Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614
Des Vents, Pluyes Tonnerres, & Esclairs qui sont en Maragnan & autres lieux voisins.
Chap. XXXVII.
Outre les choses, que le Reverend Pere Claude a dict en son Histoire de ces matieres : J’adjousteray ce que l’experience m’a faict recognoistre de plus, que j’ay bien voulu communiquer au Lecteur, pour son contentement : Et premierement des Vents, entre lesquels celuy d’Orient s’attribuë le Sceptre & le Royaume de ceste terre du Bresil, & supposees les raisons que le Reverend Pere apporte, j’en adjouste une autre que tiennent tous les Mathematiciens, qui ont vogué par delà, & en ont escrit. Sçavoir, que la perpetuité de ces Vents d’Orient, soufflans en ces cartiers, provient de la disposition des costes du Bresil, lesquelles vont de l’Est, à l’Ouest droictement : car le Soleil ayant eslevé les vapeurs de la terre & de l’eau, & les tirant apres soy, par la violence de son cours journalier, ces vapeurs rencontrans les costes du Bresil, droict de l’Orient à l’Occident, sans aucune inflexion, les suivent : Ce que vous pratiquez domestiquement en la fumee, qui suit le premier Corps solide, qu’elle rencontre, pour le soutien de sa foiblesse, & privee qu’elle est de tout Corps solide, va selon l’agitation & predomination de la vapeur soufflante au dessus d’elle.
Or combien qu’il soit ainsi, que les Vents des trois autres parts du monde, sçavoir Ouest, Nord, & Sus, ne regnent pas en Maragnan & lieux circonvoisins en comparaison des vents de l’Est, ce n’est pas à dire pourtant, que les vents ne viennent quelquefois du Nord, & du Suz, & rarement de l’Ouest.
Les vents s’augmentent tousjours à Maragnan, depuis le mois d’Aoust jusqu’en Janvier, qui est proprement l’Esté de ceste terre, où le temps est tousjours serain : Cela vient du cours du Soleil, qui revenant du Solstice du Cancre, pour aller à celuy du Capricorne, il esleve les grandes vapeurs, qui sont en ces terres aqueuses & humides, de dessoubs la Zone Torride, & plus il s’approche de ces terres, plus aussi il en esleve, & par consequent les Vents se renforcent, lesquels ne sont autre chose, que ces mesmes vapeurs eslevees en l’air.
2. La raison pourquoy les pluyes ne commencent qu’à la my-Janvier, ou en Fevrier, & vont tousjours s’augmentant jusqu’au commencement de Juin, ou vers la fin d’Avril, est que le Soleil retourne du Solstice du Capricorne, vers le Solstice du Cancre, & tire à soy grande abondance d’humiditez de ces terres là, lesquelles s’epoississent en l’air, & tombent : Et d’autant plus que le Soleil s’approche de son terme, d’autant plus il augmente ses humiditez, & faict que leur cheute est plus espoisse, forte & subtile, & suivant cecy, nous voyons qu’en ce mesme Bresil, la saison & la force des pluyes est diverse, une terre l’ayant premiere que l’autre.
Ces pluyes sont pour l’ordinaire, abondantes, frequentes, longues, & continues, & ce plus la nuict que le jour, & ceste saison des pluyes est le temps de la semaille, laquelle incontinent pousse, germe, & donne augmentation, voire & la cueillette, ou moisson : Et cecy est, d’autant que ceste terre sabloneuse, est desseichee à cause de la proximité du Soleil ; & par ainsi les pluyes tombantes sur icelle, en abondance & continuation, elle absorbe en soy, par une avidité nompareille, ces pluyes, changeant sa secheresse, en une temperee humidité, mere de generations.
Ces pluyes sont fort differentes de la rosee qui tombe la nuict, en la saison d’Esté ; parce que les pluyes ont une mauvaise odeur, & à l’oposite, la rosee a une tres-bonne odeur ; & la cause de cecy est, que les pluyes viennent du combat des grosses vapeurs aërees, & par consequent, apportent quant & soy, la qualité de leurs agens, & cause efficiente : Joinct que les pluyes tombantes avec impetuosité sur la terre, laquelle est couverte, ou des fueillages putrefiez, ou des cendres des bois bruslez, ces pluyes chaudes de leur nature outre ceste impetuosité, esmeuvent la terre, à rendre une odeur mauvaise, procedante de ces putrefactions : A l’oposite, la rosee tombant doucement, lors que la nuict est seraine, & non agitee, & qui plus est qualifiee d’une temperature froide, & non chaude, sans excez toutefois, donne bonne odeur, specialement quand elle tombe sur des herbes odoriferantes.
Au temps des pluyes, les corps sont plus maladifs, qu’au temps des Brises, où vents de l’Esté, & en voicy l’occasion : C’est en premier lieu, que les vents ne soufflent plus, & par consequent ne purgent l’air, & ne chassent les grosses vapeurs marines & aqueuses, qui de soy sont maladives. En second lieu, c’est que les nuës se battant & fracassant en ce temps des pluyes, elles produisent des pesanteurs aux corps, des maux de cœur, & des estouffemens d’estomach, les nerfs se laschent, & les os s’emplissent d’humidité : ce qui n’arrive pas au temps des vents, qui netoyent l’air, la mer & la terre.
3. Les tonnerres & esclairs sont sans aucune comparaison, plus forts & frequens au Bresil, qu’en ce vieil Monde, specialement au temps des pluyes, auquel les tonnerres sont espouventables, si bien que vous diriez, que la terre va renverser, & un esclair dure plus de temps, que douze d’icy : Pensez que font à lors les Sauvages, si le plus grand guerrier, oseroit pour lors mettre le nez à la porte ; & sans faire le bon valet, j’en ay eu plus que mon saoul de pœur, & neantmoins on ne s’apperçoit point de la cheute des tonnerres : je croy qu’en voicy la cause. Pendant que la chaleur a son regne paisible, depuis Aoust, jusqu’en Fevrier, rarement on entend les tonnerres : mais quand le combat de la froidure, & de la chaleur, s’esleve depuis Fevrier jusqu’en Juin, il faut de necessité, que l’amorce & le canon jouë, qui sont ces esclairs & tonnerres : & pour ce que la chaleur est en sa force, soubs la Zone Torride, & que la froidure se fortifie en ce temps-là, par le retour du Soleil, du Capricorne au Cancre, avec l’amas des humiditez concrees en l’air : Il faut par consequent, que le combat en soit plus grand : les tonnerres plus frequens, & les esclairs plus furieux. Or la cause, pourquoy on ne s’apperçoit point de la cheute du tonnerre, ce sont les arbres hauts & puissans de ces pays, lesquels arbres naturellement en tous pays, sont le jouët & la niche des tempestes foudroyantes : Partant comme ceste terre est couverte de forests, enrichies d’arbres de hauteur admirable, il est bien aisé que le tonnerre tombe sans s’en appercevoir. Joinct l’experience qu’on en a tous les jours par les arbres abatus & bruslez, qui se rencontrent dans les forests.