143.
Ceci est confirmé par ce que nous apprend Magalhães de Gandavo, le premier écrivain portugais, qui ait donné une histoire régulière du Brésil en 1576. Cet ami de Camoens rappelle l’expression indienne dont se sert ici le P. Yves, mais il ne partage point son opinion, et suppose que l’ambre est un produit végétal qui se forme au fond de la mer. Ce qu’il y a de certain c’est qu’au XVIme et au XVIIme siècle, la rencontre presque toujours fortuite d’énormes morceaux d’ambre jetés par les vagues sur des plages inexplorées, enrichissait nombre de gens.
[117] Quant au voyage d’Ouarpy, qui est une riviere et contree à cent vingt lieues de l’isle. p. 146.
Nous avons inutilement demandé ce nom au livre d’Ayrès de Cazal et au dictionnaire de M. Millet de St. Adolphe. La région qu’il désigne ayant pour habitans les Cahetès, nous avons la certitude qu’il faut la chercher dans la province de Pernambuco. Le mot Cahetès signifie du reste les grandes forêts et s’appliqua à diverses localités. C’étaient bien les Cahetès, qui avaient sacrifié et dévoré en 1556, le premier évêque du Brésil D. Pedro Fernandez Sardinha. Ce savant prélat, né a Setuval et élevé à l’université de Paris, retournait alors à Lisbonne, où il allait porter ses plaintes contre le gouverneur de Bahia. On montre encore le tertre sur lequel il reçut la mort. Rien n’y peut croître à ce qu’affirme la légende populaire. (Voy. Adolfo de Varnhagen, Historia geral do Brazil.) Le livre de Gabriel Soarez renferme tous les détails désirables sur les Cahetès, ces Indiens considérés partout comme des guerriers invincibles, se vantaient d’être d’habiles musiciens. L’exploration d’Ouarpy dont il est ici question et qu’entreprit M. de Pezieux est une preuve évidente du soin qu’on mit à reconnaître cette vaste région, on la fit parcourir du nord au sud.
[118] Je me suis laissé dire qu’il y a en tous ces pays-là une grande quantité de mines d’or meslé de cuivre et d’argent meslé de plomb. p. 146.
Ces mines d’or, que l’on espérait rencontrer au Maranham dès l’année 1613, et qu’on ne découvrit point alors, existent cependant dans des montagnes qu’on désigne sous le nom de Maracassumé. Le métal précieux se rencontre surtout à Piranhas (district de Sancta Helena) aux sources des Rios Pindaré, de Gurupy, Cabello de Velha (Cururupu), Prata (Sancta Helena), à Revirada, sur les rives du Tomatahy etc. etc., mais il est peu abondant. Il y a du cuivre à la Chapada dans un endroit désigné sous le nom de Fasendinha et dans le haut Pindaré ; le fer est plus répandu. Il apparaît dans les montagnes de Tirocambo et à Pastos-boms. On suppose aussi qu’il y a des mines d’étain dans la province, mais le fait a besoin d’être vérifié. Un minéral bien précieux dans l’état actuel de l’industrie se montre au Maranham. Nous voulons parler du charbon de terre ; on en a trouvé des indices dans le canal d’Arapapahy et l’on affirme qu’une mine de houille a été ouverte à une demi lieue de Villa de Codó à la ferme de Sanct Antonio. Les échantillons qu’on en a tirés sont même, dit-on, d’une qualité supérieure. La même chose pourrait être affirmée à ce que l’on assure d’un canton appelé Vinhaes. Il y a également du cristal de roche et des pierres semi précieuses à San Jozé dos Mattões. Des saphirs se sont montrés sur le versant de la chaîne de San Bernardo do Parnahyba.
Nous rappellerons en passant, que les premières mines d’or ou pour mieux dire les premiers lavages aurifères, destinés à enrichir le Brésil, ne furent découverts à Minas Geraës qu’en 1595. Ce ne fut pas par les provinces du nord, que la métropole eut alors connaissance des richesses métalliques de ce vaste territoire : ce fut par la côte orientale où se rendent le rio Doce et le rio Jiquitinhonha. On sait que ce dernier fleuve qui prend le nom de Belmonte, au moment où il se jette dans la mer à peu de distance du premier, fournit également depuis, une énorme quantité de diamants à la couronne. Ces pierres, que l’on rencontra vers 1729 surtout dans la vallée entourée de roches escarpées, que l’on appelait Ivitur et que les Portugais baptisèrent du nom de Cerro do frio, n’étaient pas complétement dédaignées par les Indiens : les enfants les ramassaient et s’en servaient comme de jouets. Il n’y a pas de diamants au Maranham.
[119] Des singularitez de quelques arbres du Maranham. p. 158.
Le P. Yves se montre ici très incomplet, mais il ne faut pas oublier qu’il était naturaliste, comme l’était un théologien de son temps ; son prédécesseur a mis d’ailleurs moins de brièveté dans ses descriptions. Ce qu’il dit de quelques mimosa, indique sa préoccupation de certains phénomènes naturels. Les qualités malfaisantes, qu’il reconnaît au suc du Cajou, dont on fait une sorte de cidre, sont fort exagérées. Nous dirons en passant que le mot caouïn tire son origine du nom indien de cet arbre. Cajú-y, liqueur du Cajú.
[120] Il y a des espines que vous diriez estre creées de Dieu, pour représenter le Mystere de la Passion. p. 163.
La fleur de la passion (Grenadilla Cærulea) dans l’ensemble de laquelle une imagination prévenue trouve les saints attributs, jouissait alors d’une faveur prodigieuse. On la décrivait dans nombre d’écrits, on la gravait en exagérant les points de similitude qu’elle pouvait avoir avec les instruments de supplice de Jésus-Christ. Yves d’Evreux en rencontra de magnifiques dans les campagnes brésiliennes, et il les signala aux amateurs de fleurs splendides. Quelques années plus tard, il eût certainement emprunté du poète populaire du Brésil, Santa Rita Durão, la description poétique que celui-ci en donne dans son poème intitulé : Le Caramurú. Nous signalons aux amateurs des flores fantastiques, une gravure du XVIIme siècle infiniment curieuse, qui reproduit la plante de grandeur naturelle, elle est figurée dans le volume suivant : Antonii Possevini Mantuani Societatis Jesu cultura ingeniorum, examen ingeniorum Joannis Huartis. Expenditur Coloniae Agrippinae, 1610, in-12.
[121] J’ay remarqué une singularité és Courlieus rouges. p. 164.
Le Guara (Ibis rubra, ou Tantalus ruber) a disparu en partie, des portions du littoral, où il venait étaler son brillant plumage, soumis cependant selon l’âge de l’oiseau, à tant de modifications. On voit dans le curieux voyage de Hans Staden publié en Allemagne dès l’année 1557, quel rôle le pennage de ce brillant phénicoptère jouait dans l’industrie indienne. Les Tupinambas entreprenaient à certaines époques fixes de véritables expéditions pour se procurer ses dépouilles, toujours trop rares, pour les fêtes que se donnaient les tribus entre elles. Les plumes du Guara étaient remplacées au besoin, par celles de la poule commune, qu’on teignait au moyen de la teinture vermeille de l’Ibirapitanga ou bois du Brésil. De nos jours le Guara s’est réfugié sur les bords peu fréquentés du Rio São Francisco, et on le rencontre surtout dans les régions encore inoccupées que baigne le Rio Negro. On en voit encore beaucoup au sud, sur les bords de la lagoa dos patos. On en trouve également à Guaratuba. (Voy. le second voyage d’Aug. St. Hilaire. T. 2, p. 222.)
[122] Le grand Thion tombé malade. p. 169.
Le mot Téon signifie la mort en Tupi.
[123] Je ne sais pas, si ce que Physiologue escrit de luy est vrai. p. 171.
Il est impossible à ceux qui n’ont pas lu les anciens bestiaires du moyen-âge de donner un sens à cette phrase. Le livre connu sous le titre de Physiologus jouissait encore d’un certain crédit au temps du P. Yves d’Evreux. Nous renvoyons pour les détails précis sur ce curieux ouvrage au recueil savant publié par les R. P. Cahier et Martin, sous le titre de Mélanges d’Archéologie, d’Histoire et de Littérature. 4 vol. in-fol.
[124] Les fourmis du Maragnan ont deux ennemis mortels specialement les gros fourmis, savoir une sorte de chiens sauvages puans au possible. p. 176.
Le prétendu chien, dont parle ici le bon missionnaire est fort éloigné, par sa nature de la race canine. C’est tout simplement le fourmilier, connu des indigènes du Brésil sous le nom de Tamandua. La science lui a imposé celui de Myrmecophaga jubata. Le naturaliste Watterton, qui a si curieusement étudié les quadrupèdes du nouveau monde, dans les lieux mêmes, où ils se livrent sans contrainte à leurs instincts, a donné de cet animal une description excellente. Il y a au Brésil plusieurs espèces de fourmilier. La grosse espèce appelée par les portugais Tamandua cavallo est fort rare. C’est ce surnom qui a probablement induit Claude d’Abbeville en erreur lorsqu’il affirme que le fourmilier est grand comme un cheval. Le mot indien qui désigne ce curieux quadrupède vient de deux mots Tupis : taixi fourmi, et mondé ou mondá prendre.
[125] Ils les prennent encore d’autre façon, et sont les filles et les femmes lesquelles s’asseans à la bouche de leur caverne invitent ces grosses fourmis à sortir. p. 176.
Les femmes Tupinambas, qui chantoient ainsi pour charmer les fourmis et activer la chasse de ces insectes, ne le faisaient pas dans le but unique de les détruire ou de préserver leurs champs de maïs d’une invasion à laquelle rien ne résiste. Les grosses fourmis torréfiées, étaient regardées par elles comme une des friandises les plus délicates, et elles ont légué ce mets à quelques colons du sud auxquels nos modernes Brillat-Savarin ne le disputeront pas. De même que les Arabes mangent encore des sauterelles conservées par le sel ou par la dessication, de même, que les Guaraons des bords de l’Orénoque font leurs délices de la larve du palmier Murichi (nous omettons ici une friandise créole du même genre), de même nos Sauvages amassaient des provisions considérables de ces insectes, et s’en nourrissaient. Le plus véridique des voyageurs, qui aient parcouru le Brésil, M. Auguste de St. Hilaire a trouvé persistante encore, la coutume de manger des fourmis rôties. Après avoir constaté que ce mets étrange est en honneur à Espirito Santo, et que les habitans de Campos, qui sont dans un état continuel de rivalité avec ceux de Villa da Victoria, les appellent Tata Tanajuras, avaleurs de fourmis, il ajoute : « J’ai mangé moi-même un plat de ces animaux, qui avait été apprêté par une femme Pauliste et ne leur ai point trouvé un goût désagréable. » (Voy. le second voyage au Brésil. T. 2, p. 181.)
Martin Soares de Souza, que l’on a appelé avec quelque raison le Grégoire de Tours des Brésiliens est plus explicite que tous les voyageurs sur le parti que les Indiens tiraient des fourmis au point de vue de l’alimentation. Nous copions ici ce curieux passage. Après avoir parlé de la grosse espèce que l’on désigne sous le nom d’Içans, il ajoute : « E estas formigas comem os indios, torradas sobre o fogo, e fazem lhe muita festa ; e alguns homens brancos andan entre elles, e os mistiços as tem por bom jantar, e o gabam de saboroso, dizendo que subem a passas de Alicante ; e torradas son brancas dentro. » Et les Indiens mangent ces fourmis torréfiées sur le feu leur faisant grande fête, et quelques hommes blancs, les imitent et les métis regardent ces insectes comme un bon manger vantant leur saveur et disant qu’elles valent les raisins secs d’Alicante, et rôties elles sont blanches à l’intérieur.
[126] La chasse des lezards que les Tapinambos appellent Taroüire (et sont les grands lezards) et Tyou sont les petits se faict diversement. p. 177.
Il faut écrire Tarauyra, mais ce mot signifie un petit lézard c’est la seconde dénomination qui s’applique à la grosse espèce. Il s’agit ici du Tiú (Tupinambis monitor). La chair de ce reptile est en effet excellente, et la préparation culinaire vantée par Yves d’Evreux, ne devait pas peu contribuer à l’améliorer. La répugnance du bon père à goûter de ce mets, n’est nullement partagée par les descendants d’européens, accoutumés aux meilleures tables. La viande du Tiú ressemble par sa blancheur et par sa délicatesse, à celle du poulet le plus délicat. On la sert au Brésil avec raison sur les tables les plus comfortables.
[127] J’ay veu des araignes de mer tirans à peu pres sur la forme des araignes terrestres, mais fort grandes. p. 181.
Notre auteur veut parler de l’Aranha caranguejeira (Aranea avicularia), mais ici son sentiment d’observation est en défaut. Il exagère singulièrement les dimensions de cet insecte vraiment hideux qu’on peut voir d’ailleurs dans toutes les collections d’entomologie : il n’est pas exact de dire qu’elles ne filent point de toile, la piqûre n’en est point mortifère, mais elle est vénéneuse. On la désigne dans la langue Tupi sous le nom de Nhandu-Guaçu ou de Jandú.
[128] Maragnan abonde comme ce croy sur toutes les terres du monde en cigales. p. 183 et 184.
Ce que nous dit ici le bon religieux des bruits de la cigale dénote un sentiment d’observation en histoire naturelle bien rare pour l’époque où il écrivait, mais il importe de ne pas confondre ici la Cigarra brésilienne avec l’insecte que nous désignons sous ce nom.
[129] Le grillon appelé par les sauvages coujou. p. 187.
Le nom en Tupi s’écrit Okijú. (Voy. Martius, Glossaria ling. bras. p. 465.)
[130] Et pour ce qu’elles ont à converser parmy les tenebres, la Providence de Dieu les a pourvues d’un flambeau. p. 191.
Yves d’Evreux se montre ici, il faut en convenir bien inférieur à son contemporain le P. du Tertre. Tout ce qu’il dit néanmoins sur la lumière des lampyres est fort exact. L’entomologie était trop peu avancée alors, pour qu’il établît une classification parmi ces insectes. Nous sommes à même de réparer cette lacune. On connaît maintenant au Brésil huit espèces de lampyres : Lampyris crassicornis, lampyris signaticollis, lampyris concoloripennis, lampyris fulvipes, lampyris diaphana, lampyris hespera, lampyris nigra, lampyris maculata. On peut joindre à ces charmants insectes la lucidote thoracique (lucidota thoracica).
[131] Et cela m’estoit de tant plus aisé à faire que ces mouches ne vous piquent pas. p. 192.
Ceci est parfaitement exact, et les abeilles du Brésil sont privées d’aiguillon, voici ce que dit à ce sujet un exact et savant observateur. Après avoir affirmé comme le P. Yves, que les abeilles ne piquaient point, Auguste de St. Hilaire continue ainsi : « Une espèce qu’on nomme Tataira, laisse, à ce qu’on assure, échapper par l’anus, une liqueur brûlante et c’est ordinairement la nuit qu’on lui enlève son miel. Les espèces appelées Uruçu boi, Sanharó, Burá, bravo, chupé, arapua et Tubi, se défendent quand on les attaque, mais il paraît qu’elles n’ont pas plus d’aiguillon que les autres et qu’elles se contentent de mordre. » Le miel des diverses espèces est en effet très liquide. La cire que produisent tous les essaims est d’une teinte brunâtre fort intense, et l’on n’est pas encore parvenu à lui donner la blancheur de celle de l’Europe. Spix et Martius fournissent du reste de précieux renseignements sur ces utiles insectes, ils complétent ceux de notre grand botaniste. (Voy. Voyage dans les provinces de Rio de Janeiro et de Minas-Geraes. T. 2, p. 371 et suiv.)
[132] Les Guenons sont de diverse espece en Maragnan et en ses environs. p. 199.
Il n’y a peut-être pas de région au monde, en effet, qui renferme une plus grande variété de singes que le Brésil, nous supposons qu’il est ici question d’abord du Guariba ou Mycetes ursinus, puis, que le bon missionnaire a voulu ensuite décrire l’alouate surnommée Stentor. C’est probablement à cette espèce que se rapporte la description si gracieuse et si animée, que donne ensuite notre vieil écrivain. Il est bon de faire observer néanmoins, que le P. Yves se rend dans ce qui précède, l’écho d’une croyance populaire fort répandue au XVIme siècle. Cette espèce de légende des forêts, beaucoup plus applicable aux singes de l’Afrique et de l’Asie qu’à ceux du nouveau monde, n’est pas complétement éteinte dans les campagnes de l’Amérique méridionale, et l’on montra à M. de Castelnau, une femme indienne, qu’on prétendait avoir choisi un époux parmi les singes des grands bois. (Voy. Expédition dans les parties centrales de l’Amérique du sud, de Rio de Janeiro à Lima et de Lima au Pará, exécutée par ordre du gouvernement français. Paris, 1851, partie historique. 5 vols. in-8.)
[133] A une heure presixe. p. 200.
Lisez préfixe. Il suffit d’avoir vécu dans les forêts hantées par les singes, pour reconnaître ici l’exactitude du P. Yves d’Evreux.
[134] Outre ces aigles vous avez de grands oyseaux appelez Ouira-Ouassou presques aussi grands que les autruches d’Affrique etc. p. 203.
Il y a ici erreur évidente, ou plutôt exagération. Le P. Claude d’Abbeville, qui décrit le même oiseau de proie (p. 232), prétend qu’il est « deux fois plus gros que n’est un aigle », qu’il a « la jambe grosse environ comme le bras et la patte en forme de griffon. » — Ceci pourrait s’appliquer au condor tout au plus et il n’y en a point dans cette portion de l’Amérique du sud. Au dire du colonel Accioli cependant le Gavião real est d’une force telle qu’il arrête dans sa course le cerf le plus vigoureux. La description du P. Yves a quelque chose de si fantastique, qu’on pourrait supposer au premier abord qu’elle s’applique à l’autruche américaine le Nandú, qu’on ne rencontre guère que dans les plaines du Ceará et du Piauhy. Un écrivain de la même époque, que nous avons plusieurs fois cité, Gabriel Soares, rétablit les faits en parlant de l’Ura-oaçu. « Ce sont, dit-il, des oiseaux, comme les milans de Portugal, sans aucune différence, ils sont noirs et ont de grandes ailes, dont les pennes sont utilisées par les Indiens pour empenner leurs flèches, ils vivent de rapine. » (Voy. Tratado descriptivo do Brazil em 1587. Rio de Janeiro, 1851. 1 vol. in-8. p. 232.)
Rappelons en passant, qu’au point de vue de la science, car la grâce du style ne fait jamais défaut à notre vieux voyageur, la partie ornithologique est très imparfaite. Ce que dit par exemple le P. Yves de l’oiseau mouche ou du colibri est tout-à-fait inexact : il n’y a rien dans son cri aigu, qui rappelle le chant de l’alouette. Les souvenirs se sont parfois confondus à distance.
[135] Les perroquets fournissent de plumes à leurs hostes pour se braver et faire leur fanfare. p. 205.
Yves d’Evreux veut dire ici, que les Indiens se font braves, se parent avec les plumes des perroquets. Non-seulement les Tupinambas faisaient avec ces plumes des manteaux, des diadèmes, des jambières, mais ils hachaient très menues les petites pennes colorées de ces oiseaux et se couvraient le corps de ce duvet, qu’ils fixaient au moyen d’une gomme. Cette parure sauvage d’un effet singulièrement original est encore en honneur dans certaines tribus. On voit par les récits de Jean de Lery, qu’elle s’est conservée durant plus de trois siècles. Le voyage pittoresque de Debret en offre un spécimen.
[136] Voicy ce qu’on dit, et bien baste. p. 209.
Et bien baste, cela suffit bien : Les Espagnols et les Portugais ont conservé le mot bastar suffire.
[137] Nous n’aurons eu qu’un mort, sçavoir le R. P. Ambroise. p. 210.
Nous avons déjà payé un juste tribut de souvenir à ce bon religieux si zélé, dont la tombe ignorée est au Maranham, dans l’ancien cimetière du petit couvent. Comme l’indique son surnom de religion, le P. Ambroise était né dans la capitale de la Picardie, « de parents fort à leur aise, dit le manuscrit des éloges, et qui lui donnèrent de l’éducation autant que le traficq (sic) qu’il faisaient leur en donnait le loisir. » Après avoir étudié en Sorbonne et au moment où il allait prendre sa licence, il fut touché par les prédications du P. Pacifique de St. Gervais et entra au couvent en 1575, presque aussitôt que fut fondé le monastère de la rue St. Honoré. Il acheva son noviciat en 1599, et il remplit d’abord avec joie, l’office de frère lai. On l’admit bientôt, comme prédicateur et ce fut alors qu’il acquit ce renom de charité qui l’avait rendu si populaire. Il aspirait à plus que cela, « il eût voulu convertir toutes les Indes », dit la notice qu’on lui a consacrée. Le père Yves d’Evreux a rendu un éclatant hommage aux soins dont il entourait ses frères, durant le rude voyage qu’ils avaient à accomplir. Il était à bout de forces, lorsqu’il tomba malade, dans sa pauvre cabane de feuillage le 26 septembre 1612. Une fièvre ardente le dévorait. Toutefois, même après avoir reçu l’extrême onction, il conserva sa raison entière et une raison pleine de fermeté. Transcrivons ici les quelques mots qui font connaître ce que fut la fin du bon vieillard ; Claude d’Abbeville la raconte. « Ayant vu tomber sur luy un petit tableau de St. Pierre, qui estoit au-dessus de sa couche et auquel il avoit une particulière dévotion il dit : allons grand saint, partons puisque vous me venez quérir. Ce qu’aiant dit, il tourna les yeux vers le crucifix et agonisant quelque peu de temps, il rendit sa belle âme à son créateur le 9 octobre 1612, que l’on célèbre la fête du glorieux apôtre de la France St. Denis évêque de Paris. On l’enterra dans un lieu appelé de St. François, qui estoit consacré à notre patriarche, comme les prémices des capucins de France. » (Voy. aussi Eloges historiques de tous les illustres hommes et tous les illustres religieux capucins de la ville de Paris, les uns par la prédication, les autres par les vertus et sainteté de leurs œuvres, les autres par les missions parmy les infidelles, etc. etc. sous le No capucins St. Honoré 4 (ter). Nous ne saurions trop regretter que le 1er volume de cette importante collection soit perdu depuis plusieurs années. Il contenait les annales de la province.
[138] Non obstant la vigne y peut croistre. p. 211.
Le P. Yves dit ici rigoureusement la vérité, mais il ne s’ensuit pas que dans la partie nord du Brésil, on puisse faire du vin. L’obstacle le plus réel à sa fabrication, gît dans la façon dont le fruit de la vigne mûrit sous les tropiques. Sur une même grappe, à côté de grains en pleine maturité, on trouve des grains nombreux, qui sont restés complétement verts. On a fait, dit-on, jadis quelques pièces de vin aux environs de Bahia. En remontant vers le sud et dans la région tempérée de Mendoza, le raisin vient à maturité parfaite et donne un vin des plus délicats. (Voy. entre autres voyages, sur ce point curieux de l’agriculture américaine : Sallusti, Storia delle missione del Chile, 4 vol. in-8., puis ce que dit à ce sujet P. Barrère, Nouvelle Relation de la France équinoxiale, Paris, 1743, 1 vol. in-12, p. 53 et 54.)
[139] Ce pain de May sert de nourriture à plusieurs pays de ce vieil monde. p. 211.
Cette phrase si positive du vieux missionnaire prouve avec quelle rapidité s’était répandu en Europe l’Avati des Brésiliens ; le Maïs des insulaires, que Christophe Colomb observa, dès 1493, comme il remarqua le tabac, à son premier voyage. Une grande discussion, non encore résolue, a été soulevée par les botanistes, à propos de l’origine première du maïs. En ce qui touche celui du Brésil, nous croyons devoir rapporter ici l’opinion d’un savant voyageur, bien digne de faire autorité. Auguste de St. Hilaire, le croyait originaire du Paraguay, où il a été trouvé, dit-il, à l’état sauvage. La culture du maïs est pour tout le sud de l’Amérique, la plante nourricière par excellence et l’on sait préparer sa farine par des procédés bien simples et qui la rendent d’un goût vraiment délicieux. Nous renvoyons pour tout ce qui regarde cette précieuse graminée à l’excellent livre du docteur Duchesne : Traité complet du maïs ou blé de Turquie, Paris, Renouard, 1833, in-8. et au grand ouvrage de M. Bonafous.
[140] La pite. p. 212.
Il s’agit ici de la filasse produite en abondance par une espèce d’Ananas (Ananas non aculeatus, Pitta dictus Plum.), les Portugais en fabriquaient des bas, presque aussi recherchés que les bas de soie.
[141] Vous passeriez le temps tandis que vostre cœur s’accoiseroit. p. 213.
Accoiser est un mot hors d’usage ; il signifie rendre coi, calmer, apaiser.
[142] Haches, hansas. p. 216.
Ce mot ne se trouve pas dans le dictionnaire de Nicot, sieur de Villemain. Nous croyons pouvoir affirmer qu’il faut écrire hansars ; on doit entendre par ce terme une serpe de grande dimension. (Voy. à la p. 224.)
[143] Jurer et renasquer. p. 217.
Faire certain bruit en retirant impétueusement son haleine par le nez. Il est populaire et le Dictionnaire de l’Académie le confond avec le mot renâcler qui se dit plus communément dans le style très familier.
[144] Le François ayant choisi un compere, il le suit et s’en va en son village. p. 220.
Ces réceptions des Indiens sont admirablement peintes par Cardim. Les Brésiliens ne peuvent opposer, en effet, pour la grâce du récit et le charme des détails, qu’un seul voyageur portugais à Yves d’Evreux et à Claude d’Abbeville ; c’est celui que nous venons de nommer. Cet écrivain charmant, mais dont les récits sont trop courts, appartient à l’ordre des Jésuites. Il se rendit au Brésil dès 1583 et y resta revêtu des dignités de l’ordre au moins jusqu’à la fin de 1618. Il eut par conséquent une entière connaissance de l’établissement des Français au nord du Brésil et certainement il apprit à Bahia leur expulsion, il se tait malheureusement sur cette dernière circonstance. Fernand Cardim est placé dans une position bien différente de celle où se trouvait le P. Yves d’Evreux. Partout où il se présente le long de la côte, les Indiens sont soumis au christianisme et ont perdu leur grandeur primitive, en conservant la plupart de leurs usages. Le missionnaire français catéchise au contraire des indigènes, qui combattent pour leur indépendance et qui fuient leurs conquérants. Les deux bons missionnaires ont néanmoins la même indulgence et parfois la même admiration naïve pour les peuples enfants, qu’ils prêchent et dont l’imprévoyance est le plus grand comme le plus terrible défaut.
Les lettres de F. Cardim sont une heureuse découverte due à l’infatigable auteur de l’Historia geral do Brazil. M. Adolfo de Varnhagen n’a pas mis son nom à cette publication précieuse. Nous lui restituons ici l’honneur qui lui revient comme homme de science et comme homme de goût. L’Opuscule du à Fernão Cardim est intitulé : Narrativa epistolar de uma viagem e missão Jesuitica pela Bahia, Ilheos, etc. etc., Lisboa, 1847, in-18. de 123 pages. Ce que paraît avoir ignoré le savant éditeur, c’est qu’on trouve d’intéressants renseignements sur Cardim et sur les missionnaires contemporains du Brésil dans un écrivain Toulousain nommé du Jarric. Voy. la 2me partie des choses plus mémorables advenues tant aux Indes orientales que autres pays de la découverte des Portugais en l’establissement de la foi chrestienne et catholique, etc. Bordeaux, 1610, in-4. Le volume est dédié à Louis XIII. Dans ce livre ce qui a rapport au Brésil et particulièrement aux régions voisines du Maragnan, est contenu entre la p. 248 et la p. 359. Pierre du Jarric mourut en 1609. Son ouvrage fut traduit en latin et imprimé à Cologne en 1615. Cette version, qui contient certaines additions, forme 4 vol. in-8.
[145] Il lui tend la main et lui dit Ereiup Chetouas sap. Es-tu venu mon compere ? p. 220.
Il est à peu près certain que notre bon missionnaire n’avait lu, ni la relation d’André Thevet publiée dès l’année 1558, ni le voyage plus récent de Jean de Lery dont les opinions religieuses devaient naturellement l’éloigner. En comparant ces vieux voyageurs entre eux, on est frappé de la similitude qu’offre leur récit. Voici ce que dit Jean de Lery, à propos de la réception que lui firent les Tupinambas de Rio de Janeiro :
« Pour donc que déclarer les cérémonies que les Tououpinambaoults observent à la réception de leurs amis qui les vont visiter ; il faut en premier lieu sitost que le voyager est arrivé en la maison du Moussacat, c’est-à-dire bon père de famille, qui donne à manger aux passans qu’il aura choisi pour son hoste, (ce qu’il faut faire en chascun village où l’on fréquente et sur peine de le facher quand on y arrive n’aller pas premièrement ailleurs) que s’asseant dans un lict de coton pendu en l’air, il y demeure quelque peu de temps sans dire mot. Après cela les femmes venans, les fesses contre terre et tenans leurs deux mains sur leurs yeux, en plorans de ceste façon la bien venüe de celuy dont sera question elles diront mille choses à sa louange.
Comme par exemple : tu as pris tant de peine à nous venir voir ; tu es bon ; tu es vaillant ; et si c’est un François, ou autre étranger de par deçà elles adjousteront tu nous a apporté tant de belles besongnes, dont nous n’avons point en ce pays ; bref comme j’ai dit, elles jettant de grosses larmes tiendront plusieurs tels propos d’aplaudissemens et flatteries. Que si au reciproque le nouveau venu assis dans le lict veut leur agréer : en faisant bonne mine de son costé, s’il ne veut plorer tout-à-fait (comme j’en ai veu de nostre nation qui oyant la brayerie de ces femmes aupres d’eux estoient si veaux que d’en venir jusque-là) pour le moins leur respondant jettant quelques souspirs faut-il qu’il en fasse semblant. Ceste première salutation faite ainsi de bonne grâce par ces femmes, entre puis le moussacat, c’est-à-dire le vieillard maistre de la maison lequel aussi de sa part aura esté un quart-d’heure sans faire semblant de vous voir (caresse fort contraire à nos embrassades, baisemens et touchemens de main à l’arrivée de nos amis). Venant lors à vous : vous dira premièrement ereioubé. C’est-à-dire es tu venu ? etc. etc. » (Voy. Jean de Lery, Histoire d’un voyage en la terre du Brésil. Rouen, 1578, in-8. 1re édition.)
[146] Un autre fut appellé grand Gosier, pour ce qu’on ne pouvait le rassasier : un autre fut nommé Gros Grapau. p. 221.
Lisez crapaud. Ou rencontre au Brésil, une grenouille de dimension prodigieuse à laquelle on a donné le nom de Grenouille mugissante. Claude d’Abbeville a dit : « L’on trouve en ce païs là des crapaux merveilleusement grands qu’ils appellent Courourou. Il y en a de tels qui ont plus d’un pied ou pied et demy de diamètre : quand ils sont escorchés, il ne se peut dire combien leur chair est blanche estans fort bons à manger. J’ay veu des gentilshommes françois en manger avec grand appétit. »
[147] Nos peres nous ont laissé de main en main, par tradition, qu’il estoit venu jadis, un grand Marata du Toupan. p. 229.
Il est évidemment question ici de la fameuse légende brésilienne relative à Sumé, le législateur des Tupis. Dans le curieux opuscule qu’il a publié sur ce personnage, Mr. Adolfo de Varnhagen, raconte son arrivée à l’île de Maranham et comment il disparut au moment où l’on s’apprêtait à le sacrifier. Le mot Marata nous embarrasse, nous l’avons cherché vainement dans Ruiz de Montoya. Est-ce une altération du mot Mair ou Maïr, si souvent employé par Lery et Thevet, lorsqu’il s’agit de désigner un étranger, un personnage extraordinaire. Nous ne saurions répondre sur ce point d’une façon concluante. Sumé qui répand la culture du manioc parmi les sauvages est barbu. On a dit avec raison que c’était un personnage analogue au Manco Capac des péruviens et au Quetzalcoatl des Aztèques. On pourrait ajouter au Zamna de l’Amérique centrale. (Voy. sur ce personnage Adolfo de Varnhagen, Historia geral do Brazil, T. 1, p. 136, et le même, Sumé. Lenda mytho-religiosa americana etc. agora traduzida por um paulista de Sorocaba, Madrid, 1855, broch. in-18 de 39 pag.)
[148] Ils feront venir des Miengarres, c’est-à-dire des chantres musiciens. p. 232.
Le verbe chanter, se dit Nheengar en langage Tupi. Un Nheengaçara est un chanteur proprement dit.
[149] Il luy fut dit en cette vision que ces gens vestus de blanc estoient les Caraybes, c’est-à-dire françois ou chrestiens. p. 248.
Il peut paraître étrange au lecteur, que les français soient assimilés ici aux Caraïbes. Ceux qui ont lu attentivement les œuvres de Humboldt, auront le mot de cette énigme. Les Caraïbes du continent américain, qui formaient une nation immense, étaient renommés dans l’Amérique entière par leur vaillance et par leur perspicacité. Leurs piayes ou si on l’aime mieux leurs devins, l’emportaient sur tous ceux des autres nations ; ils étaient dans le nouveau monde ce qu’étaient dans l’ancien les Chaldéens. Simon de Vasconcellos nous donne la preuve de cette suprématie intellectuelle ; dans le sud du Brésil, les Caraïbe-bébé n’étaient autres que de puissants devins. C’était l’appellation consacrée aux hommes renommés par l’intelligence, aux esprits, aux anges ; on l’appliqua bientôt aux étrangers. Mr. Adolfo de Varnhagen lui-même fait observer que la dénomination de Caryba était au début une qualification accordée aux Européens. On voit (dans l’Historia geral p. 312) que tous les chrétiens étaient désignés ainsi.
[150] Il pria à cet effet que nous lui envoyassions de l’eau du Toupan dans une plotte de coton mise en un Caramémo. p. 249.
Un Caramémo est ce qu’on appelle un Pagará à la Guyane, c’est-à-dire un panier léger, fait avec des feuilles de palmiste et affectant parfois la forme la plus élégante. Claude d’Abbeville désigne aussi en le décrivant ce gracieux ustensile d’un ménage indien. Barrère en a fait dessiner de jolis specimen.
[151] La suavité du chant d’une jeune pacelle. p. 257.
Il faut lire pucelle. Yves d’Evreux, familiarisé avec tous les symboles, qui avaient cours de son temps n’avait garde d’oublier une gracieuse allégorie dans laquelle figure la licorne. Voy. notre Monde enchantée et surtout la dissertation intitulée : Revue de l’histoire de la Licorne par un naturaliste de Montpellier (P. J. Amoreu), Montpellier, Durville, 1818, in-8 de 47 pages.
[152] Nous n’aurons fait que courir et errer par les bois devant la face des peros. p. 270.
On sait que les Tupinambas nommaient toujours ainsi les Portugais. Pero veut dire chien, dans la langue de Camoens, mais on suppose que l’appellation Pedro, fort usitée au Brésil, était cause de cette désignation bizarre. Ayrès de Cazal contient même à ce sujet une petite histoire, il raconte en rappelant la tradition, comment un serrurier nommé Pedro, avait été jeté par un naufrage sur les rivages du Maranham. Grâce à son habileté dans l’art de travailler le fer cet homme se rendit bientôt agréable aux Indiens et son nom modifié légèrement servit à désigner les étrangers qu’on supposait appartenir à la même race que lui. Le docteur Moraes e Mello a donné cette légende d’une façon beaucoup plus complète dans sa Corographia.
[153] Doctrine chrestienne en la langue des Topinambos. p. 272.
On n’a pas tenté d’éclaircir par une discussion grammaticale, cette portion du livre. Des différences trop sensibles apportées par le temps et surtout par la prononciation, rendaient cette tâche pour ainsi dire impossible. Rien n’est plus difficile que de rendre par les caractères dont se compose notre écriture les sons des langues indiennes. Ces inflexions si délicates et parfois si fugitives dans leur rudesse apparente sont malaisément fixées sur le papier. Comme l’a fait remarquer Humboldt, elles tiennent parfois à certains caractères physiques des races. Les nations européennes elles-mêmes les plus exercées ne perçoivent pas de la même manière les sons, et surtout n’essayent pas de les écrire de la même façon ; où le Portugais entend Oca, par exemple, ou bien Toba, le Français entend Oc et Tobe, où le premier sent son oreille frappée par le mot Murubixaba, le second perçoit Mourouvichave. La différence cesse d’être aussi sensible, lorsque les mots sont prononcés selon le génie de chaque langue. Le mot Topinambos comme il est écrit au début de cette note, équivaut absolument par le son en langue Portugaise au mot Toupinambous comme le prononçaient les contemporains de Malherbe. Pour l’histoire de la linguistique cette courte doctrine chrétienne n’est toutefois pas sans intérêt. On pourra la comparer avec certains ouvrages du même genre écrits par une plume portugaise. Les chants religieux en Tupi, de Christovam Valente, entre autres, sont dans ce cas. Je les ai introduits dans l’opuscule intitulé : Une fête brésilienne, Paris, Techener, 1850. Le livre qui les contient est devenu pour ainsi dire introuvable et seule peut-être la bibliothèque impériale le possède. Nous reproduisons ici son titre : Catecismo brasilico da doutrina christão, com o ceremonial dos sacramentos e mais actos parochiaes. Composto por padres doutos da companhia de Jesus, aperfeiçoado e dado à luz pelo padre Antonio de Araujo da mesma companhia, emendado nesta segunda impressão pelo padre Bertholameu de Leam da mesma companhia. Lisboa, na officina de Miguel Deslandes, 1681, petit in-8. La 1re édition est de 1618.
Si on voulait, on pourrait compléter cette étude comparative en recherchant les manuscrits suivants que cite Barbosa Machado et qu’il serait si curieux de voir publier ; Ludewig les a omis dans son savant travail complété par Mr. Trubener. P. João de Jesus explicação dos mysterios da fé. P. Manoel da Veiga Catecismo. F. Pedro de Santa Rosa Confessonario. André Thevet, dans ses manuscrits conservés à la bibliothèque impériale de Paris, donne le pater et le credo en tupi. Il les reproduit même dans sa grande cosmographie. Ces deux documents sont surtout précieux par leur ancienneté : ils datent de 1556. Parmi les livres de ce genre l’un des plus modernes et des plus curieux est celui du P. Marcos Antonio, il est intitulé : Doutrina e perguntas, dos mysterios principaes de Nossa Santa fé na lingua Brasila. Il a été composé vers 1750, et Ludewig le mentionne comme faisant partie des collections du British Museum.
[154] Il y a aussi de certains oiseaux nocturnes, qui n’ont point de chant, mais une plainte moleste et facheuse à ouyr, fuyards et ne sortent des bois appelez par les indiens Ouyra Giropary, les oyseaux du Diable. p. 281.
Lery avait déjà constaté l’effet du chant mélancolique, que fait entendre le Macauhan sur l’esprit des Indiens. La croyance aux messagers des âmes, aux oiseaux prophétiques, n’est pas tout-à-fait éteinte, elle s’est conservée chez la puissante nation des Guaycourous, elle paraît avoir exercé jadis son influence sur toutes les tribus des Tupis, mais le P. Yves lui donne une extension qu’elle n’avait pas jadis, c’est déjà une altération visible dans les anciennes idées mythologiques. Le nom de ce volatile vénéré s’écrit en portugais Acaúan et même Macauân ; l’oiseau fait sa nourriture des reptiles. Il s’en faut de beaucoup qu’il ait l’aspect sinistre, que lui donne notre bon missionnaire. Il a une tête assez grosse relativement au corps, et elle est cendrée, il a le poitrail et le ventre rouges, ses ailes et sa queue sont noires tachetées de blanc. Aujourd’hui, la plupart des indigènes se bornent à croire que cet oiseau est chargé de leur annoncer l’arrivée d’un hôte. On peut consulter sur l’Acaúan, Accioli, Corografia Paraense, et Gonçalvez Dias, Diccionario da lingua Tupy. Martius au mot Oacaoam dit que c’est le Macagua de Felix d’Azara. Falco (herpethocheres).
[155] Si ces petits et mediocres Barbiers ont de l’autorité entre les leurs, beaucoup plus en ont ceux qui proprement sont appellez Pagy-Ouassou grands barbiers. p. 289.
Au temps d’Yves d’Evreux, les chirurgiens les plus habiles étaient encore désignés sous le nom de Barbiers ; quelques années avant lui l’illustre Ambroise Paré ne prenait pas d’autre titre. Comme les Piayes, Pagé, Pagy, Boyés ou Piaches, car on leur donne tous ces noms, se mêlaient de la cure des blessures ou des maladies ; le P. Yves, ainsi qu’on l’a vu dans tout le cours de l’ouvrage les assimile avec un certain dédain aux barbiers, mais on le sent, aux barbiers de village. Ce chapitre est certainement l’un des plus curieux du livre ; il doit être comparé soigneusement avec tout ce qui a été dit par Simon de Vasconcellos (Chronica da companhia de Jesus, in-fol.), et avec tous les mémoires qu’a publiés l’institut historique de Rio de Janeiro sur la religion primitive des indigènes ; les attributs de Geropary y sont définis clairement. La lacune d’une feuille est vivement à regretter. Il est évident qu’elle nous fait perdre de précieux documents sur les hommes rusés et habiles qui conservaient parmi eux les traditions.
[156] Ces vilains oyseaux nocturnes, beaucoup plus horribles et grands que ceux de pardeçà, viennent trouver les personnes couchees et dormantes en leur lict. p. 297.
Au temps où devait paraître cette relation, les chauves-souris étaient encore rangées dans la classe des oiseaux. Ce que dit ici notre voyageur, sur les Vampires, n’a rien d’exagéré. On peut consulter sur ce point Ch. Watterton (Excursion dans l’Amérique méridionale, p. 15 et 389). Ce savant naturaliste décrit avec un soin minutieux le genre de blessure que fait cette chauve-souris américaine sur les gens endormis. Il avait tué un Vampire, qui portait 32 pouces d’envergure. En général, ils sont beaucoup moins grands.
[157] Et là plantent de petites idoles faites de cire ou de bois en forme d’hommes. p. 302.
Parmi les vieux voyageurs du XVIIme siècle, Yves d’Evreux est comme nous l’avons fait remarquer, le seul qui signale chez les Tupinambas des rudiments de statuaire (bien imparfaite sans doute) appliqués à la mythologie de ces peuples. Il n’y a rien de semblable dans Thevet, Hans Staden et Lery, pas plus que dans Vasconcellos, Cardim, Soarez ou Jaboatam. Les Tupis étaient des peuples uniquement chasseurs, passant accidentellement à la vie agricole. Les seuls vestiges de sculpture que nous connaissions d’eux, sont appliqués à leurs Maconas, ou à leur Lyvera-pème, espèces d’armes pesantes, qu’ils se plaisaient à orner avec une sorte d’adresse. Ils étaient dans l’habitude de fixer un Maraca empenné de plumes brillantes à la proue de leurs canots de guerre si élancés et si élégants, il serait possible que la base de cet instrument eût été alors orné de sculptures, analogues à celles qu’on remarque chez les insulaires de la Polynésie. Il est probable qu’en multipliant leurs rapports avec les Européens, les Tupinambas ont puisé parmi nous certaines idées de sculpture rudimentaire, qu’ils ont appliquées à leurs grossières divinités. L’exact Barrère, qui écrivait, il est vrai, plus d’un siècle après Yves d’Evreux parle d’un Piaye ayant exécuté une statuette de ce génie du mal Anaanh, qui n’est autre chose que l’Anhanga de Nobrega et d’Anchieta, et dont la terrible mission sur la terre est si bien définie par Jean de Lery, qui l’appelle toujours Aignan. Qu’on lui donne aux îles ou sur le continent les noms d’Uracan, d’Hyorocan, de Gerupary, de Maboya, d’Amignao ; qu’on reconnaisse dans des génies secondaires, ses messagers (nous en nommerons un le malicieux chinay, qui fait maigrir les pauvres Indiens en suçant leur sang), Anhanga a été revêtu d’une face terrible du XVIIme au XVIIIme siècle. Ce type primitif de la sculpture religieuse des Tupis a été malheureusement taillé dans un bois très mou et n’a pu guère résister à l’action du temps ou à l’invasion des termites ; nous doutons qu’on puisse jamais s’en procurer un specimen remontant à deux siècles. Voici du reste le passage si curieux de Barrère, qui confirme le dire du P. Yves : « Les Indiens ont une autre sorte de piayerie assez singulière. Ils font une figure du diable, d’un bois fort mol et résonnant ; cette statue qui est grande de trois ou quatre pieds est affreuse par la longue queue et les longues griffes qu’ils lui font. Ils l’appellent Anaantanha, comme qui dirait image du diable ; car Tanha signifie figure et Anaan diable. Après avoir soufflé les malades, les Piayes portent cette figure hors du Carbet. Là, ils l’apostrophent et la frappent rudement à coups de bâton, comme pour obliger le diable à quitter malgré lui le malade. » (Voy. Nouvelle Relation de la France équinoxiale, contenant la description des côtes de la Guiane, de l’isle de Cayenne, le commerce de cette colonie, les divers changements arrivés dans ce pays etc. etc. Paris, 1743, gr. in-12.)
Dans un chapitre précédent Yves d’Evreux a déjà parlé d’une marionnette, à laquelle était adaptée une sorte de mécanisme et qui servait aux enchantements d’un Piaye. Nous ne saurions trop regretter qu’aucune de ces idoles ne soit entrée dans les collections ethnographiques dont on commençait à se préoccuper en ce temps. Peu d’années avant l’époque où La Ravardière explorait le fleuve des Amazones, Jean Mocquet, le garde des curiosités du roi, parcourait ses rives : c’eût été une rare bonne fortune, pour l’archéologie américaine, s’il eut pu se procurer quelques-unes des idoles semblables à celles dont parle le P. Yves.
[158] C’est donc la coustume des Pagys-Ouassous de celebrer en certain temps de l’annee des lustrations publiques. p. 306.
Il est infiniment probable, que les lustrations dont il est question ici étaient pratiquées en souvenir des cérémonies que les Tupinambas avaient vu faire aux chrétiens. Il pouvait en être de même, à l’égard de la prétendue confession auriculaire dont l’auteur parle un peu plus loin (p. 309). Les anciens voyageurs, Hans Staden, Lery et Thevet, ne disent rien qui aie trait à une pratique semblable.
[159] Pacamont, grand barbier de Comma. p. 306.
Il semble au premier abord, que ce piaye si influent ait reçu un nom français ; il n’en est rien. Il y avait à la même époque un chef puissant nommé Pacquara-behu, le ventre d’un pac plein d’eau. Pacamont pourrait signifier le Paca pris au piége Pacamondé. Le nom du pays sur lequel il exerçait son influence signifie la région des plantes laiteuses : il s’écrit Cumá.
[160] Ce que Vatable interprete en cette sorte. p. 315.
Vatable ou Vateblé était un hébraïsant célèbre du XVIme siècle, restaurateur des études orientales en France ; il mourut en 1547. Ses notes sur l’ancien testament avaient été insérées dans la bible de Robert Etienne.
[161] J’espere à présent que j’escris cecy, que les Peres qui sont par delà, luy donnent de terribles alarmes et que son royaume va fort en decadence et s’approche de sa totale ruine : car avant que je quittasse l’Isle, je voyois et experimentois une disposition generale et universelle de la conversion de ces peuples. p. 318.
Cette phrase nous prouve que le P. Yves écrivit son ouvrage en Europe et qu’il avait connaissance de la mission dirigée par le P. Archange. Marcellino de Pise affirme, que 565 Indiens reçurent le baptême durant cette seconde expédition religieuse. (Voy. Annales historiarum ordinis minorum. Lugd., 1676, in-fol.) Le P. Archange, suivi de ses douze compagnons et porteur des magnifiques ornements brodés par la duchesse de Guise, devait, en effet, s’environner d’une tout autre pompe que les quatre généreux capucins, qui avaient commencé la mission. Grâce à des documents qui nous viennent de la marine, et que nous devons à l’obligeance de Mr. P. Margry, nous voyons par une lettre inédite du sieur de Beaulieu à Mr. de Razilly, que le P. Archange qui comprenait parfaitement la valeur de l’argent, abstraction faite du vœu de pauvreté, n’avait pas voulu s’embarquer tant qu’il y avait eu pour lui espérance de se procurer des subsides. Malgré les ressources dont put disposer son chef spirituel, l’histoire de cette seconde mission est encore à faire ; elle n’a même laissé aucune trace, et elle sera sans doute ignorée, tant que le livre de François de Bourdemare se dérobera à nos investigations. Nous savons seulement, que beaucoup plus favorisé qu’Yves d’Evreux, par ses supérieurs, il avait reçu, grâce à ses lettres d’Obédience, le droit d’admettre des novices dans son couvent. Il n’eut pas le temps de mettre à profit un tel privilége ; mais lors de son retour en Europe, on le récompensa de son zèle et dès l’année 1615, il était devenu gardien du grand couvent de la rue St. Honoré.
Tous ces faits omis naturellement par les historiens du Maranham sont constatés dans les éloges historiques, manuscrit de la bibliothèque impériale, il y aurait toutefois de l’injustice à oublier que le P. Marcellino de Pise les mentionne. Après avoir raconté comment le général des capucins Paul de Caesena, permit à Honoré de Paris, alors provincial, d’envoyer une seconde mission en Amérique ; il ajoute : « Ille nihil cunctatus, duodecim fratres ad hanc expeditionem, aptos elegit quorum animosa phalanx navem conscençâ secedens in indiam, a barbara illa natione jam capucinorum placidis moribus assueta per humaniter fuit excepta. » A l’entrée des Portugais, le P. Archange de Pembroke se retira avec les capucins français et fit place aux Franciscains, qui vinrent s’établir dans le monastère au nombre de vingt. Sous la direction de Fr. Christovam Severim, le couvent reçut dès-lors une institution nouvelle. Les bases en avaient été jetées en 1624, mais elles ne furent arrêtées définitivement que le 4 Août de l’année suivante.
Nous nous garderons bien de mettre sous les yeux du lecteur les péripéties fâcheuses par lesquelles passa le monastère durant deux cent vingt-cinq ans ; il suffira de dire qu’au début du siècle, il tombait à peu près en ruine. En 1860, le gardien actuel, qui n’avait plus sous sa direction que deux Franciscains, mais qui heureusement avait su se concilier la sympathie des habitants de San Luiz a fait un appel à la charité publique, pour qu’on réparât dignement un édifice, qui se lie si intimement aux souvenirs les plus intéressants du pays. L’ordre aujourd’hui est fort pauvre, mais il contraste, dit-on, par son dévouement avec bien des couvents opulents de la cité qui laissent tomber en ruine leur monastère. L’appel de Fr. Vicente de Jesus a été entendu. On a recueilli des sommes assez abondantes pour réparer ce qui avait subi l’injure du temps. Tout en conservant l’humble chapelle où vint prier Yves d’Evreux on élève de nouvelles constructions et l’église de Sancto Antonio sera la plus belle de cette riante cité.
[162] Il me demandoit qui estoient ces Karaïbes, je luy fis reponce que ces douzes estoient les douze Maratas du fils du Toupan. p. 337.
Il est infiniment curieux de voir ici, le père Yves d’Evreux, faire une sorte d’allusion à des croyances anciennes de ces peuples, que Thevet, ou peut-être le chevalier de Villegagnon avait recueillis dès l’année 1555, et auxquelles d’ailleurs nos voyageurs du XVIme siècle semblent rester étrangers dans le cours de leurs récits. Une note même concise nous entraînerait trop loin et nous nous voyons forcé de renvoyer le lecteur à un opuscule dans lequel nous avons rassemblé tout ce que nous avons pu trouver sur les idées mythologiques des Tamoyos et des Tupinambas. (Voy. sur les Maïrata, une fête brésilienne célébrée à Rouen en 1550 suivie d’un fragment du XVIme siècle roulant sur la Théogonie des anciens peuples du Brésil. Paris, Techener, 1850, gr. in-8.)
[163] Et choisissant Sainct Barthelemy je le luy montray disant Tien, voilà ce grand Marata qui est venu en ton pays, duquel vous racontez tant de merveilles que vos peres vous ont laissé par tradition. C’est luy qui fit inciser la Roche, l’autel les images et escritures qui y sont encore à present et que vous avez veu vous autres etc. p. 338.
La légende brésilienne a transmis d’âge en âge le récit des pérégrinations de deux prophètes fort distincts, en honneur à peu près égal chez ces peuples barbares et qu’elle nomme tour à tour Tamandaré et Sumé. Comme Bouddha, le dernier a laissé toutefois l’empreinte d’un de ses pieds sur la roche vive lorsqu’il a quitté la terre. Le mythe de Tamandaré qui se lie au récit du déluge américain est raconté tout au long par Vasconcellos dans ses Noticias do Brasil, p. 47 et 48. C’est là qu’on peut voir, comment le Noë américain, s’élançant au sommet d’un palmier, qui portait sa cime jusque dans les cieux et guidant ainsi sa famille, se sauva et repeupla la terre. Dans la phrase que nous citons ici, Yves d’Evreux fait allusion au législateur beaucoup plus moderne, Sumé, ce Triptolème brésilien, qui enseigna la culture du manioc aux peuples issus de Tamandaré. Simon de Vasconcellos dit très positivement : « Il y avait entre eux une tradition fort antique, transmise des pères aux enfants et elle racontait que bien des siècles après le déluge, des hommes blancs avaient apparu dans ces régions, ils parlaient aux peuples d’un seul dieu et d’une autre vie. L’un deux s’appelait Sumé, par lequel il faut entendre Thomé. » En préférant la tradition qui accorde l’honneur d’avoir évangélisé les peuples lointains à Saint Barthélemy, le P. Yves d’Evreux fait preuve de sa connaissance des sources. Au rapport d’Eusèbe, en effet, cet apôtre voyageur, avait pénétré jusqu’à l’extrémité des Indes. Saint Pantène ayant parcouru le fond de l’Asie dès le IIIme siècle, y avait déjà trouvé des traces du christianisme, qu’on pouvait attribuer aux prédications de St. Barthélemy. La légende contraire a cependant prévalu au Brésil, comme elle a prévalu surtout aux Indes. (Voy. le livre portugais intitulé : Jornada do Arcebispo de Goa dom Frey Aleixo de Menezes, quando foy as serras do Malauar, lugares em que morão os antiguos Christãos de S. Thomé. Coimbra, 1606, in-fol.) Les traces des pieds de St. Thomas étaient visibles du temps de Vasconcellos, au nord du port de Saint-Vincent non loin de la ville. Ces traces de deux pieds nuds merveilleusement empreints sur la pierre (tão vivas e expressas, como se em hum mesmo tempo, juntamente se fizerão) étaient parfois cachées sous l’eau. Le religieux franciscain Jaboatam, retrouve au récif devant Pernambuco, les saintes empreintes ; cependant dans cette seconde version de la légende, ou ne voit apparaître qu’un tout petit pied, comme celui d’un enfant de cinq ans, et le pieux narrateur suppose que c’est celui d’un jeune compagnon de l’apôtre. (Voy. le novo Orbe Seraphico, réimprimé en ces derniers temps par les soins de l’Institut historique et géographique de Rio de Janeiro.)
On ne se contente pas de reconnaître ces traces fameuses sur plusieurs points du littoral, et il serait bien long de les énumérer : on fait pénétrer résolument le saint voyageur dans l’intérieur du Brésil, et là, il inscrit sur la roche, en caractères gigantesques, l’histoire de sa mission. Il y a à Minas geraes, un village auquel on a donné son nom, c’est São Thomé das lettras. Un observateur sérieux, le général Cunha Mattos ne vit pas les fameuses inscriptions, mais il fut à même de constater la tradition et il pense que l’inscription fantastique que l’on remarque sur l’une des parois de la Serra das lettras, est due à quelque accident du terrain, à des dendrites, pour nous servir de ses expressions. (Voy. Itinerario do Rio de Janeiro ao Pará e Maranhão. Rio de Janeiro, 1836, 2 vol. in-8. T. 1er, p. 63.) C’est même aujourd’hui l’opinion qui a prévalu, et dans l’inscription gigantesque de la Serra das lettras, on ne voit plus maintenant qu’une infiltration de particules ferrugineuses qui sur les grès de la montagne a simulé des caractères d’écriture.
Quant aux hiéroglyphes grossièrement tracés en creux et dont l’origine indienne n’est pas douteuse, ils sont nombreux au Brésil ; et plusieurs ouvrages nous en ont transmis des fac-simile. Le grand voyage pittoresque de Mr. Debret en offre deux, qui ne manquent pas d’un certain intérêt. Nous voulons parler de l’inscription présentée par la montagne do Anastabia et des sculptures en creux exécutées sur un rocher qu’on rencontre à peu de distance des bords du Rio Yapurá, dans la province du Pará : il pourrait se faire que le discours du P. Yves fît allusion à ce monument original, et d’exécution fort grossière, dont Mr. Debret donne l’explication (T. 1er, p. 46), mais dans lesquels l’imagination la plus prévenue ne saurait trouver des bases pour asseoir une opinion historique ou religieuse.
En ce qui regarde les roches incisées dont parle notre bon moine, la tradition en est répandue dans l’Amérique entière, et ces accidents résultats des grandes commotions de la nature sont toujours expliquées par la légende indienne, en les attribuant au pouvoir souverain d’un demi-dieu, qui brise à son gré les rochers les plus rebelles au travail de l’homme et parfois les plus gigantesques ; à la Nouvelle-Grenade, le saut de Tequendama n’a pas d’autre cause ; il est dû comme on sait au grand Bochica. Sur le point dont nous nous préoccupons, il pourrait bien être question d’une ouverture faite au récif qui borde le littoral de Pernambuco et que l’on attribue au grand Sumé, ou à son représentant chrétien l’apôtre voyageur. (Voy. Fr. Antonio de Santa Maria Jaboatam, Novo orbe serafico brasilico ou Chronica dos Frades menores da provincia do Brasil, 2me édit. Rio de Janeiro, 1858.) Jaboatam écrivait son livre en 1761.
[164] Conference avec Iacoupen. p. 348.
Ce chef indien portait un nom bien connu dans l’ornithologie du Brésil. Le Jacupema n’est autre que le Penelope superciliaris. C’est un des meilleurs gibiers du Brésil.
[165] Le P. Martial d’Abbeville. p. 370.
La famille des Foulon, qui jouissait d’une haute considération à Abbeville avait voué plusieurs de ses membres à la vie monastique. Le P. Martial vint à Paris, avec son frère, le P. Claude ; ce dernier, dont l’article est si erroné dans la biographie universelle, était déjà gardien du couvent de sa ville natale en 1608, mais comme le P. Yves il avait commencé son noviciat en 1595 (le 9 juin). La bibliothèque de l’Arsenal possède un opuscule du P. Claude, devenu rare. Il est intitulé : L’arrivée des Pères Capucins et la conversion des sauvages à nostre sainte Foy déclarés par le R. P. Claude d’Abbeville, prédicateur Capucin à Paris, chez Jean Nigaut rue St. Jean de Latran, au 1613. On peut comparer cet écrit à l’article intitulé : Retour du sieur de Rasilly en France et des Toupinambous qu’il amena à Paris. Mercure français, T. 3, p. 164. L’histoire chronologique de la bienheureuse Colette, réformatrice des trois ordres du Séraphique Père St. François. Paris, Nicolas Buon, 1628, in-12, n’est nullement du P. Claude, comme le prétend Eyriès. L’Epitre dédicatoire est signée Fr. S. d’A., capucin indigne. Claude d’Abbeville était déjà mort, lorsque cet ouvrage parut. Après avoir vécu 23 ans en religion il s’éteignit à Rouen en 1616, et non en 1632.
[166] Nous partimes de Plume en Angleterre. p. 372.
Il faut lire Plymouth, Claude d’Abbeville écrit Plemüe.
[167] De Baiador nous rengeasmes cette côte d’Aphricque jusqu’à la riviere ditte Lore par les Espagnols. p. 372.
Il s’agit ici du Rio de Ouro.
[168] Ayant passé, nous vinsmes et arrivasmes en une petite Isle appelee Fernand de la Roque. p. 373.
On reconnaîtrait difficilement sous ce nom l’île de Fernão de Noronha, et non Fernando de Noronha, comme l’écrivent quelques géographes, elle est à 75° long. E. N. E. du Cap de São Roque, elle se trouve située par les 3° 48′ à 52′ de lat. Son voisinage du Cap St. Roch explique l’altération de son nom. Quelques vieux voyageurs écrivent Fernand de la Rongne ; le P. Claude est dans ce cas.
[169] Puis ceste isle qui jusques à maintenant avoit esté appelee l’Islette Ste. Anne par ce que nous y estions arrivez ce jour-là et à cause de Madame la Comtesse de Soissons qui se nomme Anne, laquelle est parente de Mr. de Rasilly. p. 374.
Cette dernière circonstance a été omise par le P. Claude.
[170] Ils nous appellent les grands prophetes de Dieu et de Ioupan et en leur langage du pays Carribain, Matarata. p. 376.
Il faut lire Toupan au lieu de Ioupan. Quant au mot Matarata, qui revient dans cette phrase, ne peut-on l’expliquer par l’adjectif Mbaráeté qui signifie fort. Il semble être sous cette signification dans le Tesoro de la lengua Guarani du P. Ruiz de Montoya.
[171] Le sieur du Manoir. p. 378.
Le capitaine du Manoir était établi depuis longtemps dans l’île et il s’y était créé de nombreuses relations. Ce fut lui, qui lors de l’arrivée des missionnaires, les accueillit et leur donna même un festin. « Aussi magnifique que l’on saurait faire en France, » dit le P. Claude. MM. de Rasilly et de Pezieux y assistaient. Ce fut de la résidence de du Manoir qu’on partit pour venir occuper l’endroit, où s’éleva le fort de St. Louis. Cet officier revint en France, avant la prise de possession du Maranham par les Portugais.
Lorsque nos forces navales eurent évacué les ports du Maranham, plusieurs Français ne suivirent pas l’exemple de du Manoir, et s’établirent dans la nouvelle colonie, mais on n’y admit guère que les artisans. On serait dans l’erreur si l’on supposait que la mission fondée avec tant de zèle par nos religieux fut abandonnée ; elle ne passa même pas dans un autre ordre, et les franciscains en restèrent chargés : on trouvera sur ce point tous les renseignements désirables dans l’Orbe Seraphico du P. Jaboatam. Ce recueil renferme une longue biographie de F. Francisco do Rosario moine célèbre de l’ordre de St. François, qui prit possession du couvent des capucins dix ans environ après l’abandon définitif que ceux-ci en avaient fait. Ce zélé missionnaire s’enfonçait fréquemment dans les solitudes inexplorées du Maranham et allait catéchiser les indiens. Il composa même en 1630, un savant ouvrage sur les tribus sauvages qu’il avait visitées. Ce livre malheureusement n’a jamais été publié, et serait s’il était retrouvé un précieux commentaire au voyage du P. Yves. Fatigué par ses travaux dont la multiplicité étonne l’imagination, F. Francisco do Rosario passa à Bahia, où il fut revêtu des dignités de l’ordre et où il mourut en odeur de sainteté le 24 février 1650. On affirme qu’il avait annoncé longtemps à l’avance les grands événements politiques qui faisant présager l’expulsion de l’Espagne rendirent son indépendance au Brésil. Il paraît qu’il avait été forcé de reconstruire en l’année 1625, les bâtiments qu’avaient commencé à élever nos religieux. Aussi est il regardé à St. Louis de Maranham, comme le véritable fondateur du couvent de son ordre.
Nous n’ajouterons plus qu’un mot destiné à clore les renseignements réunis dans ces notes. Non seulement ils trouveront leur complément dans le travail qui précédera la Relation du P. Claude d’Abbeville, mais on peut dès à présent les compléter par des ouvrages français contemporains, absolument négligés à ce point de vue, par les historiens de l’Amérique. Le P. Pierre de Jarric entre autres se trouve être dans ce cas. Qui s’attendrait en effet à rencontrer dans une histoire des indes orientales tous les faits religieux qui eurent lieu dans le Maranham, avant l’année 1607. C’est cependant en consultant le Vme livre de cette volumineuse Relation, qu’on trouve l’histoire tragique des PP. Francisco Pinto et Luiz Figueira, Jésuites portugais, qui furent les premiers à visiter l’intérieur des régions inexplorées, dont le littoral fut occupé par les français. François Pyrard, le voyageur Belge, fixé dans la petite ville de Laval, nous dit aussi dans sa Relation des Indes et surtout des îles Maldives, ce qu’on pensait du Brésil en Europe au temps où vivait le P. Yves. Il ne parle point néanmoins du Maranham et n’en pouvait point parler.
Il y a encore un fait remarquable à signaler c’est que cette belle province que le volume publié par M. Herold contribuera plus qu’aucun autre voyage ancien à faire connaître soit restée si longtemps en dehors de toute vie politique. Concédée dès l’origine aux fils de Jean de Barros, l’historien fameux des Indes, elle ne fut révélée à l’Europe que par une déplorable catastrophe ; puis, malgré sa fertilité et la magnificence de sa végétation on l’oublia. Elle figure cependant sur l’un des monuments géographiques les plus importants où l’on ait su spécifier ce qu’était le Brésil au XVIme siècle. Nous voulons parler de la belle carte de Gaspard Viegas, qui est datée du mois d’Octobre 1534, et que possède la bibliothèque impériale de Paris. Nul historien n’en avait fait mention jusqu’à ce jour et malgré son admirable exactitude pour les temps reculés où elle fut construite, elle serait restée longtemps ignorée encore, sans la docte obligeance de M. Cortambert qui nous l’a communiquée. Nous aimons à rappeler ici, que ce beau travail d’un géographe inconnu se liera désormais à la plus vaste et à la plus exacte reconnaissance des côtes du Brésil qui ait été acquise à la science en ces derniers temps, M. le capitaine de frégate Mouchez en fera l’objet d’un examen spécial dans son grand ouvrage nautique sur le littoral du Brésil.
Ici doivent finir les notes qui étaient nécessaires pour qu’on pût comprendre en France et même en Amérique, le texte de notre vieux voyageur. Nous n’ajouterons plus qu’un mot, et il est peut-être indispensable pour faire comprendre la valeur du précieux document que nous exhumons. Le compagnon fidèle du P. Yves d’Evreux, le P. Arsène de Paris, écrivait en 1613 au supérieur de sa maison à propos des régions qu’il évangélisait : « Je vous asseure, mon père, que quand on s’y sera un peu estably : On s’y trouvera comme en un vray paradis terrestre. » L’espérance du bon religieux n’était pas de celles, qui se réalisent complétement ; les choses ne marchent pas ainsi en ce bas monde ; mais sans être un paradis, le Maranham est devenu une des provinces florissantes d’un vaste Empire, qui va progressant. Au milieu de ces prospérités réelles et malgré les efforts d’esprits heureusement doués, les progrès intellectuels du pays ne sont pas tout ce qu’ils pourraient être ; les souvenirs du passé, qui servent si puissamment le développement des populations, y sont pour ainsi dire abolis. Point d’archives, point de bibliothèques publiques, peu d’institutions littéraires. Cela a été compris si bien par le chef de l’Empire, que dom Pedro II, chargea il y a dix ans l’un des esprits les plus actifs et les plus éminents de ce pays, d’aller examiner à St. Luiz l’état réel des dépôts littéraires de la capitale du Maranham. Nous ne prétendons pas reproduire ici les plaintes judicieuses et fondées de Mr. Gonçalvez Dias, sur l’état déplorable où il trouva les établissements qui devaient être l’objet de ses investigations. On peut lire son rapport écrit d’un style si mesuré, dans la Revista trimensal, que publie avec tant de zèle l’institut historique de Rio de Janeiro. Nous ne citerons qu’un fait, où il a dix années, tout au plus, Mr. Dias comptait encore deux mille volumes (nous voulons parler ici de la bibliothèque publique), l’almanach de 1860, donné par Mr. B. de Mattos n’en compte plus que 1030 dans le plus déplorable état ! Puisse la réimpression du P. Yves d’Evreux signaler une ère nouvelle dans la patrie d’Odorico Mendez, de Gonçalvez Dias et de Lisboa.
Imprimerie de Bär & Hermann à Leipzig.