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Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614

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De l’Arrivee des Long-cheveux à Tapouïtapere, & du voyage d’Ouarpy.

Chap. XXXV.

Il y avoit une Nation vers l’Ouest, de laquelle jamais par cy-devant on n’avoit oüi parler, & estoit incogneüe à tous les Tapinambos, demeurans dans les bois fort avant à quatre ou cinq cens lieuës de l’Isle, n’ayans eu jamais la commodité des Haches ny des Serpes, ains se servoit seulement des Haches de pierre, vivoit fort secrettement dans ces Pays & Forests, soubs l’obeissance d’un Roy. Ils furent advertis, par le moyen de quelques Sauvages qu’ils surprirent sur mer, que les François estoient venus en l’Isle de Maragnan, & y habitoient, & avoient amené quant & eux des Peres qui enseignoient le vray Dieu, & purifioient les Sauvages de leurs pechez. Ils porterent ces nouvelles à leur Roy, lequel fist dépescher incontinent des Canots, où il fit embarquer un des Principaux apres luy de cette Nation, qu’il fist accompagner de deux cens jeunes hommes fort & vaillans, habiles à nager & à flecher, avec commandement d’aller vers l’Isle, sans mettre aucunement pied à terre, ains se contentassent de parlementer avec les Truchemens des François, & s’en retourner au pays, prenans garde qu’aucun ne s’apperceust de la route qu’ils prenoient.

Ils arriverent donc vis à vis de Tapouitapere, où estoit pour lors le Truchement Migan, qui adverti de leur venuë, les alla trouver sur mer, & parlementa avec leur Principal fort longtemps : Car ce Principal l’interrogea, Premierement, des Peres, quels gens c’estoient, ce qu’ils faisoient & enseignoient. Secondement, des François, quelles estoient leurs forces, leurs marchandises, s’il estoit vray, qu’ils eussent reconcilié ensemble les Tapinambos & les Tabaiares, & s’ils vivoient en bonne paix dans l’Isle. Le Truchement ayant respondu à tout cela selon ce qu’il devoit, le Principal demeura satisfaict, & dit, qu’il en estoit fort aise, & que son Roy & toute sa Nation s’en resjoüiroit infiniement : parce qu’ils desiroient tous de s’approcher des François, tant pour cognoistre Dieu, pour avoir des Haches & Serpes de fer, pour cultiver leurs jardins, que pour estre en seureté de leurs ennemis. Quant à eux, qu’ils feroient force coton & autre marchandise, en récompense pour donner aux François, sans rien demander autre chose que leur alliance & protection.

Le Truchement luy demanda, si sa Nation estoit grande, & s’il y avoit loin en son Pays : Il respondit que sa Nation estoit grande & son Païs fort loin, denotant à peu prez, la distance par lieuës, qu’il y pouvoit avoir de l’Isle en sa terre, monstrant par ses doigts le nombre des Lunes, c’est-à-dire, des mois qu’il luy falloit pour retourner en son Pays : & adjousta, Je ne te puis dire l’endroict de nostre habitation, par ce que mon Roy me l’a deffendu, & aussi pour ce que nous craignons, qu’on nous y vint faire la guerre. Contente toy que dans six mois, je reviendray icy t’apporter certaines nouvelles, & va dire asseurément à ton Grand, que les choses estant telles que tu m’as dit, nous viendrons tous demeurer aupres de vous.

Le Truchement repliqua, Vien, je te prie, voir le Fort que nous avons faict, & les gros Canons braquez dessus, & les François qui sont là en garnison, afin que tu le rapportes à ton Roy. Non, dit-il, c’est chose qui m’est deffenduë de mettre pied à terre, moy ou les miens : Neantmoins l’on fit tant apres luy, que luy ayant donné des ostages, il permit à quelques uns des siens, de mettre pied à terre à Tapoüitapere où ils furent les tres-bien receus, & ayant trafiqué quelques Haches & Serpes pour d’autres marchandises, qu’ils avoient apporté, ils s’en retournerent fort joyeux. Cependant les Canots estoient en mer, l’aviron dans l’eau, prests de voguer, s’ils fust arrivé quelque chose mal à poinct. Les autres avoient la main sur la corde de leurs arcs, les fleches encochees & prestes à tirer, tant ces Nations se defient les unes des autres : Mais en leur rendant leurs gens, ils rendirent les ostages : ainsi ils s’en allerent en paix : Dieu les conduise, & les vueille amener à la cognoissance de son nom.

Quant au voyage d’Ouarpy, qui est une Riviere & contree, à six vingts lieuës de l’Isle[117], & davantage, vers les Caïetez, il fut entrepris par le Sieur de Pisieux, accompagné de quinze François, & de deux cens Sauvages pour les raisons suivantes. La premiere pour découvrir une mine d’or & d’argent, qui est à cent lieuës au haut de la Riviere, les Sauvages nous en apporterent du soufre mineral, qui s’est trouvé fort bon, & par consequent on a esperance, que ces mines seront bonnes & fertiles : Depuis je me suis laissé dire qu’il y a en tous ces pays là, une grande quantité de mines d’or, meslé de cuivre, & d’argent meslé de plomb[118], ce que tesmoignent asseurément les eaux minerales qui viennent des montagnes. La seconde pour r’amener quant & luy une Nation des Tabaiares, qui habitent sur ceste Riviere. La troisiesme, pour chercher une Nation de Long-Cheveux, qui demeure en ces Pays, atenant la riviere d’Ouarpy, lesquels sont debonnaires & aisez à civiliser, & trafiquent avec les Tapinambos : si ces choses reussissent, comme je croy qu’elles feront, dans peu de temps l’Isle sera riche, pour les marchandises que feront tous ces Sauvages r’assemblez, & se rendra forte, contre l’invasion des Portuguais, & me reposant sur cette esperance, je traitteray de quelques particularitez fort rares, que j’ay remarqué en ces Pays, satisfaisant aux difficultez qui s’y presenteront de prime abord, par bonnes & naturelles raisons.

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